Henri de Saint-Père

Les mains sont noueuses comme un cep de vigne et la voix porte encore haut et fort, comme habituée à se faire entendre par delà les rangs et les coteaux… Président du syndicat des vignerons de Vézelay jusqu’en 1990, Henri Garnier en fut l’un des refondateurs, à l’aube des années 70, suite à la volonté affichée par le Conseiller général de l’époque, Paul Flandin, de reconstituer le vignoble quasiment disparu après l’apparition du phyloxéra en 1884. Ils furent une dizaine à l’époque, à se lancer dans l’aventure, rejoint un peu plus tard par l’une des figures emblématiques du village de Sain-Père-sous-Vézelay et enfant du pays, le restaurateur étoilé Marc Meneau. Les souvenirs sont encore bien ancrés dans la mémoire d’Henri Garnier : «on avait au début planté une vigne témoin avec trois cépages, du chardonnay, du pinot noir et du melon. Un peu d’Auxerre aussi, venu d’Alsace, mais vite abandonné car un peu tardif…» Bien loin alors des 330 ha de vignes que comptait Saint-Père en 1880, avant le phyloxéra : «avec les autres communes qui font partie aujourd’hui de l’AOC, Asquins, Tharoiseau et Vézelay, on dépassait même à l’époque les 1 000 ha ! «Chacun ici faisait du vin pour boire à table. Je me souviens de mon grand-père qui vendait «sous l’pressoir», comme il disait, à 19 francs la feuillette…»
 
Vers une appellation AOC Vézelay
La rénovation entreprise du vignoble faillit capoter, suite au remembrement de 1975 et aux querelles de voisinage qui le fit durer six ans ! «Des mésententes qui ont coupé les bras à beaucoup de gars…» Il fallut attendre la délimitation de l’aire géographique, au début des années 80 et l’obtention de l’appellation AOC Bourgogne en 1985, pour voir relancé le projet : «plusieurs personnes étrangères à la région sont venues et ont pris les devants pour replanter, ça a piqué au vif les vignerons du coin et ils se sont lancés.» Bon an mal an, une quarantaine d’ha ont retrouvé vie au pied de la colline éternelle, avant la création en 1988, d’un Groupement Foncier Agricole (GFA), ouvert à 250 actionnaires. Avec à la clé une quinzaine d’ha supplémentaires. Depuis, le vignoble n’a pas cessé de s’agrandir et l’aire d’appellation compte aujourd’hui plus de 330 ha, pour 125 ha implantés. Un travail couronné par l’obtention en 1997 de l’appellation régionale AOC Bourgogne-Vézelay et qui devrait trouver bientôt son achèvement, après dépôt d’un dossier auprès de l’INAO, pour la reconnaissance du titre d’AOC Vézelay en appellation propre.

«Chez Henri, club privé de la grappe d’or»
Avec près du tiers de la production et regroupant 11 adhérents pour une superficie totale de
34 ha, la société coopérative agricole Henry de Vézelay fait office de locomotive du vignoble chablisien. La cave d’«Henri de Saint-Père» est beaucoup plus modeste, mais patinée par le temps, se fait l’écho des souvenirs du maître des lieux, quand vient l’heure de la dégustation… Encore gamin, Henri Garnier allait déjà travailler dans les vignes : «on cassait la croute sur place le midi, avec des sardines et du p’tit salé. On travaillait alors avec un cheval et j’en ai eu d’la misère avec lui quand il y avait des taons et qu’il refusait d’avancer, provoquant les engue… du père !» Sur les murs de la cave, un écriteau énigmatique, «Chez Henri, club privé de la grappe d’or» : «un souvenir laissé une année par l’équipe de vendangeurs, qui avaient pris l’habitude de goûter mon ratafia ; Si j’vous disais qu’une fois, ils m’en avaient bu 50 litres ! Pour l’année d’après, j’me suis méfié…» (ndlr : rires). A l’horloge du temps, 86 printemps ont sonné, mais le rituel est resté le même pour l’ancien vigneron : «tous les midis, je bois un peu de vin de ma production…» Une gourmandise qui vaut bien, bue avec modération, un élixir de jouvence. «A la bonne vôtre Monsieur Henri !»