De nouvelles cultures face au changement climatique
Afin d’anticiper le réchauffement climatique, certains producteurs, accompagnés par des organismes techniques, cherchent des parades en testant de nouvelles cultures, souvent plus méridionales. Des grenadiers, amandiers et agrumes fleurissent ainsi dans le sud de la région Auvergne Rhône-Alpes.

De nombreux arboriculteurs doivent dorénavant conjuguer leurs cultures avec des restrictions d’eau et des épisodes caniculaires de plus en plus fréquents. Trouver des espèces fruitières qui tolèrent davantage la sécheresse et le stress hydrique constitue donc une priorité. C’est dans ce contexte que le projet Pepigramette (Pécan, PIstache, GRenade, AMande, noisETTE) a vu le jour, en janvier 2023, pour une durée de trois ans. Porté par la Senura, la Sefra, le Grab(1) et la Chambre d’agriculture de la Drôme, ce programme évalue la capacité d’adaptation et de développement de ces espèces.
La grenade, un fruit prometteur
Selon Claire Gorski, conseillère en arboriculture à la chambre d’agriculture de la Drôme, la grenade présenterait de bons rendements. Cinq variétés sont suivies en Ardèche sur un sol sableux, tandis que six variétés le sont également sur le site de la Sefra, dans la Drôme, sur des sols de type diluvium alpin et caillouteux. Conduites en buissons, les variétés wonderful et kandhari se sont révélées productives. « La première possède une double destination pour faire du fruit frais et du jus, tandis que la seconde est plutôt destinée à faire du jus », explique la professionnelle. La variété hermione rend une production moyenne, mais permet d’obtenir un fruit de bonne qualité avec des arilles rouges, mous et juteux, très intéressants pour le frais. Seul inconvénient : l’éclatement, également appelé « cracking ». « Si le fruit éclate une semaine avant la récolte, le jus peut être sauvé, mais si ce phénomène apparaît un mois avant, le risque de pourriture est trop grand et rend le jus imbuvable ». Enfin, la variété acco, plus rustique, semble adaptée aux zones d’altitude. « Mais elle doit être plantée dans des régions où il y a de faibles risques de pluie en septembre, afin d’éviter le cracking ».
Une méticuleuse transformation en jus
Producteur en Ardèche, à quelques kilomètres de Valence (Drôme), Sylvain Laprat a arraché 30 ha de pêchers à la suite de dégâts de sharka survenus en 2019. Kiwis, noix, pommiers, pêchers, coings, poires, prunes, cerises et grenades peuplent dorénavant ses vergers. L’idée de la grenade lui est venue de son pépiniériste. « Il s‘agit d’une culture qui nécessite de l’irrigation, mais qui reste moins gourmande en eau. Même si les arbres ont des besoins réguliers, on peut en manquer l’été, contrairement à des cultures plus demandeuses comme le kiwi ou la pêche ». Largement convaincu par cette culture, le mélange de deux variétés lui permet de transformer ses grenades en jus, qu’il vend ensuite dans différents magasins de producteurs, dans des casiers autonomes et en vente directe à la ferme. « Les bonnes années, je presse 9 tonnes de fruits pour un prix de 10 € le litre en magasins de producteurs et de 6,45 € HT comme prix d’appel pour mes clients ou fournisseurs, détaille le fondateur de la société Lap’fruits. Mais il faut bien admettre qu’on ne vend pas du jus de grenade comme du jus de pomme, il faut faire de la communication autour du produit et s’assurer de la qualité du jus, qui peut être imbuvable s’il est mal pressé ou que les variétés choisies sont trop acides ». Si ce modèle fonctionne, Claire Gorski tient à souligner qu’une telle diversification ne peut s’envisager sans un circuit de vente bien rodé. « C’est une bonne idée de chercher à s’adapter, mais il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier et s’assurer d’avoir le débouché ensuite ».
L’arrivée d’agrumes résistants au froid
Il y a six ans, Yoann Cabourg a fait un tout autre pari : la plantation d’agrumes résistants au froid à Saint-Andéol-de-Vals, en Ardèche. Parmi ces dernières, la mandarine satsuma, originaire du nord du Japon et qui se récolte début novembre, ainsi que le célèbre yuzu. « Ces plantes exotiques n’ont pas encore de ravageurs adaptés, il s’agit donc d’une culture confortable, au même titre que les patates douces ou les fruits de la passion », affirme l’arboriculteur en bio. Pour sa seconde année de transformation, l’Ardéchois vend ses agrumes sous forme de glaces et de confitures sur deux marchés nocturnes et en magasins de producteurs. Les greffes d’agrumes lui permettent également d’assurer une petite activité de pépiniériste. « L’atelier de transformation représente 50 % de mon chiffre d’affaires et les plus grosses ventes sont surtout les petits fruits et les châtaignes », déclare le producteur, qui note tout de même un fort intérêt de ses clients pour la mandarine et le yuzu. « Concernant ces deux agrumes, j’ai déjà vendu toute ma production de l’an dernier. La demande est plus importante que l’offre, d’autant plus que nous ne sommes, pour l’instant, que trois arboriculteurs ardéchois à avoir planté des agrumes… Mais avec le changement climatique, ces productions vont être amenées à se développer ». Preuve de cet engouement, d’autres plantations existent d’ores et déjà dans la Drôme des collines. Selon Claire Gorski, un second projet Pepigramette intégrant l’introduction d’agrumes devrait ainsi voir le jour.
Pépigramette // Des résultats à consolider en amandes, noisettes et pistaches

Outre les grenades, le projet Pepigramette a mis au jour des résultats en amandes, noisettes et pistaches. Selon Claire Gorski, conseillère en arboriculture à la chambre d’agriculture de la Drôme, une variété d’amande s’est montrée très sensible au fusicoccum, ce qui a entraîné l’arrachage d’une partie des parcelles. La variété lauranne semble moins sujette à cette maladie, mais sa sensibilité à eurytoma reste à confirmer. Enfin, la variété princesse est, quant à elle, plutôt sensible au coryneum. Les rendements varient également d’une année à l’autre, surtout sur des amandiers non irrigués, ce qui constitue un lourd inconvénient, d’autant plus que l’Espagne sature déjà le marché français à des coûts attractifs.
« Beaucoup de producteurs français font machine arrière, car les débouchés ne sont pas si nombreux et la demande n’est pas encore bien ficelée », confie la chargée de projet. Un schéma qui risque de se répéter pour la grenade, excepté pour les producteurs qui font de la vente directe ou qui privilégient des circuits courts, comme « ceux qui avaient généralement des abricots, des pêches, des cerises, voire du maraîchage, et qui se sont diversifiés avec des débouchés en magasins de producteurs ». Concernant les noisettes, le constat est bien plus affirmé. « Aucune variété ne semble être réellement adaptée au territoire rhônalpin, puisque dans tous les cas, nous avons retrouvé des dégâts de balanin et de punaises diaboliques, choses que nous n’observions pas avant », détaille l’experte. Sur pistachiers, les parcelles sont rentrées pour la première fois en production en 2024. La variété kerman a subi des dégâts d’alternariose, tandis qu’une parcelle située à la station d’expérimentation nucicole Rhône- Alpes (Senura) a produit des fruits, qui sont finalement tombés, sans que les chargés d’expérimentation n’aient pu en trouver la raison. Le potentiel économique de la pistache est pourtant bien réel, à condition de rester compétitif par rapport à des pays voisins déjà producteurs, tels que la Turquie.

(1) Station d'expérimentation nucicole Rhône-Alpes, la station d'expérimentation Fruits Auvergne-Rhône-Alpes (en cours de liquidation) et le Groupe de recherche en agriculture biologique.