Des agriculteurs mettent le nez dans la mécanique logistique
La commercialisation de produits agricoles locaux se heurte souvent aux limites fixées par les impératifs de la logistique. Afin de mettre en lumière l'intérêt de travailler en complémentarité, la Chambre d'agriculture de Côte-d'Or a convié des producteurs à découvrir l'envers du décor des logisticiens.
La logistique est un métier à part entière, qui réclame des compétences, des savoir-faire, et qui ne s'improvise pas. Les producteurs agricoles désireux de vendre en direct et donc, d'assurer eux-mêmes leurs livraisons, comprennent en général assez vite que cela leur prend trop de temps et leur coûte aussi de l'argent… Voilà pourquoi toute dynamique visant à développer la consommation de produits locaux, auprès de particuliers ou en restauration collective, se heurte inévitablement à cet écueil de la logistique. En Côte-d'Or, une réflexion est portée sur cet aspect, de la part du Conseil départemental, dans le cadre des Projet alimentaires territoriaux (PAT), mais également à l'initiative de la Chambre d'agriculture. Afin de faire prendre conscience à tous les acteurs concernés de l'importance d'instaurer une complémentarité entre agriculteurs et logisticiens, trois rencontres ont été organisées en septembre et octobre.
Questions nombreuses
La première a permis à huit exploitants de découvrir le travail de Cap Nord Livraison, basée à Longvic, près de Dijon. Spécialisée dans le transport et la messagerie de pièces mécaniques pour garages et exploitations agricoles, elle explore aujourd’hui une nouvelle voie : proposer ses services aux producteurs locaux pour acheminer leurs produits directement chez leurs clients. Les échanges sont allés bon train car les questions ne manquent pas : comment concilier proximité avec le client et délégation de la livraison ? Quels volumes rendent le transport rentable ? Comment intégrer des frais de livraison sans freiner l’achat ? Comment s’assurer du respect de la traçabilité des produits ? Il y a aussi des obstacles : éloignement géographique, faibles volumes, crainte de perdre le lien direct avec le consommateur… Consciente de ces enjeux, Cap Nord Livraison, a présenté ses premières expérimentations, sa volonté d’évoluer aux côtés de ses clients, en adaptant ses services aux besoins spécifiques des producteurs. Elle propose une solution souple, fiable et humaine, qui respecte les valeurs des circuits courts tout en facilitant leur développement. Cette première rencontre a ouvert des perspectives concrètes pour renforcer les liens entre producteurs et acheteurs locaux, tout en allégeant les contraintes du quotidien. Elle a aussi permis au PAT départemental, porté par le Département et la Chambre d’agriculture, d'aller plus loin dans son rôle de catalyseur, en favorisant les synergies locales et en soutenant les initiatives innovantes.
Des pistes d'optimisation
La seconde visite s'est tenue chez TerreAzur, filiale du groupe Pomona, à Chevigny-Saint-Sauveur, toujours sur la métropole dijonnaise. Des maraîchers locaux (producteurs de pommes de terre, carottes, oignons, choux, butternuts, potimarrons, pleurotes, fruits rouges et noirs) ont été reçus par Emmanuel Perdriset, dirigeant du site. Des partages d’expériences par les producteurs déjà fournisseurs ont permis d’apporter des pistes de réflexion à d’autres producteurs présents et curieux de découvrir le mécanisme. Les échanges ont permis d’identifier des pistes d’optimisation et de mieux articuler les rôles entre producteurs et distributeurs. L’objectif : rendre les circuits courts plus viables économiquement tout en préservant leur ancrage territorial et une juste rémunération des producteurs. TerreAzur, grossiste alimentaire depuis plus de 110 ans, est un acteur bien implanté en Bourgogne-Franche-Comté. L’entreprise commercialise à parts égales auprès de la restauration collective et commerciale. Elle s’est engagée dans une démarche de valorisation des produits régionaux à travers sa marque « Produits de nos régions », accompagnée d’un catalogue spécifique transmis à ses clients. Elle propose une démarche de partenariat basée sur la contractualisation, de la confiance et de la visibilité avec un engagement dans la durée. La clé, c'est l'accompagnement des producteurs de la planification des cultures jusqu’à la récolte : choix variétal, visites sur site, schémas de production… Une relation se tisse, qui permet aux producteurs de sécuriser leur commercialisation. Si les échanges ont été constructifs, la question du coût logistique reste centrale. La livraison de petits volumes est souvent trop coûteuse en temps et en argent. Une réflexion est nécessaire pour mutualiser les flux et mieux répartir les rôles : chacun son métier, mais avec une stratégie commune. Pour intégrer le réseau TerreAzur, les producteurs doivent répondre à des exigences claires requises par la législation : étiquetage conforme, traçabilité, analyses. Autant d'aspects sur lesquels les producteurs déjà fournisseurs se sont montrés rassurants auprès de leurs collègues.
Prises de rendez-vous
La troisième visite avait lieu chez Sodifragel, à Demigny, en Saône-et-Loire. Fondée en 1998, l'entreprise est issue du réseau de coopératives laitières France Frais et rayonne sur plusieurs départements : Côte-d’Or, Nièvre, Jura, Saône-et-Loire et Doubs. Sept producteurs étaient présents pour échanger sur les besoins en produits laitiers locaux, produits surgelés, viandes et charcuteries, produits festifs. La visite de l’entrepôt a permis des échanges constructifs avec les membres de l’équipe : direction du site, responsables commerciaux, logistique et qualité. Les discussions ont été franches, abordant aussi bien les prix que les contrats. Des rendez-vous ont été pris à cette occasion pour envisager des collaborations. Des relations prometteuses pourraient naître de cette rencontre.
Travailler avec des logisticiens : banco ?
Florian Giraux est polyculteur éleveur et producteur de champignons Pleurote à Villaines-en -Duesmois, dans le nord Côte-d'Or. Sa découverte de l'univers et du fonctionnement de la logistique lui est très utile. « C'était très intéressant. Je n'imaginais pas du tout les coûts que la logistique pouvait représenter. J'ai participé à la visite chez Cap Nord Livraisons et j'ai trouvé que l'approche était très fonctionnelle, rapide, cadrée et en même temps, flexible. Pour l'instant je fais moi-même ma tournée de livraison, chaque mardi, sur Dijon, et le jeudi ou le vendredi dans le Châtillonnais, auprès de grandes surfaces et de restaurateurs. Je n'exclus pas d'avoir recours à un prestataire en logistique, parce que les livraisons me prennent beaucoup de temps. Faire appel à une entreprise peut aussi me permettre plus de souplesse dans le rythme des livraisons, pour mieux correspondre aux besoins de mes clients. J'ai encore besoin de développer ma production, mais, à terme, faire appel à un logisticien me paraît utile. Surtout que les coûts ne me paraissent pas excessifs ».