Prendre en compte les efforts accomplis
Alors que la publication de l’étude nationale Pestiriv approchait, Vin & Société, par la voix de Thiébault Huber, président de la Confédération des appellations et vignerons de Bourgogne, a pris les devants face à la presse, le 12 septembre pour rappeler les efforts déjà réalisés par la filière viticole et mettre en garde face aux risques de dérives d’interprétation.
Mandatée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et Santé publique France, l’étude Pestiriv – financée à hauteur de 11 millions d’euros – vise à mesurer l’exposition des riverains aux pesticides dans les zones viticoles. Entre l’hiver 2021 et l’été 2022, 3 500 prélèvements ont été réalisés : 2 000 auprès de riverains de vignobles et 1 500 dans des zones urbaines ou non agricoles, avec un spectre de 58 molécules recherchées, autorisées ou interdites. Les résultats étaient attendus le 16 septembre. Thiébault Huber, un des trois référents nationaux sur ce sujet pour Vin & Société, l'interprofession des interprofessions viticoles a souhaité réagir face à la presse dès le 12 septembre, à Beaune. « Nous n’avons pas été associés au départ », a-t-il rappelé d’emblée, ne cachant pas avoir l'impression d'une enquête à charge. Ce n’est qu’en 2019 que la viticulture a été conviée à la présentation du protocole. « Nous avons souhaité être autour de la table, car les premiers concernés, ce sont nos familles, nos salariés, nos voisins », a-t-il insisté. En revanche, la filière s’interroge sur le choix d’un ciblage exclusif sur la vigne : « la viticulture ne représente que 12,7 % des ventes de produits phytosanitaires en France ». Vin & Société redoute des amalgames dans l’interprétation des données. La présence possible de jardiniers amateurs parmi les personnes prélevées, ou la prise en compte du simple tonnage de produits utilisés (soufre et cuivre nécessitant des tonnages élevés), pourraient, selon Thiébault Huber, biaiser les conclusions des médias, manipulés facilement par les ONG écologistes. « Si l’on ne distingue pas produits de synthèse et biocontrôles, on risque d’alimenter une psychose injustifiée », prévient-il.
Viticulture en mutation
La filière revendique des progrès significatifs. « 88 % des surfaces viticoles françaises sont certifiées par une démarche environnementale, et 25 % sont conduites en bio en Bourgogne », a-t-il rappelé. Thiébault Huber est lui-même en viticulture biologique depuis deux décennies dans son domaine à Meursault. Entre 2010 et 2020, l’usage de produits de synthèse aurait reculé de 36 %, tandis que l’usage des solutions de biocontrôle a progressé de 50 %. Mais ces dynamiques sont fragilisées par des contraintes réglementaires. La récente suppression de 50 % des spécialités à base de cuivre, pourtant essentielles en agriculture biologique et conventionnelle, inquiète la profession. « On nous retire des produits sans nous offrir d’alternatives efficaces. On risque l’impasse ». La viticulture dit vouloir saisir Pestiriv comme « une opportunité » : celle de fédérer État, chercheurs, industriels et filières autour de solutions durables. « L’État doit mettre la pression sur les firmes pour accélérer la recherche de produits de biocontrôle. Nous travaillons sur le matériel végétal et les pratiques, mais nous ne pouvons pas tout », a insisté Thiébault Huber. Au-delà des enjeux sanitaires, la filière rappelle son poids économique et territorial : 500 000 emplois, 12,5 milliards d’euros d’excédent commercial, un rôle majeur dans l’entretien du paysage et la vitalité des villages viticoles.
Prévenir les tensions locales
Enfin, Vin & Société a mis en garde contre une possible résurgence des conflits de voisinage si l’étude venait à être instrumentalisée. « Depuis dix ans, nous avons beaucoup communiqué avec nos riverains, instaurés des chartes environnementales et des systèmes d’information (SMS, appli…). Aujourd’hui, globalement, nous vivons bien ensemble. Nous craignons que la publication ne rouvre des tensions apaisées ». La filière se dit prête à assumer le débat public, mais souhaite que les efforts accomplis soient pris en compte. « Nous n’avons pas à rougir : la viticulture est la filière agricole qui a le plus évolué. Pestiriv peut nous aider à franchir une nouvelle étape, à condition de mettre tout le monde autour de la table ». À commencer par l’État qui oblige des traitements face à des maladies de quarantaine (flavescence…) ou dans les villes avec les nouvelles maladies (chikungunya, dengue et zika…) Peut-on désormais faire le parallèle pour ces traitements urbains, même loin des vignes ?
Les résultats de Pestiriv
Présentée le 15 septembre, l’étude Pestiriv fait apparaître « une sur-imprégnation » aux pesticides des personnes vivant en zone viticole, et « une sur-contamination de leur environnement », concluent Santé Publique France et l’Anses. Menée en 2021-2022, Pestiriv décrit les différences d’exposition aux pesticides entre les résidents de zones viticoles et ceux éloignés de zones viticoles (à plus de 5 km). Les agences de santé ont analysé la présence de 56 substances chez 2 000 adultes et 750 enfants, dans six régions. Elles ont observé « des niveaux de contamination qui pouvaient augmenter jusqu’à 45 % dans les urines, selon les pesticides », ainsi qu’une augmentation de la contamination « qui pouvait atteindre plus de 1 000 % dans les poussières » et « des niveaux qui pouvaient être jusqu’à 12 fois plus élevés dans l’air ambiant ». L’étude fait aussi apparaître que les niveaux d’imprégnation et de contamination dans les zones viticoles sont plus élevés en période de traitement que hors de ces périodes. Les agences de santé préconisent de « limiter l’utilisation des produits phytopharmaceutiques au strict nécessaire » en s’appuyant sur Écophyto 2030, et de « prévenir les riverains au préalable des traitements ».