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Christiane Lambert, présidente de la FNSEA

«Mon objectif, c’est de montrer la diversité de l’agriculture française»

Elue présidente de la FNSEA le 13 avril, Christiane Lambert livre sa vision de l’agriculture et fait le point sur les chantiers à poursuivre au cours de cette mandature. Au-delà des dossiers structement syndicaux, cette agricultrice de 55 ans, mère de trois enfants et éleveuse de porcs en Anjou, entend s’atteler à la reconstruction du lien entre les agriculteurs et la société. Extraits.
Par Ma signature
«Mon objectif, c’est de montrer la diversité de l’agriculture française»
- Comment un syndicat comme la FNSEA peut-il faire valoir la diversité de l’agriculture française ?
C. L. : «Mon objectif est de montrer la diversité de l’agriculture française et la représentativité de la FNSEA des élu(e)s. La FNSEA est beaucoup trop souvent présentée de façon caricaturale, dans certains médias nationaux, comme un puissant syndicat qui défend le «productivisme», ce qui ne correspond pas du tout à la réalité. Nous comptons 20 000 syndicats locaux, 94 FDSEA, 13 FRSEA et 31 associations spécialisées par production affiliées à la FNSEA. Les 69 administrateurs récemment élus, proviennent pour 41 d’entre eux des régions, 11 des associations spécialisées…
C’est une mosaïque de compétences et de porteurs de dossiers pointus qui font l’expertise et l’efficacité de notre organisation que beaucoup nous envient. Toutes les productions sont représentées au sein de la FNSEA, y compris le riz, le lin, le chanvre, le houblon, les pommes de terre, l’apiculture, les secteurs équins, caprins, canins… Notre dénominateur commun ? Nous sommes des entrepreneurs du vivant, nous travaillons avec la nature et connaissons tant la richesse que l’ingratitude de climat certaines années. Cette diversité est méconnue, mais c’est une vraie richesse et l’assise de notre représentativité, démocratiquement confirmée dans les urnes depuis 71 ans (...)»

- Vous reprenez la présidence dans une période difficile. Quels sont les chantiers prioritaires ?
C. L. : «Je veux travailler pour la défense et la promotion de notre secteur qui connaît des crises économiques, sociales, morales et vit une véritable mutation. Nous devons appréhender ces évolutions - européennes et françaises - avec lucidité et conduire des réformes courageuses dans de nombreux domaines. Au plan européen, il s’agit de réaffirmer notre attachement à une Politique Agricole Commune ambitieuse et protectrice, pour répondre aux nombreux défis et marchés qui s’offrent à nous, mais en retrouvant un cadre d’action plus lisible et sécurisé pour les agriculteurs. Depuis l’élargissement important à l’Est et l’insuffisance de transitions et d’approfondissement des politiques conduites, les écarts se sont creusés et des distorsions perturbent la vision d’un projet commun. Ce sera l’un des premiers chantiers avec le nouveau gouvernement auquel nous affirmerons que nous voulons « plus et mieux d’Europe » comme nous l’avons voté lors du Congrès de Brest».

- Et au plan national ?
C. L. : «Le premier chantier vise à améliorer le revenu des agriculteurs, dont beaucoup souffrent de crises chroniques. Il est temps de redonner à la production agricole la place qu’elle mérite en termes de retour de valeur au producteur et de rôle dans la chaîne de décision avec plus de dialogue interprofessionnel. Il faut remettre la construction du prix en marche avant comme nous l’avons initié dans la loi Sapin II, en revoyant la LME s’il le faut ! Nous devons expliquer que les agriculteurs ont besoin de retour de valeur et de revenus décents pour réussir les mutations techniques, humaines et sociétales indispensables à notre secteur. Investir et moderniser régulièrement nos installations et équipements, innover en intégrant les progrès techniques et technologiques, est la clé de la performance économique, sociale et environnementale pour maintenir des exploitations dynamiques, attractives et créatrices de nombreux emplois. En France, les porcheries et poulaillers ont un âge moyen de 20 ans… nous avons du retard à combler pour rester dans course ! Le dossier de la baisse des charges est à poursuivre après la baisse historique de 10 points de cotisations sociales pour les exploitants obtenue en 2016. Le coût du travail en France est l’un des plus élevé de l’Union européenne, ce qui créé des distorsions de concurrence, notamment pour les productions très employeuses de main d’œuvre comme le maraîchage, la viticulture, l’horticulture... Il faut réorganiser le financement de la protection sociale, pour conserver les garanties, mais les financer différemment. Nous continuons à revendiquer une TVA emploi, un prélèvement sur les produits pour se retrouver dans une compétition plus égale avec les produits importés.
Le deuxième chantier, c’est celui des normes réglementaires qui brident l’envie d’entreprendre, tout comme les délais administratifs trop souvent les plus longs d’Europe ! Il est urgent de relancer les projets d’irrigation et de débloquer les autorisations en attente car ce n’est pas normal qu’en Espagne 21 % des eaux de pluies soient stockées alors qu’en France, la proportion n’est que de 6 %. Le réchauffement climatique impact tous les territoires ! La faiblesse des nappes en ce printemps 2017 confirme l’urgence de prendre des orientations courageuses de la part de nos élus. Que ce soit sur le dossier des phytosanitaires dans tous ses méandres ou sur le feuilleton interminable des zonages et des plans d’action Directives Nitrates, du courage et du pragmatisme s’imposent ! Il faut remettre du carburant dans le moteur du Corena (ndlr : Comité de rénovation des normes en agriculture, mise en place en 2016 par le Gouvernement, à la demande notamment de la FNSEA)».

- Vous estimez important également de «redorer le blason de l’agriculture»
C. L. : «Oui, c’est le troisième chantier. Il faut travailler pour stopper l’Agriculture bashing dans lequel nous sommes enfermés en France. Nous avons un gros effort de pédagogie à faire car nos concitoyens sont fortement marqués par les émissions ou reportages qui restent vissés sur une conception manichéenne de l’Agriculture. D’un côté, une grosse agriculture qui pollue, maltraite les animaux et produit de «l’industriel», de l’autre, une petite agriculture qui fait de la qualité, du bio mais qui n’est pas assez soutenue… sous-entendu par la FNSEA ! Nous ne pouvons pas accepter qu’une telle vision perdure sur notre profession et influence les décideurs politiques qui ne parlent d’agriculture que sous l’angle des scandales et votent des lois sous le coup de l’émotion suscitée par les vidéos militantes. Les distorsions s’additionnent et nous perdons des parts de marchés et la confiance de nos clients. Les agriculteurs souffrent de ce harcèlement croissant, 85 émissions à charge sur l’élevage, les sols, l’environnement… en 2015, soit 1 tous les 4 jours».

- Quels arguments voulez-vous mettre en avant ?
C. L. : «D’abord dire que le «productivisme» n’existe plus. Même Edgar Pisani, ministre de l’Agriculture au début de la décennie 1960 a dit qu’il «assumait» le fait de devoir augmenter la production car il fallait produire en quantité pour nourrir une population de plus en plus nombreuse et plus concentrée en ville. Tout comme il fallait loger beaucoup et à petit prix à l’époque et les barre de HLM ont poussé en périphérie des villes. Puis avec l’élévation du niveau de vie et les attentes plus qualitatives, les logements sont devenus plus qualitatifs avec des résidences pavillonnaires. Il en fut de même en agriculture ! Le client est roi et a orienté les productions vers plus de produits sous signe officiel de qualité (25%) de circuits cours (20%) d’agriculture biologique (5% de la SAU et une croissance à 2 chiffres depuis 3 ans). Les agriculteurs se sont adaptés et ont répondu présents avec plus de traçabilité, de diversité et une sécurité sanitaire renommée internationalement… Ce n’est pas un hasard si les Chinois choisissent la France pour leurs investissements laitiers. Nous devons prendre davantage la parole et ouvrir nos fermes pour dire que l’agriculture est en mouvement, répond aux signaux des marchés, et est à l’origine de 8 à 10 milliards d’euros d’excédents dans la balance commerciale avec l’industrie agroalimentaire, leader en Europe et premier secteur employeur de main-d’œuvre en France. L’agriculture est source de solution pour la lutte contre le changement climatique : production d’énergie renouvelable (source de revenu complémentaire) limitations des émissions de gaz à effet de serre, stockage du carbone… Les agriculteurs mettent en valeur l’ensemble des territoires car ils ont su valoriser les potentialités locales si spécifiques. Nous voulons retrouver un double pacte économique et sociétale avec la société : 87% de la population nous soutient et nous sommes capables de répondre à toutes les attentes, à condition que le contrat soit réciproque et respecté jusqu’au bout ! Car les consommateurs ne peuvent pas afficher des exigences «premium» et finalement acheter encore trop souvent des produits «low cost». Nous voulons du donnant donnant. Avec satisfaction, nous voyons que les comportements d’achat changent, que le slogan «Manger français» prend corps et nous devons en saisir toutes les opportunités en multipliant les initiatives de vente en proximité, sur internet, en restauration hors-domicile et en raccourcissant les circuits. Le retour de valeur au producteur est souvent au rendez-vous, la reconnaissance en prime !»

- En cette période électorale, qu’attendez-vous du futur président et du futur ministre de l’Agriculture ?
C. L. : «Je souhaite inciter les agriculteurs à voter nombreux. Les agriculteurs sont très civiques et très citoyens, ils votent plus que la moyenne, et il faut continuer. Comme nous l’avons affirmé lors de notre récent congrès, dans le rapport d’orientation, les programmes anti-européens n’ont pas notre préférence. Nous souhaitons plus et mieux d’Europe. On exporte beaucoup et quitter l’euro serait dramatique pour les débouchés. Ce que nous attendons du futur président, nous l’avons exprimé à travers les 13 mesures pour l’avenir que nous aimerions voir votées dans les 200 jours premiers jours. Nous souhaitons également que le président nomme un Ministre de l’agriculture de plein exercice, avec un ministère large qui regroupe l’agriculture, l’alimentation, l’agroalimentaire, la forêt et la ruralité. Nous voulons quelqu’un d’extrêmement présent à Bruxelles, pour relancer le moteur franco-allemand».