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Découverte

Les zoos, des élevages singuliers

Avec ses animaux, ses soigneurs et son vétérinaire, un zoo ressemble à une ferme. Cependant, ses objectifs et contraintes diffèrent et racontent le rapport de notre époque au monde animal.

Par Pierrick Bourgault
Les zoos, des élevages singuliers
P. Bourgault
Jean Marie Mulon directeur du Refuge de l'Arche, dans la Mayenne.

Les animaux fascinent petits et grands. Bien sûr, les espèces sauvages impressionnantes, lions, éléphants ou girafes, mais aussi le simple enclos des chèvres naines au zoo de la Flèche (Sarthe). Les quelques lapins qui errent sur les pelouses à Disneyland Paris rivalisent avec les attractions géantes et le public brandit ses téléphones pour les photographier. À Paris, le Monde de Noé a ouvert deux locaux où les enfants caressent des animaux « domestiques et vaccinés », à 31,95 € par personne pour une heure et demie. Cette « médiation animale » affirme éviter les soucis soulevés par l’adoption d’un chat, d'un chien ou d'un lapin, qui souffrent souvent de solitude et d’ennui.

L’animal spectacle

Dans une ferme, l’objectif d’un éleveur est de générer un revenu avec la viande ou le lait des espèces, plutôt jeunes, qu’il reproduit et nourrit. D’autres modèles économiques existent grâce au financement des visiteurs et le zoo devient un Ehpad pour animaux, un spectacle, un hôtel. Ainsi, à la Flèche, dans la Sarthe, l’une des animations les plus prisées est le goûter du vieux tigre de Sumatra, encore vif et souple, et de sa compagne. Selon les prescriptions attentives du vétérinaire, ce tigre n’est plus nourri à la viande rouge, mais avec des poulets. Sa soigneuse précise que « Ce sont des animaux de zoo, qui ne vivraient pas dans le milieu naturel, ou en tout cas pas aussi âgés ». Autre attraction, le spectacle des otaries dont l’une d’entre elles, toujours joueuse, est âgée de 28 ans, « alors que la longévité habituelle est deux fois moindre ». Cette longévité atteste des bons traitements. Pédagogues, les soigneurs expliquent au public la différence avec un phoque : « L’otarie a des oreilles, pas le phoque ». Les spectateurs assistent à un show endiablé, en musique, commenté par les soigneurs. « On pratique l’apprentissage positif, sans punitions, avec seulement des récompenses quand l’humain obtient ce qu’il veut ». Leur complicité apparaît évidente. De même, lors du numéro des oiseaux en vol libre, selon les instructions du soigneur. On y apprend que les oiseaux n’ont guère d’odorat, sauf les charognards, et que la pluie les alourdit et limite leur élan. Les visiteurs peuvent passer la nuit dans de confortables chambres d’hôtel, en tête à tête avec félins, ours bruns ou blancs – derrière une vitre épaisse – pour un « lodge » de 600 à 800 €. Un dépaysement plus accessible qu’un voyage en Alaska ou dans la brousse africaine. La simple entrée coûte de 19,50 à 26,50 €.

Des activités contestées

Plusieurs associations critiquent la promiscuité forcée de l’animal sauvage avec la clientèle humaine dans les lodges, au cirque, dans les tournages de films. Des protestations à l’entrée du Moulin Rouge ont fait cesser l’utilisation de serpents lors des spectacles de danse ; le reptile impressionne le public, mais la musique et les lumières violentes de la scène ne correspondent pas à son mode de vie habituel et son stress est visible. Pour les mêmes raisons, des pétitions circulent contre les soirées Halloween, discothèque et les privatisations de l’Aquarium de Paris – source de revenus importante pour ce lieu.

La loi n’autorise plus un particulier à posséder des animaux sauvages. Aujourd'hui, Léo Ferré ne pourrait plus vivre avec la chimpanzée Pépée qu’il avait adoptée, dans son château-ménagerie. Pépée y avait sa chambre et ses jouets, fumait des cigares de luxe et tyrannisait famille et domestiques, comme en témoigne Annie Butor, la belle-fille du chanteur. De même, les charmants marcassins accueillis par des particuliers doivent théoriquement être euthanasiés. De nombreuses pétitions circulent, dans plusieurs régions de France, afin d’éviter cette fin légale à quelques sangliers apprivoisés.

Reproduction contrôlée

Un éleveur souhaite que ses animaux se reproduisent le mieux possible. Au zoo, une naissance est bienvenue chez certaines espèces rares, mais contraception et castration sont plus fréquentes, afin que les pensionnaires n’aient pas de descendance. À La Flèche, le groupe d’otaries se compose exclusivement de mâles pour éviter les conflits liés à la conquête d’une femelle. En 2028, les numéros d’animaux sauvages seront interdits dans les cirques. Les méthodes de dressage, les conditions de transport et de vie y sont souvent rudes et les cirques se débarrassent dans les zoos. Ces espèces ne pouvant plus être vendues à des particuliers, la reproduction n’est pas souhaitée.

Au refuge de l’Arche de Château-Gontier (Mayenne), c’est la lionne qui reçoit l’implant contraceptif, « car un lion castré perd sa crinière », précise Jean-Marie Mulon, le directeur. Ce site le plus visité de la Mayenne ne propose ni spectacles ni lodges, simplement des promenades libres ou commentées avec l’histoire singulière des animaux. On y croise une panthère noire abandonnée dans une maison en Ukraine, son propriétaire ayant fui les bombardements. Un photographe l’utilisait dans les rues de Kiev, « certainement avec des sédatifs puissants, d’où ses troubles du comportement », confie Jean-Marie Mulon. Des bénévoles du refuge sont allés la chercher dans son pays en guerre.

Histoires d’animaux

Rapatriés de laboratoires de recherche, d’autres pensionnaires se reposent de leurs traumatismes. D’autres encore furent confisqués chez des particuliers par les forces de l’ordre, ou trouvés accidentés, en détresse. « On voit si les animaux s’entendent, » observe le directeur. La centaine de babouins de Guinée aux fesses rouges constitue un vrai village, sur une île. En 1968, le fondateur du refuge, Christian Huchedé, débuta dans son jardin en soignant des oiseaux blessés, apportés par des voisins. Il promena aussi en laisse un lionceau « tombé du camion d’un cirque ». L’Arche a également travaillé avec le zoo de la Flèche. Aujourd'hui, l’association emploie une quarantaine de personnes et des bénévoles, son financement étant assuré par les entrées (de 8,50 à 15 €), des subventions et des dons. La comédienne Mylène Demongeot, décédée en 2022, fut un fidèle soutien du Refuge. Des éleveurs de la Mayenne fournissent des poussins morts pour nourrir des animaux carnivores.

Jean-Marie Mulon adore raconter des histoires d’animaux : au parc zoologique de Thoiry, qui propose aux automobilistes un itinéraire « safari » dans le parc, un éléphant avait eu l’idée saugrenue de s’asseoir sur le capot d’une voiture. Pas de souci, l’assurance paie la réparation, une déclaration au commissariat suffit – mais le policier n’a jamais voulu croire l’automobiliste ! Le directeur a dû témoigner en personne de l’incident. Vivre avec des animaux n’est pas de tout repos.