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ZDS

La définition d’une injustice

Un agriculteur de Chaudenay-la-Ville évoque sa sortie progressive du dispositif ICHN.
Par Aurélien Genest
La définition d’une injustice
David Doyer n’a touché que 80% de la somme habituelle fin 2019. L’éleveur percevra 20% en 2020 et plus rien à partir de l’an prochain.
L’actualité de l’AOC Bourgogne, relatée dans notre dernière édition, n’est pas sans rappeler une autre «révision de zone» en Côte-d’Or, celle qui secoue plusieurs communes dans le domaine des zones défavorisées simples (ZDS). Qu’en est-il aujourd’hui ? La vallée de l’Ouche est particulièrement touchée, avec 36 exploitations agricoles qui ne vont plus percevoir l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN). «Malgré une pression syndicale importante, nous sortons du dispositif. Le processus est malheureusement enclenché», déplore David Doyer, éleveur à Chaudenay-la-Ville. En Gaec avec son épouse Sarah, ce Côte-d’orien de 48 ans n’a touché, en 2019, que 80% de ses 16 500 euros habituellement versés chaque fin d’année. «En 2020, ce pourcentage chutera à 20% puis il n’y aura plus rien à partir de 2021… Ce sera pareil pour tout le monde », indique-t-il, en rappelant la raison «incroyable» de cette perte de soutien, vécue comme une véritable injustice : «les zones défavorisées ont été révisées partout en France. Les résultats économiques de la viticulture présente dans notre petite région agricole faussent le calcul. Chez nous, tous les critères biophysiques des ZDS sont pourtant recensés. Nous sommes dans de la roche, il n’y a pas plus de 20 centimètres de terre. Les potentiels ne dépassent pas 55 q/ha en céréales. Nous aurions quelques hectares de vignes ici, nous aurions peut-être pu comprendre, mais pas là. Les premières vignes sont très loin de chez nous». David Doyer est d’autant plus en colère que le siège social de son exploitation n’est pas situé dans la zone impactée : «plus de 20% de ma SAU le sont malheureusement, avec des parcelles situées à Thorey-sur-Ouche et Crugey. Cela suffit à sortir du dispositif comme les autres agriculteurs».

Des paroles mais pas d’actes
David Doyer reproche aux politiques de ne pas s’être davantage impliqués dans le dossier : «leurs paroles ne se sont pas traduites en actes, et dieu sait si nous les avons sensibilisés sur le dossier. Les politiques me déçoivent énormément. Il suffisait simplement de modifier la petite région agricole des Hautes Côtes, en la rattachant à la partie élevage de l’Auxois. Même le ministre de l’Agriculture, en visite à Mavilly-Mandelot il y a un an, nous avait dit qu’il y avait une possibilité d’évolution… Je l’avais moi-même interpellé sur cette anomalie sans nom, mais rien n’a changé. Aujourd’hui, autour de nous, des secteurs moins défavorisés que le nôtre continuent de percevoir l’ICHN mais pas nous, à cause de ce vignoble éloigné. Avec cette perte d’ICHN, l’économie agricole locale est en péril. Cela ne semble pas émouvoir beaucoup nos politiques, même les locaux. J’observe qu’il n’y avait aucun représentant de la communauté de communes de Pouilly-Bligny lors de la fameuse visite du ministre à Mavilly».

Une proposition d’audit
Les éleveurs impactés ont reçu un courrier de la DDT en fin d’année 2019 : «des mesures d’accompagnements sont évoquées depuis longtemps, mais nous ne savons pas de quoi il s’agit. Ce courrier nous propose de faire un audit d’exploitation pour voir ce que la perte de l’ICHN va engendrer dans chaque ferme. Nous sommes beaucoup à avoir déjà répondu, je ne sais pas sur quoi cela va bien pouvoir déboucher».
La récente réunion cantonale FDSEA de Bligny-Nolay a été l’occasion d’aborder la problématique : «il a été envisagé d’engager une demande de reconnaissance pour être classé en zone de montagne, comme cela a été récemment le cas pour plusieurs communes autour de Saulieu, leur démarche a été acceptée. Ce processus prend du temps, entre deux et trois ans, sans être sûr du résultat final. Nous ne sommes qu’aux premiers balbutiements de la réflexion. Dans tous les cas, il nous faudra impérativement l’appui des politiques sinon, ce n’est même pas la peine d’y penser. Et même si cela aboutit, les communes sortant du dispositif ICHN ne pourront pas toutes intégrer la reconnaissance zone de montagne, il y aura forcément des déçus, surtout par rapport au critère de l’altitude». David Doyer, avec une poignée d’éleveurs, a même décidé de porter l’affaire en justice avec le concours de la FDSEA pour la réintégration des communes dans le dispositif ICHN : «le dossier est en cours, mais la machine justice est parfois longue à rendre son verdict».

Exemple d’agribashing

La vie n’est pas toujours simple, même dans nos petits villages ruraux. En plus de cette problématique des zones défavorisées simples, David Doyer est directement confronté à l’agribashing. Un collectif de 13 personnes s’est effectivement monté au sein de sa petite commune d’une cinquantaine d’âmes. «Ils n’aiment visiblement pas l’agriculture. Pas de chance pour moi, je possède l’unique ferme du village», commente le Côte-d’orien, qui fait part d’une drôle d’histoire datant d’il y a un an : «j’avais laissé une bâche en plastique dans un champ, avec trois ou quatre bottes qui restaient à la suite d’un stockage de paille. La personne à l’origine de ce collectif ne m’a pas laissé le temps de venir récupérer la bâche, elle est venue en premier dans la parcelle et l’a prise en photo. Pourquoi ? Sans doute pour prouver que je ne travaillais pas bien. Elle avait peur que je laisse la bâche sur place et que celle-ci se dégrade et pollue l’eau par la suite… L’Agence régionale de la santé s’est déplacée pour faire des analyses, mais toutes se sont révélées négatives. Ce genre d’évènement n’est pas le seul, il y a trois ans, un tas de fumier avait créé des inquiétudes. L’ARS était déjà venue à l’époque et j’avais été questionné sur mes techniques culturales. Tout était bien sûr OK… Vraiment, on touche le fond. Pour moi, nous sommes en plein dans l’agribashing. Mon épouse, mes enfants et moi-même souffrons beaucoup de cette situation. Nous faisons notre travail convenablement, mais cela ne suffit pas. Cette pression que nous subissons n’est plus possible».