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Gelées

Des dégâts d’une ampleur inégalée

Vendredi 9 avril, le préfet de l’Yonne, les parlementaires
du département ainsi que les partenaires agricoles, se sont rendus, sur invitation de la FDSEA de l’Yonne, dans les vignes de Ludovic Barat, à Chablis, puis dans les vergers d’Alain Duruz, à Jussy, pour constater l’ampleur des dégâts dus au gel des jours précédents. Et tenter, ensemble, de commencer à trouver des solutions pour sauver les filières agricoles, toutes impactées par cet aléa climatique.
Par Christopher Levé
Des dégâts d’une ampleur inégalée
Des dégâts constatés également dans les vergers de Jussy où la quasi-totalité de la future récolte a été réduite à néant.
L’abattement se lisait sur de nombreux visages vendredi dernier. Réunis dans les vignes de Chablis, puis dans les vergers de Jussy, sous l’impulsion de la FDSEA, les acteurs des filières viticole et arboricole du département, ainsi que le Préfet, les parlementaires et les partenaires agricoles, n’ont pu que constater les lourds dégâts causés par le gel les derniers jours. « À chaud, on sait que l’on est entre 80 et 90 % de dégâts sur les bourgeons, toutes appellations confondues », observe Ludovic Barat, viticulteur à Milly. « Dans les premiers crus vaillons, où on était vendredi, il y avait 100 % de dégâts. On ne voyait plus un bourgeon de vivant autour de nous ».
Si l’espoir d’avoir une récolte est encore permis, celle-ci toutefois minime. « Pour le moment, on est incapable de dire si on fera 10, 20 ou 30 hl/ha. Ce que l’on sait, c’est qu’on ne fera pas 50 hl/ha, c’est la seule certitude », assure Ludovic Barat. « Tout dépendra de ce qui sortira du contre-bourgeon ».

Jusqu’à -8 °C recensés
Alors, comment expliquer l’ampleur des dégâts ? « Paradoxalement, avec le changement climatique et la hausse des températures, les vignes sont encore plus sensibles au gel. Le coup de chaud des jours précédant (avec des températures estivales allant jusqu’à 25 voire 30 °C) a été fatal car la plante s’est développée », explique Jean-Baptiste Thibaut, vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Yonne et viticulteur à Quenne. Ajouté à cela les pluies et la neige qui a suivi. « L’humidité est entrée dans le bourgeon et a fait un passage pour le froid. Et avec des températures qui sont descendues jusqu’à -7 voire -8 °C, les bourgeons ont grillé ». Et ce, malgré les systèmes de protection mis en place (lire par ailleurs). « On a vu la limite de ces systèmes. Ils sont efficaces jusqu’à - 3 voire - 4 °C, mais pas en dessous », reprend Ludovic Barat. « Une gelée d’une ampleur extrême, comme on vient de la connaître, il n’y en a pas eu depuis 1981. Si celle de 1991 a été violente, celle de 1981 avait rectifié le vignoble comme il a été rectifié aujourd’hui ».
Un phénomène qui pourrait se répéter de plus en plus souvent dans les années à venir. « Le climat change, c’est un fait. On aura des hivers de plus en plus doux, ce qui fait que la vigne va démarrer de plus en plus tôt. Avec une contrainte : on aura toujours des périodes de gel ».

« Il y a 99,9 % de dégâts, pour ne pas dire 100 % »
Dans les vergers de Jussy, chez Alain Duruz, la situation n’est pas meilleure. « Il y a 99,9 % de dégâts, pour ne pas dire 100 %. La triste réalité du terrain est là, il ne me reste rien, ou presque », confie-t-il. « Cerises, pêches, nectarines, abricots, prunes, mirabelles, pommes, poires… Tout est touché. C’est un cataclysme, le moral est au plus bas dans la filière ». Pour l’arboriculteur, c’est la moitié de son chiffre d’affaires annuel qui est parti en fumée. « Les pertes sont astronomiques, c’est environ 100 000 euros ».
Ce n’est malheureusement pas la première année catastrophique pour la filière. « Depuis mon installation en 2003, j’en suis à mon dixième dossier de demande de calamités agricoles. Aujourd’hui, il faut que les indemnisations arrivent rapidement, car sincèrement, économiquement on ne tiendra pas ».

Toutes les cultures touchées
Devant ce terrible phénomène, qui a aussi touché les céréales, les betteraves, ou encore les asperges (pour ne citer qu’eux), la FDSEA de l’Yonne souhaitait faire prendre conscience de l’ampleur des dégâts, aux représentants de l’État du département. « Il y a des producteurs qui se sentent abattus et isolés », assure Damien Brayotel, président de la FDSEA de l’Yonne. « Ces visites étaient aussi là pour montrer que l’État et les collectivités sont là pour les soutenir. C’était l’occasion de faire le point sur les aides que l’on peut solliciter ».
Mais quelles sont-elles ? « À court terme, ce sont des besoins de trésorerie, donc des exonérations de charges sociales, la prise en charge des intérêts d’emprunt, repousser le PGE (prêt garanti par l’État, qui a été mis en place l’année dernière afin de soutenir les entreprises en difficulté à cause de la crise sanitaire, ndlr) ou encore l’exonération de la taxe foncière », liste Damien Brayotel.
Sur le long terme, les viticulteurs souhaiteraient notamment que l’Inao débloque le plafond de rendement en vigne afin de pouvoir stocker plus de VCI (volume complémentaire individuel). « En Chablis, les viticulteurs ont le droit de récolter 70 hl/ha maximum dont 10 hl/ha en VCI, qu’ils ont le droit de mettre en bouteilles et de vendre uniquement une année où ils ont récolté moins de 60 hl/ha. C’est une sorte d’assurance pour les moins bonnes années. Cette demande a déjà été faite en en 2018 où il y avait eu une très belle récolte, à la fois en quantité et en qualité. Car les viticulteurs n’ont le droit de stocker que 30 hl/ha au maximum, au total, sur plusieurs années ». Une autre demande serait aussi de permettre aux viticulteurs d’accéder aux indemnisations pour calamités agricoles.
Quant à l’arboriculture ? Si les producteurs peuvent accéder aux calamités agricoles, les demandes sont soumises à certaines conditions. « On va essayer de déroger à ces conditions car certains risquent de passer à côté. Par exemple, pour les arboriculteurs qui ont aussi une part importante de grandes cultures, la perte de l’arboriculture ne permet pas de déclencher le dispositif car c’est noyé dans la masse », indique Damien Brayotel. « Dans l’arboriculture, la rentabilité est encore moindre que celle de la viticulture. Il y a un risque d’abandon de la production encore plus important. C’est une filière emblématique du département avec de l’emploi derrière. S’il n’y a plus de fruits à Jussy c’était comme s’il n’y avait plus de vignes à Chablis. Et cela sera dramatique », conclut le président de la FDSEA de l’Yonne.