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Céréales

«La plus grave crise jamais connue»

Le vice-président de l’AGPB revient sur la campagne 2016 et évoque trois pistes de travail.
Par Aurélien Genest
«La plus grave crise jamais connue»
Dominique Chambrette demande une aide exceptionnelle de l’État et de l’Europe au nom de son association.
«Une année comme celle-là, il faut remonter à 1976 pour trouver à peu près l’équivalent et encore, les conséquences ne vont pas être les mêmes» : pour Dominique Chambrette, vice-président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), l’année 2016 est catastrophique pour les producteurs céréaliers. Ces derniers connaissent tout simplement «la plus grave crise jamais connue». Venant de participer à un conseil exceptionnel de l’AGPB, le Côte d’orien dresse un triste bilan de la ferme céréalière française : «la récolte en blé va être inférieure à 28 millions de tonnes, cela se traduit par des pertes de récoltes variant de 25 à 40% selon les régions. En chiffres d’affaires, les exploitations vont perdre entre 30 et 60%. Nous nous retrouvons avec deux très mauvaises années en seulement trois ans si l’on compte 2014. Il manque une année sur les trois dernières campagnes». Il s’agit d’un phénomène «extraordinaire» selon Dominique Chambrette : «ce qui vient d’arriver ne peut même pas être intégré dans les probabilités, cela ne pouvait être imaginé... Des parcelles faisant généralement 8t/ha et qui en font 4 voire 3 cette année, ça ne pouvait pas exister. J’ai 67 ans et je n’ai jamais connu cela. Tous les producteurs encore de ce monde disent la même chose. En plus, la France est le seul pays touché par ces aléas climatiques. Il y a de bonnes récoltes de blé partout dans le monde, en quantité et en qualité».

Une double-peine spécifique
Dominique Chambrette ne voudrait surtout pas que la situation des céréaliculteurs soit «noyée» dans une crise agricole généralisée : «les producteurs céréaliers connaissent une double crise avec les problématiques quantité et prix. La Côte d’Or se retrouve à moins de 50q/ha en blé, c’est déjà très difficile à encaisser. Mais avec des prix à 130€/t, ça ne passe pas. N’oublions pas que la tonne de blé valait 200 euros en 1984. Le prix du lait est bas aujourd’hui, mais la vache qui faisait 10 000kg avant la crise continue de faire ses 10 000 kg. La vache allaitante continue elle aussi de faire un veau par an. Je veux insister sur cette double pénalité bien spécifique à la céréaliculture. Il va nous falloir de l’argent public dans un contexte très particulier. En effet, la rentrée sociale va être abominable. Tout le monde va se retrouver dans la rue, avec la loi travail, les professeurs, la SNCF et j’en passe. Il ne faut surtout pas oublier la céréaliculture
qui traverse une crise sans précédent».

Considérer les zones intermédiaires
«L’AGPB a travaillé sur la problématique de nos zones à faibles potentiels. Il faudra revoir la politique agricole commune, c’est le premier point» énumère Dominique Chambrette, «on ne peut plus continuer ainsi dans les zones intermédiaires. On y retrouve les aides les plus basses de France et d’Europe alors que c’est là qu’il y a le plus besoin en soutiens. En Côte d’Or, les producteurs céréaliers touchent environ 200€/ha quand leurs voisins du nord bassin parisien et les Allemands en touchent 300 et quand leurs voisins éleveurs en touchent entre 350 et 400. A un moment donné, il faut se poser les bonnes questions et revoir le plus rapidement possible cette politique injuste». L’assurance climatique est également à revoir selon l’AGPB : «on ne peut plus continuer avec une assurance comme celle que nous avons aujourd’hui. Cette année, les Côte d’oriens assurés ne vont même pas toucher le tiers de leurs pertes... L’agriculture a besoin d’une véritable assurance climatique pour demain. Le dossier de la correction des handicaps n’est pas adapté lui non plus. En zone défavorisée, un hectare d’herbe touche une correction mais pas l’hectare de céréales qui est juste à côté, ce n’est pas normal. S’il n’y a pas de refonte de la politique agricole dans les zones intermédiaires, les producteurs céréaliers sont tout simplement condamnés».

Situation économique et conséquences sociales
L’allègement de la dette est la seconde priorité de l’AGPB. «Des producteurs ont perdu la moitié de leur chiffre d’affaires, nous demandons l’année blanche» poursuit le vice-président, «il faut pouvoir reconsolider la dette des exploitations sans surcharger les prochaines annuités, donner la possibilité aux exploitants de pouvoir étaler le déficit de cette année dans le temps. Nous demandons l’exonération de la TFNB et un allègement conséquent des charges sociales. Les banques et l’État doivent agir rapidement». La troisième piste de l’AGPB est d’ordre social, comme l’indique Dominique Chambrette : «il faut oser en parler: des producteurs ne vont pas pouvoir continuer leur activité. L’AGPB estiment entre 10 et 20% la proportion d’agriculteurs en graves difficultés. Il n’y a pas de solutions dans ces cas là. Ces producteurs auront juste de quoi payer leurs intrants après ce qu’ils viennent de livrer à leur organismes stockeurs. Comment peut-on faire dans de telles conditions pour resemer et vivre, tout simplement? Ces problèmes sociaux sont à régler au plus vite, on ne peut pas laisser des gens dans cette situation qui est le fruit de vingt années d’errance de la politique agricole qui a totalement délaissé les zones intermédiaires. Les hommes politiques doivent nous donner des réponses. Nous avons également demandé une aide européenne, une contribution spécifique au secteur céréalier français. La perte du chiffre d’affaires de la ferme française en grandes cultures s’élève entre quatre et cinq milliards d’euros. L’AGPB alerte les politiques, l’administration et les banques pour des actions à mettre en place en extrême urgence. Il ne faut pas se retrouver dans la situation de 2014-2105 où les bonnes paroles n’avaient pas été suivies d’actes. Les exploitations doivent être traitées individuellement pour redonner des perspectives à chacune d’entre elles».