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Inondations

Les agriculteurs perdent patience

C’est groupées, que les FDSEA de Seine-et-Marne, de l’Aube, de la Marne et de l’Yonne, ont manifesté contre Voies Navigables de France, dont le fonctionnement est jugé par les agriculteurs opaque et inadapté, face aux inondations.
Par L. Goudet-Dupuis
Les agriculteurs perdent patience
Le président de la FDSEA de l’Yonne, Damien Brayotel était présent ce vendredi, à Bazoches-les-Bray.
Quatre-vingts agriculteurs venus des départements de Seine-et-Marne, de l’Aube, de la Marne et de l’Yonne se sont retrouvés au barrage de «La Grande Bosse» à Bazoches-les-Bray, le vendredi 6 avril, répondant ainsi à l’appel à mobilisation lancé par leurs FDSEA respectives pour exprimer leur ras-le-bol face aux inondations à répétition depuis cinq ans alors que la prise en charge par l’État de ces intempéries ne bouge pas.
Leur objectif : demander que ces quatre départements, fortement impactés par les dernières inondations (24 000 hectares touchés cet hiver dont une partie est encore sous l’eau actuellement) soient reconnus en «cas de force majeure».
Cette reconnaissance permettrait aux exploitants agricoles d’activer les aides Pac (notamment les droits à paiement de base) sur toutes les surfaces inondées qui ne pourront pas être semées ainsi que les surfaces détruites impossibles à ressemer. De plus, alors que Seine Grands lacs, établissement gestionnaire des lacs réservoirs, a été pleinement transparent dans sa gestion avec un échange permanent avec la profession agricole depuis 2013, les agriculteurs présents ont souhaité porter un carton rouge voire noir à Voies navigables de France (VNF) qui a un fonctionnement opaque et qui agit de manière indépendante.

Plus aucune assurance ne veut couvrir
«Aujourd’hui, c’est une première manifestation à quatre départements que nous avons souhaitée pacifique, mais si nous n’avons aucune répercussion, nos actions monteront en puissance», prévient la secrétaire générale de la FDSEA 77, Laurence Fournier, aux côtés des présidents de l’Yonne, Damien Brayotel, et de l’Aube, Joël Hospital, également en charge du dossier inondations à la FNSEA, ainsi que du représentant de la Marne, Mathias Benoist. «Notre exigence ne change pas. L’indemnisation des surfaces inondées est incontournable. Le rôle des terres agricoles en zone de sur-inondations doit être reconnu d’utilité publique. Sans ce service, Paris serait inondée» : tel est le message des manifestations dont la colère et parfois l’émotion face à certaines situations tragiques se voient sur les visages à l’instar du témoignage de cette agricultrice auboise dont l’exploitation est entièrement sous l’eau et que plus aucune assurance ne veut couvrir. Une heure plus tard, à l’aide d’un tracteur et d’une corde, les exploitants agricoles ont mis en place une action symbolique afin de montrer leur détermination : «si rien n’est fait, nous reviendrons pour faire exploser ce barrage».
Dans un second temps, après un bref passage dans l’enclos du barrage, les manifestants ont pris la direction du poste de commandement de VNF situé à Mouy-sur-Seine. La tension est montée d’un cran alors que personne n’était présent pour les recevoir. À l’issue d’un ultimatum d’un quart d’heure et d’un échange avec le secrétaire général de la FNSEA, Jérôme Despey, les manifestants ont obtenu un rendez le 10 avril avec le directeur adjoint de VNF. Quant à la rencontre programmée le 12 avril entre cette structure et la FDSEA 77, elle est maintenue mais en présence de représentants des quatre départements car «à plusieurs, nous sommes plus forts». Affaire à suivre.


«On ne peut plus continuer de payer les pots cassés… »
Au sortir de la réunion avec VNF, mardi 10 avril, Éric Launoy, vice-président de la FDSEA de l’Aube, ne cachait pas sa colère.

- Qu’est-il ressorti de votre réunion avec Voies Navigables de France ?
E. Launoy : «Cette réunion nous a permis de comprendre qui était aux manettes : si VNF gère les barrages, ils ont à en répondre à l’État, avec obligation de résultats… Au jour d’aujourd’hui, il y a encore de l’eau dans les champs et on essaie de trouver toutes les solutions possibles et imaginables pour qu’elle s’en aille. Ils ont essayé de nous convaincre de certaines choses, mais sans résultat ! J’ai 55 ans, des inondations, j’en ai vu plus d’une et deux fois déjà, on a été obligé de se fâcher pour faire ouvrir les barrages un peu plus que le compte, pour que l’eau quitte les champs et que l’on puisse continuer à cultiver. Leur seule idée est d’essayer de nous convaincre que ça ne changerait rien de baisser les niveaux, on veut bien être des abrutis, mais à ce point-là, pas tout à fait encore ! On fait quand même «joujou» avec 12 à 15 millions euros et ça commence à bien faire ! Une somme qui représente grosso modo, 1 euro par parisien et habitant de la grande couronne parisienne, pour compenser les terres inondées des quatre départements concernés. Mais aujourd’hui, ils s’en foutent complètement, du moment que les bateaux naviguent, le reste leur passe au-dessus de la tête… Tant que le monde agricole ne se sera pas fâché un grand coup et on a des idées pour ça, ils n’ont pas trop envie de comprendre car ça ne leur coûte pas un centime».

- Le rôle des terres agricoles en zone de sur-inondation doit-il être reconnu d’utilité publique et indemnisé à sa juste valeur ?
«C’est même l’objectif aujourd’hui, mais comme on sait qu’en 2018, on ne sera pas indemnisé, le but du jeu est d’avoir la possibilité d’ensemencer nos terres pour faire la prochaine récolte. Parce que n’oubliez pas que ce que nous vivons aujourd’hui, s’apparente à une double peine : avec des terres pas ensemencées ou inondées et ensemencées, pas d’aide PAC. Nous avons déjà fait beaucoup de sacrifices et avons patienté jusqu’au mois de mars, le monde agricole n’a pas bougé en sachant que c’était pour protéger Paris, mais passé le 15 mars, il faut enlever l’eau. Et en retour, ils évoquent le seul sujet de la navigation et les indemnités qu’ils auraient à payer en cas de problème ! Une autre réunion est prévue le 12 avril, pour trouver un terrain d’entente sur les mesures à prendre. Prévue initialement avec seulement la Seine-et-Marne, elle sera étendue aux autres départements concernés, dont l’Yonne, mais pour l’heure, VNF en est plus à constater les choses que de tout faire pour que ça aille mieux ? On ne peut plus continuer de payer les pots cassés pour protéger les autres gratuitement, ce n’est plus possible !. Le problème, pour moi, est de mettre aux manettes des gens qui ne sont pas passés avant par le terrain. On les sort de l’école, on les met en responsabilité et ils sont capables de dire aux personnes en place depuis longtemps, «tu te pousses, tu es nul et je vais te montrer». Eh bien ça ne marche pas et ne marchera jamais ! Le bon sens ferait bien de revenir ».

Propos recueilli par Dominique Bernerd