Des écrins hors du réchauffement climatique
C’est dans le Finistère, en Bretagne, qu’ont éclos de nouvelles cultures, plutôt inattendues : citrons, piments, fruits exotiques ou encore plants de thé. Ces expérimentations sont rendues possibles par un savoir-faire indéniable et un microclimat côtier qui soulève des pistes d’adaptation face aux mutations climatiques. Rencontres.

« J’ai semé des graines de poivre de Sichuan (Chine) en 2018. Aujourd’hui, les plants font un mètre de haut », raconte fièrement Michel Thévot, qui cultive ce qui pourrait bien être l’un des rares thés bretons. L’ancien chaudronnier, passionné de botanique, a transformé huit hectares à Sibiril, au pied du moulin de Kerouzéré, en jardin expérimental. On y trouve poivre de Tasmanie, baie de Sichuan, citronniers, camélias, magnolias et 2 800 pieds de Camellia sinensis, le théier. « Je me retrouve avec énormément d’essences de tous les continents. On plante, on observe. Si ça ne fonctionne pas, tant pis ». Une passion pour l’expérimentation qui permet également à Michel Thévot d’en apprendre davantage sur son territoire et les pratiques à mettre en œuvre pour mener à bien ses cultures.
Un climat singulier
Le climat du Finistère nord est la clé. « Chez nous, il fait toujours 28 : 14 le matin, 14 l’après-midi », plaisante-t-il. Une manière de dire qu’ici, l’amplitude thermique est quasi nulle, ce qui évite les stress végétaux. « Le théier résiste à une température de - 12 ou - 15 °C, mais seulement si le gel est court ». Trois à cinq récoltes par an sont possibles. Michel Thévot confie les feuilles fraîches à la Maison Théerie, vendeur de thé breton dans le Finistère. Certaines des feuilles cultivées ont même été médaillées : « C’était un thé blanc très agréable, un peu iodé peut-être. Il pouvait s’infuser six ou sept fois ». Michel Thévot le précise cependant : « Il suffit d’un hiver à - 15, et nous perdons tout ». Des propos qui rappellent que l’adaptation au changement climatique passe aussi par la connaissance fine du terrain, l’expérimentation locale et la prudence économique.
Des agrumes bretons
À quelques kilomètres de là, à Roscoff, Gilles Le Bihan s’est spécialisé dans les agrumes sous serre froide, depuis 2018 : yuzu, citron caviar, bergamote… « Nous cherchions à nous différencier. Le citron caviar était onéreux et n’était pas produit en France. Nous nous sommes dit : pourquoi pas nous ? » Le climat doux et les possibilités de gestion fine sous serre permettent d’adapter ces espèces. Si les premières années ont été difficiles en raison des attaques de cochenilles, l’agriculteur n’a pas tardé à y remédier : ses poules s’affairent à désherber les pieds de ses citronniers et à manger les cochenilles. Par ailleurs, les serres sont quant à elles uniquement chauffées par la lumière du soleil, atteignant 25 à 30 degrés, et Gilles le Bihan récupère l’eau de pluie pour arroser ses plants. « Dans une serre, on fait ce que l’on veut. Je coupe l’eau pendant un mois pour provoquer la floraison, puis j’arrose deux fois par semaine ».
Aujourd’hui, la production reste modeste mais stable. « Nous commençons à exporter un peu sur la Côte d’Azur. C’est notre petite fierté ». Pas question pour autant de se précipiter : Gilles le Bihan espère atteindre une rentabilité intéressante d’ici quelques années, lorsque ses cultures fêteront leurs dix ans.