Accès au contenu
Le Musée des nourrices et des enfants de l’assistance publique retrace son histoire

Le Morvan terre "nourricière"

L’histoire des nourrices et des enfants de l’assistance publique a façonné l’identité du Morvan, du XVIIème siècle au milieu du XXème. Il fallait raconter cette histoire et faire oeuvre de mémoire pour ces dizaines de milliers d’enfants placés, ces nourrices “sur lieu” ou “sur place”... C’est ce qu’a entrepris le Musée des nourrices et des enfants de l’assistance publique d’Alligny en Morvan, en inscrivant ce projet dans le territoire, pour en faire un lieu de vie autant qu’un lieu de mémoire.
Par Anne-Marie Klein
Le Morvan terre "nourricière"
Un bâtiment tout de blanc vêtu, comme les nourrices et leurs dentelles, une couverture en ardoise, comme les “maisons de lait” des alentours, l’ancien relais de poste situé au coeur du village a bien changé, transformé en musée et en lieu d’animation.
«L’élevage humain est la plus grande industrie du Morvan, plus encore peut-être que l’exploitation et le flottage du bois» écrivait Ardouin Dumazt dans sa suite d’ouvrages «Voyages en France» parus au début du XXème siècle. L’accueil des enfant en nourrices et notamment ceux de l’assistance publique, a connu dans le Morvan un tel essor  qu’il a été qualifié au cours du XIXème siècle «d’industrie des nourrices». Cette «industrie» a fait vivre un grand nombre de familles paysannes pauvres et a perduré jusqu’au milieu du siècle dernier. Elle a profondément marqué la démographie du Morvan et dans de nombreuses familles on peut encore trouver des témoins issus de l’assistance publique, porteurs de cette mémoire à la fois intime et collective et, pour certains, marqués à jamais par cette "différence".

Nourrice «sur lieu» : un statut privilégié
L’«industrie» des nourrices a donné lieu à deux types de «nourritures» : les nourrices «sur lieu» et les nourrices «sur place». Les nourrices sur lieu allaient exercer leur activité chez les bourgeois aisés et dans les familles nobles. Dans cette activité nourricière, les jeunes femmes morvandelles s’étaient acquis au fil des siècles une solide réputation de bonnes nourrices, sachant ce qu’il fallait faire pour avoir du lait et le garder, en ces temps où l’on allaitait les enfants près de deux années. Certaines priaient Sainte Agathe, «spécialisée» dans le secours aux aspirantes nourrices en mal de lait, d’autres baignaient leurs seins dans des fontaines réputées miraculeuses. Elles étaient en général bien traitées par les familles qui les employaient. Tout en faisant partie de la domesticité, elles bénéficiaient d’un statut privilégié et revenaient au pays pécule en poche et nouvelles manières en sus. Elles contribuèrent ainsi à l’évolution socio-économique des familles morvandelles les plus pauvres. Au XIXème siècle, 52% des nourrices sur lieu travaillant à Paris venaient du Morvan. Les guerres et les évolutions sociétales ont ensuite limité cette activité.
En revanche, l’activité de nourrice sur place a perduré jusqu’au milieu du siècle dernier. Ces nourrices sur place accueillaient les enfants - souvent des «petits Paris»- mis en nourrice par leurs parents pour les plus chanceux, ou confiés à l’assistance publique quand ils étaient abandonnés par leur mère trop pauvre pour assurer leur subsistance. Ces «enfants de l’assistance» étaient envoyés grandir à la campagne par l’administration publique contre une indemnité destinée à couvrir la nourriture et l’entretien. Près de 50 000 enfants ont été accueillis dans le Morvan par l’intermédiaire de bureaux de placement parisiens ou d’agences régionales comme celle de Château-Chinon. Les Familles morvandelles pauvres y trouvaient là un complément de revenu en accueillant un ou plusieurs enfants qui s’ajoutaient à une fratrie souvent déjà nombreuse. Certains tombaient bien, d’autres moins bien, en dépit d’un suivi administratif très organisé. Jusque dans les années 1960, beaucoup d’adolescents placés deviennent commis de ferme, formant une main d’oeuvre bon marché et facilement corvéable.

Un musée d’évocation, vivant et dépoussiéré
Raconter cette histoire n’était pas chose aisée, tant l’intime se mêle à la mémoire collective. C’est ce qu’a entrepris le Musée des nourrices et des enfants de l’assistance, installé à Alligny-en-Morvan. Un musée vivant, qui mêle histoires d’hier et témoignages d’aujourd’hui. Au fil des siècles et des images figées, au travers des photos de classe, des documents administratifs, des témoignages vibrant d’émotion et des reliques de ces placements... ces enfants et ces familles reprennent vie. De l’enfant bien intégré et élevé avec bienveillance à l’enfant maltraité, tous les cas de figures existent. Souvenirs émus pour certains, mémoire douloureuse pour d’autres.
La force de ce musée c’est d’éviter le pathos et de proposer un parcours aussi vivant et complexe que cette réalité historique qui a forgé l’identité du Morvan. C’est un musée d’évocation où l’émotion est partout présente, dans les objets, dans les témoignages visuels et dans les beaux visages de nourrices portant fièrement l’enfant qu’elles allaitent. Leur temps fait, elle reviendront modifier durablement la vie des hameaux et des villages.
Du XVIIème siècle à nos jours, c’est toute l’évolution de la société et de la famille que l’on découvre. En toile de fond, se dessine les évolutions de la société et les regards qu’elle porte sur la famille, la parentalité, l’abandon, les enfants et les moeurs. Et cela fonctionne. Il suffit de parcourir le livre d’or pour constater combien les visiteurs se sentent concernés et trouvent dans leur propre histoire un écho à ces vies déracinées. Certains ont choisi de rester en Morvan et d’y faire souche. D’autres viennent à la recherche d’un passé en forme de point d’interrogation, qu’ils s’efforcent de reconstituer grâce à la généalogie.
Mais comment ne pas mettre en parallèle ces deux pauvretés, celle des familles morvandelles qui ont vu dans l’activité de nourrice un complément de ressources indispensables à leur survie et celle des villes industrielles et industrieuses avec leur lot de travailleuses pauvres condamnées à l’abandon d’enfant. Entre les deux, l’administration a organisé comme elle a pu le sauvetage de ces cohortes d’enfants abandonnés à eux-mêmes. Mais être un enfant placé, quelle que soit l’époque, c’est être différent et cela marque à jamais.

En savoir plus...

Le musée des nourrices et des enfants de l’assistance publique est à la fois un lieu de mémoire présentant les enjeux historiques et sociologiques du placement des enfants et du métier de nourrice, mais aussi un lieu ressources pour toutes les personnes recherchant des informations sur leur filiation. Le musée qui est aussi un lieu de vie et d’échanges participe à la vie du territoire par le biais des activités culturelles qu’il accueille (danse, lectures, événements culturels...) et grâce à l’intégration d’un café convivial et de chambres d’hôtes.
Il a été labellisé Pôle d’excellence rurale par l’Etat et a reçu le prix de l’innovation patrimoniale 2008. Il est porté par la communauté de communes des Grands lacs du Morvan avec l’appui du Parc régional du Morvan. Il est la septième Maison d’un réseau de six Maisons à thème qui constitue l’écomusée du Morvan, ainsi que trois sites associés.
Musée ouvert tous les jours de 10h à 18h, sauf le mardi. Ouvert 7j/7 en juillet et août. Groupes sur réservation. Tarifs : plein tarif 6€ - tarif réduit 3,50€ - gratuit pour les moins de 8 ans. Contacts : 03 86 78 44 05 - accueil@museedesnourrices.fr - www.museedesnourrices.fr