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Moissons dans la Nièvre

Malgré la précocité, qualité et quantité

Dans la Nièvre, selon l’usage, les orges d’hiver sont battues avant le colza puis le blé. Rien n’a perturbé ce sage ordonnancement, cette année, mais au vu des conditions météo, les moissons sont en avance. L’année devrait être -étonnamment- très correcte.
Par Emmanuel Coulombeix
Malgré la précocité, qualité et quantité
Bruno Guyard (à gauche) et Lucien et Emmanuel Brossard sont à la fois surpris «en bien» des premiers résultats en orge d’hiver et inquiets des impacts de la précocité et de la chaleur sur les blés.
Ce mardi 29 juin, vers 16h, la moissonneuse-batteuse de Bruno Guyard fait ses premiers tours de chauffe dans les 27 ha de parcelle de colza de Lucien Brossard, à Raveau. Le premier, qui est céréalier à La Marche, fait aussi un peu de travail à façon dans les alentours pour ses collègues.

Et en cette après-midi ensoleillée et particulièrement chaude de la fin-juin, le second, avec son fils Emmanuel, a décidé de préparer la récolte de colza du lendemain. «De mémoire de paysan, faucher le colza un 30 juin, jamais je n’avais vu çà» s’étonne l’agriculteur qui, vu les conditions météorologiques, a bien dû se résoudre à anticiper sur le calendrier habituel.

Nombre de ses collègues sont dans la même situation. «Cette précocité, ce n’est plutôt pas bon signe. D’habitude, je ramasse vers le 14 juillet mais là, le taux d’humidité est à 6,5 ou 7. C’est sec donc il faut récolter car le risque, si on attend, c’est de perdre du rendement!»
Après le dernier coup de pluie -entre 30 et 40 mm- il y a quinze jours, Lucien Brossard se réjouit qu’il n’y ait «aucun problème de verse» pour le moment. C’est donc temps même si l’agriculteur craint «un rendement sous la moyenne décennale, parce que le colza est pénalisé par la chaleur et la précocité».
Bruno Guyard corrobore ce point de vue et cite les travaux du GDA Bourgogne Nivernaise: «en colza, sous la barre des 30 q/ha, nous perdons de l’argent». La récolte n’est pas commencée et il est trop tôt pour évaluer un volume moyen mais l’anxiété gagne les céréaliers.

Orge d’hiver dès le 23 juin, blé la semaine prochaine...
A l’instar de leurs collègues nivernais, les deux producteurs ont aussi quelques raisons de se réjouir. L’un comme l’autre ont commencé à ramasser les orges d’hiver le 23 juin. «Etonnamment, je fais un rendement moyen autour de 75 q/ha, alors que je suis sur des terres très superficielles» constate Bruno Guyard. «Un peu mieux que 70 q/ha» complète Lucien Brossard pour sa part, alors que les conditions humides du printemps les avaient un peu inquiétés.

Et les critères de qualité semblent là aussi au rendez-vous  : «ce sont des orges de qualité brassicole, avec un TP de 10,8, un calibrage de plus de 95 et un PS entre 67 et 68» relate l’entrepreneur agricole. Les deux hommes confient qu’ils sont un peu surpris, «en bien», d’un résultat qui, de toutes façons, n’a pas beaucoup à se pousser du col pour être plus satisfaisant que la campagne 2014. Ce qui n’empêche pas Lucien Brossard d’exprimer une autre évidence, en forme d’inquiétude  : «si les prix sont là, çà ira». Et Bruno Guyard d’aller dans le même sens: «la semaine dernière, le prix de l’orge était entre 145 et 150 euros/t. C’est encore sous nos coûts de production mais avec des rendements comme ceux-là, s’ils se vérifient, çà permettra d’équilibrer un peu!» Et les interrogations sur la moisson ne s’arrêtent pas là  : le blé aussi inquiète. L’un comme l’autre doivent en récolter sur leurs parcelles respectives et «si en qualité, ce n’est pas mauvais, en quantité, il y a des quintaux qui se sont envolés tous les jours du fait de la chaleur et de ce vent de Nord-Nord-Est qui brûle tout» expliquent, amers, les compères. Du coup, chacun commence à prévoir un battage précipité, «la semaine prochaine, malheureusement» regrette Lucien Brossard qui s’appuie sur les prévisions météo, qualifiées de «caniculaires», des 10 jours à venir.
Quand on leur fait remarquer que leur profession a toujours dû faire face et s’adapter aux aléas du climat, l’un et l’autre acquiescent : «il faut de la pluie et du soleil mais de façon régulière et pas trop à la fois, sinon çà ruissèle et çà se dessèche. Là, il n’y a eu que des excès». Mettant les nerfs et les qualités d’adaptation remarquables des agriculteurs à rude épreuve...

Michaël Geloen : «Année moyenne mais assez correcte vu les conditions du printemps !»

Selon le responsable de l’équipe Grandes cultures de la Chambre d’agriculture, «pour l’instant, on se dirige vers une année moyenne mais assez correcte, compte tenu des conditions météorologiques du printemps». Dans la Nièvre, les moissons ont commencé il y a 13 jours mais le plus gros des troupes a sorti les moissonneuses à partir du mercredi 24 juin et, traditionnellement, ce sont les orges qui ont ouvert le ban. Pour Michaël Geloen, «les rendements se situent dans la moyenne, c’est-à-dire autour de 70 q/ha dans les petites terres et de 75 q/ha dans les grosses terres».
Le technicien constate que par endroits, de la mosaïque est apparue, particulièrement sur les sols argilo-calcaires, du fait des conditions hydromorphes du printemps. Toutefois, il souligne que «du côté des maladies, la situation est relativement calme, cette année, malgré des conditions humides». En qualité, Michaël Geloen indique que le calibrage se situe généralement au-dessus de 90%, que l’immense majorité des parcelles présente des niveau protéiques corrects et que le PS est lui aussi dans la moyenne autour de 10,5. Il n’en faut pas plus en orge brassicole. S’agissant des colzas, le conseiller précise que les premiers ont été récoltés dimanche 28 juin mais c’était «surtout pour caler la machine, le gros étant ramassé depuis mercredi et toute cette fin de semaine, selon la précocité».
Il souligne qu’il y a «des disparités selon si les parcelles se situent en petites ou grosses terres et que les extrêmes étant plus importants, celles-ci ont vu leur potentiel plus ou moins limité». L’hydromorphie a fait descendre les rendements entre 70 et 75 q/ha dans les grosses terres. Sur le point de savoir si la vague de chaleur de ces derniers jours pouvait impacter les récoltes, Michaël Geloen estime que «cela a fait mûrir plus vite les plantes», le blé étant en avance d’une semaine mais les cultures de printemps, telles que le maïs, sont celles qui souffrent plus de ces conditions chaudes  : «déjà, certains maïs font la tronche» a-t-il observé.
Quant au tournesol et au soja, «tout à l’air d’aller pour le moment». Le technicien de la Chambre en profite pour distiller deux conseils aux agriculteurs  : le premier, par ces températures caniculaires, consiste à ne pas faire d’intervention herbicide «pour ne pas choquer la plante». Le second implique de regarder dans les parcelles certaines zones touchées par les mauvaises herbes (ray grass, vuillepin...) et, avec une approche globale, de commencer à réfléchir aux cultures de la prochaine campagne, en envisageant du non-labours ou une adaptation de la rotation...