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Agriculture biologique

En conversion et en colère...

Ils sont quatre agriculteurs de Cruzy-le-Chatel, à s’être convertis au bio au printemps 2015, confrontés aujourd’hui au non versement des aides promises.
Par Dominique Bernerd
En conversion et en colère...
Béatrice Massonnet, Bruno Méan, Jean-Marc Coste, Christophe Michaut.. Quatre agriculteurs passés en conversion il y a deux ans et aujourd’hui quatre agriculteurs en colère.
Le marché du bio «pèse» aujourd’hui en France plus de 7,5 milliards €, boosté par la demande exponentielle des consommateurs : plus de 14% d’augmentation des ventes au premier semestre 2017. En dix ans, la surface globale cultivée en agriculture biologique dans tout l’hexagone, a été multipliée par trois et l’on a enregistré l’an dernier une vingtaine de nouvelles fermes bio par jour. Dans le département, l’on comptabilisait 290 fermes bio en 2016, en hausse de 7% par rapport à l’année précédente, dont 107 engagées en grandes cultures et 88 en polyculture élevage. Des chiffres impressionnants, qui masquent néanmoins une réalité : la filière bio est-elle victime de son succès ? Béatrice, Jean-Marc, Bruno, Christophe.Ils sont quatre agriculteurs de Cruzy-le-Chatel, quatre voisins à s’être convertis au bio, en même temps, au printemps 2015, quatre exploitants aujourd’hui en colère, suite aux aides tardant à venir et aux changements dans les règles d’attribution.

«En qui avoir confiance… ?»
Jean-Marc Coste a passé ses 200 ha de cultures en bio le 6 mai 2015 : «je voyais qu’on fonçait dans le mur, avec des phytos qui ne marchaient plus, le vulpin, je n’en venais plus à bout, les prix n’étaient pas au rendez-vous... Une prise de conscience m’a poussé à changer. Cela faisait quarante ans que je faisais la même chose en conventionnel, j’ai un fils qui va reprendre derrière moi, je voulais l’amener à quelque chose de viable…» Pour Bruno Méan, c’est la visite d’une exploitation bio dans le vermentonnais, qui a provoqué le déclic : «je ne mettais déjà plus d’insecticide dans mes parcelles, ni d’antilimaces, forcément, mes rendements s’en ressentaient. J’ai été conquis suite à cette rencontre et enchaîné les formations, les visites d’exploitation et suis passé en bio en même temps que les collègues…» Les aides annoncées alors étaient de 300€/ha, sans plafonnement. Pour Jean-Marc : «s’engager en bio, c’est comme un nouveau métier, on fait forcément des boulettes et ces primes servent à les compenser…» Une aide à la conversion versée pendant cinq ans pour compenser la perte de revenus liée au changement de conduite de l’exploitation, aujourd’hui gérée par l’Etat et la région. Sauf que depuis, de nouvelles règles d’attribution ont été établies, avec notamment un plafonnement à 100 ha : «des nuits sans sommeil, il y en a eu plus d’une parce que ça fait un gros trou quand même. Ces 300 € de départ, ils ne les ont quand même pas sortis du chapeau comme ça ! Ils savent bien qu’on en a besoin pour passer le cap». D’autant que l’on est aujourd’hui face à une panne de financement, avec des aides tardant à venir. Jean-Marc Coste a fait ses comptes : «j’ai perçu une ATR de 18 000 € au tire de 2015, autant pour 2016 et c’est tout. Une avance «en retard» comme je dis». Le solde devrait être versé en novembre 2017, selon un courrier reçu de la DDT 89 en janvier dernier, mais l’agriculteur se veut prudent «c’est le troisième ou quatrième courrier de ce type que l’on reçoit et à chaque fois, c’est retardé !» Avec cette interrogation pour Béatrice Massonnet, de la ferme du Val Rouge, à quelques km de Cruzy, elle aussi convertie au printemps 2015 : «comment peut-on annoncer des choses aux gens et ne pas les tenir ! Si on n’a plus confiance en l‘Etat, en qui avoir confiance?»

Etre ou ne pas être dans un périmètre à enjeu eau
A ce retard se conjugue pour Bruno Méan, le sentiment «d’avoir été trahi et reçu un coup de poignard dans le dos !» Car depuis sa conversion en 2015, de nouveaux critères sont apparus pour toucher les aides attendues. Notamment concernant le finacement en provenance de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, avec l’obligation pour l’exploitation concernée par des aides à la conversion ou au maintien à l’agriculture biologique, d’avoir au moins une parcelle sur un territoire à enjeu eau tel que les aires d’alimentation de captage délimitées ou les périmètres de protection de captage éloignés, lorsque la Déclaration d’Utilité Publique a été validée. Ce n’est pas le cas de l’agriculteur tonnerrois, qui depuis a frappé à toutes les portes : DDT, Agence de l’eau, Draaf, Agence de paiement, remontant même jusqu’au ministère, mais en vain. Selon les nouvelles règles, l’enveloppe à venir pour Bruno Méan, ne serait plus que de 210 000 € au lieu des 372 600 € attendus et la colère monte : «ce n’est pas parce que l’Etat s’est défaussé sur la région qu’il ne faut pas une équité entre nous».

Pour l’heure, pas de solution en vue et aux difficultés financières se rajoute une inconnue : «J’ai des comptes à rendre à l’administartion fiscale. Comment provisionner mon bilan 2016 avec des aides qu’on n’a toujours pas touché et qu’on ne touchera peut-être même pas !»
Concernant le paiement du solde des aides attendues, Philippe Jager, responsable du Service agricole à la DDT 89 le confirme : «on vient de toucher les outils, le plan prévisionnel est calé et ce qui a été annoncé devrait le rester, avec un début de paiement en novembre». Reconnaissant toutefois, «que les maquettes initiales ont été insuffisantes, d’où ce plafonnement».