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Le grand défi de l’eau, plaidoyer d’un hydrologue pour l’espoir et l’action

Hydrologue de formation, Éric Servat a consacré sa carrière à comprendre et à transmettre les enjeux liés à l’eau. Depuis son enfance, marquée par un contraste frappant entre bocage vendéen et sécheresse sahélienne, jusqu’à la direction d’un centre international de recherche sur l’eau à Montpellier, il a bâti un parcours mêlant rigueur scientifique et coopération internationale, armé de la volonté de relever un grand défi : celui de remettre l’eau au cœur de nos sociétés. Son ouvrage, Le Grand défi de l’eau, est un plaidoyer technique et humaniste, adressé au grand public.

Par Charlotte Bayon
Le grand défi de l’eau, plaidoyer d’un hydrologue pour l’espoir et l’action
Astrid Di Crollalanza
Éric Servat, hydrologue et auteur du livre « Le grand défi de l’eau ».

« Ma madeleine de Proust, c’est l’odeur de la pluie tombant sur les terres sahéliennes asséchées depuis des mois », décrit l’auteur. Né à Cholet (Maine-et-Loire), Éric Servat grandit au sein d’une région de bocage, nourrie par de nombreuses pluies atlantiques. Il passera ensuite une partie de son enfance dans les pays du Sahel, période qui marquera ses yeux d’enfant par l’évidence vitale que représente l’eau. « J’étais petit garçon, je ne pouvais pas encore mettre des mots sur ce que je ressentais. Mais j’ai compris quelque chose lorsque j’ai vu la joie que procure la pluie qui revient ».

Un parcours scientifique engagé

« Docile aux traditions familiales, je me suis lancé dans des études de médecine », explique l’hydrologue. Après une année d’études validée sans mal, Éric Servat décide de suivre la voie de sa passion pour l’eau. Après deux doctorats, puis un engagement à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) pendant onze années en affectation à Abidjan (Côte d'Ivoire), de nombreux engagements au sein d’associations internationales, l’hydrologue bâtit un centre de recherche sur l’eau à Montpellier, labellisé par l’Unesco, l’un des trois principaux centres de recherches à l’international. « Nous fédérons 18 laboratoires de recherche. Derrière ces laboratoires, il y a 13 universités, écoles d'ingénieurs, organismes nationaux de recherche comme l'IRD, le CNRS, l'Inrae, etc. Et cela représente aujourd'hui environ 500 scientifiques. Nous avons dans nos laboratoires entre 180 et 200 doctorants selon les années. Donc, cela représente une grosse structure avec un vrai potentiel », explique-t-il. Un parcours qui légitimise un besoin de rappeler au grand public que « chaque jour, ce sont des milliers de scientifiques qui œuvrent dans le monde entier pour trouver des solutions au manque d’eau, des moyens d'adaptation, des solutions pour se débarrasser des polluants que nous sommes aujourd'hui capables d'identifier ». L’auteur se désole ainsi des discours catastrophistes et alarmistes qui occultent, selon lui, l’espoir inhérent aux enjeux liés à l’eau. « La lucidité sur la situation n’est pas synonyme de renoncement, il faut rappeler qu’il existe des solutions. Les temps sont durs, mais nous avons une capacité d’action. Mettons-la en œuvre », insiste-t-il.

Remettre l’eau au centre du débat

Pour Éric Servat, le défi pourra être relevé si nous reconsidérons la place de l’eau au cœur de nos sociétés. « Il est fondamental que nous puissions changer notre regard sur l'eau. Elle nous est indispensable, à titre personnel, domestique, et pourtant, nous ne lui accordons pas l’importance qu’elle mérite ». Il en veut pour preuve son prix dérisoire : « 4,34 euros le mètre cube », pour un service qui comprend captage, potabilisation, distribution et traitement. « Mais elle est aussi indispensable à toutes les activités industrielles, à l'agriculture, on ne produit rien sans eau. Elle est partout, mais personne ne la voit plus. On a souvent canalisé, parfois recouvert tous les cours d'eau en milieu urbain, on la faisait sortir le plus vite possible. Il faut redonner sa place à l'eau dans notre quotidien, dans notre visuel, dans notre organisation. C’est essentiel », assure l’auteur. « Je garde d’ailleurs beaucoup d'estime et d'admiration pour les agriculteurs, qui nous nourrissent, dans des conditions qui sont souvent extrêmement difficiles. Cela demande un engagement tout à fait incroyable. D’autre part, je suis désolé et révolté de voir la manière dont, trop souvent, on parle d’eux ».

Des tabous à lever

Éric Servat détaille les leviers techniques à mobiliser : il plaide pour la réutilisation des eaux usées traitées, où la France accuse un retard vis-à-vis de ses voisins méditerranéens. Il souligne également l’importance des « solutions fondées sur la nature », comme les zones d’expansion de crues permettant de réalimenter les nappes. L’auteur assume également la réouverture du débat sur le stockage : « Aujourd’hui, plus personne n’ose prononcer le terme de stockage de l’eau », regrette-t-il. Pourtant, « nous stockons de l’ordre de 5 % du flux annuel qui circule dans tous nos cours d’eau. Nous avons une marge de progression et les possibilités d’établir des stockages sans danger pour les nappes selon les territoires choisis ». Sans promouvoir de grands barrages systématiques, il défend des solutions adaptées comme les retenues collinaires. Même logique pour le dessalement : « À un moment donné, il faudra bien le faire », souligne-t-il, rappelant l’exemple de Barcelone ou du Maroc. Cet appel vaut particulièrement pour l’agriculture, qu’il admire : « Je suis désolé, révolté de voir la manière dont, trop souvent, dans ce pays, on parle des agriculteurs », confie-t-il, rappelant leur rôle crucial et leur exposition directe aux aléas de l’eau. À ses yeux, montrer les solutions possibles, qu’elles soient techniques, organisationnelles ou culturelles, est une manière de redonner confiance à ceux qui sont en première ligne des inquiétudes relatives au manque d’eau en France. Avec ce livre, Éric Servat souhaite transmettre bien plus qu’une expertise scientifique : une conviction intime que l’eau, ressource universelle, peut redevenir un moteur d’ingéniosité, de coopération et surtout d’espoir. « Si l’on explique qu’au bout, il y a des solutions », conclut-il, « alors nous pourrons espérer un changement de comportement vis-à-vis de ce bien ».