Accès au contenu
Stockage

Conserver sa récolte à la ferme

Plutôt que d’avoir recours à un organisme stockeur, Sylvain Sabard et Serge Berlin, céréaliers icaunais, ont choisi de garder leur récolte à la ferme. Une entreprise qui requiert un savoir-faire précis.
Par Hugo Albandea
Conserver sa récolte à la ferme
Sur le site de Palteau, Sylvain Sabard a mis en place 11 cellules de stockage.
Pas de silo à proximité, prix trop bas au moment de la récolte, accès à des marchés spécifiques… Que les contraintes soient techniques ou économiques, il peut être intéressant de conserver le grain à la ferme, pour une durée plus ou moins longue. C’est le choix qu’ont fait Sylvain Sabard et Serge Berlin, deux agriculteurs de l’Yonne qui bénéficient de lieux de stockage sur place depuis le début de leur activité.
Sylvain Sabard, céréalier d’Armeau, et Serge Berlin, exploitant à La-Chapelle-sur-Oreuse, ont reçu de leurs pères respectifs une ferme équipée de cellules de stockage. Le premier a trois installations, à proximité de Saint-Julien-du-Sault, avec 15 cellules et 2 granges pour une capacité totale de presque 18 000 quintaux. «J’ai repris le travail de mon père, qui avait 3 cellules», explique Sylvain Sabard. «Les investissements ont été minimes, j’ai acheté de nouvelles cellules d’occasion un peu partout… celle-ci vient de Béziers !» Le cas de Serge Berlin est similaire : il a modernisé les premiers équipements achetés en 1964. En 2014, tout a été remis aux normes. Aujourd’hui, il bénéficie de 8 cellules contenant 5 000 quintaux environ.
Pour conserver la récolte à la ferme, deux possibilités : au sol (dans une grange ou une case) ou en cellule. Chaque type de stockage a ses avantages et ses inconvénients, comme l’indique Jean-Yves Moreau, ingénieur recherche au pôle stockage de grains chez Arvalis : «Les cases sont un peu moins chères, elles conviennent bien à des stockages de courte durée (moins d’un mois). Mais elles demandent une bonne maîtrise de la propreté pour que le site soit impeccable. Les cellules ont l’avantage d’être un lieu de stockage dédié, avec moins de risques sanitaires. En plus, la manutention est automatisée, contrairement au stockage au sol».

Fraîcheur et aération, les secrets de la longévité
Les deux principaux facteurs de risque lors du stockage sont la moisissure et les insectes. Première précaution, donc : ne pas engranger de grain humide, comme le précise Sylvain Sabard : «Je moissonne à sec, c’est indispensable avant de mettre en cellules. Si j’ai une benne humide, je l’emmène à l’O.S., je ne prends pas de risque».
Il faut ensuite empêcher les proliférations d’insectes tels que le silvain ou le charançon. Pour cela, deux possibilités : appliquer un insecticide directement sur le grain ou utiliser un système de refroidissement. Chez Arvalis, Jean-Luc Moreau conseille plutôt la seconde option : «La ventilation est le système le plus performant. Les insecticides ont une durée d’action limitée, de l’ordre de cinq ou six mois, alors que la ventilation fonctionne toute l’année». Une recommandation observée sur le terrain par les deux céréaliers, qui ont renoncé à appliquer des produits phytosanitaires sur leur récolte. Serge Berlin s’en félicite : «Je ne reviendrais pas à un insecticide. Quand je vidais ou nettoyais les cellules, il y avait des résidus partout, je le sentais bien. C’était infernal. Maintenant, c’est mieux pour moi et je mets sur le marché un produit plus sain».
En plus d’empêcher la prolifération d’insectes, le refroidissement permet de protéger la qualité de la récolte. Grâce à un ventilateur qui fait circuler de l’air sous les grains, leur température baisse pour améliorer la conservation. Mais attention, le procédé demande un certain savoir-faire. Si le refroidissement est trop rapide, il provoque de la condensation. Pour éviter un phénomène de croûtage ou la formation de gouttes d’eau, il faut abaisser la température des cellules par paliers : un premier à la récolte (20 °C à 25 °C), un deuxième en octobre (12 °C à 15 °C) et un dernier à l’hiver (0 °C à 5 °C). Ces chiffres peuvent toutefois varier selon la météo. Avec la fraîcheur d’août, Sylvain Sabard et Serge Berlin ont déjà réussi à abaisser la température à 15 °C environ.

Moissons nocturnes et marchés spécifiques
Si le stockage à la ferme s’accompagne de certaines contraintes, comme la gestion de la température des cellules et leur nettoyage, il possède des atouts non négligeables pour les agriculteurs. D’une part, ils n’ont plus de limite de temps au moment des moissons. Sylvain Sabard et Serge Berlin peuvent récolter jusqu’à trois ou quatre heures du matin, puisque contrairement aux O.S., leurs cellules sont ouvertes 24 heures sur 24. D’autre part, stocker sur place permet d’accéder à des marchés spécifiques et à des prix intéressants.
Sylvain Sabard a déjà vendu une partie de sa récolte, mais il compte attendre de meilleurs auspices sur le marché mondial avant d’écouler le reste. Serge Berlin, quant à lui, produit des blés C.R.C. (Culture raisonnée contrôlée) avec sa coopérative Ynovaé. Un marché auquel il a eu accès grâce à sa démarche de stockage à la ferme.
De telles installations restent un investissement important pour qui voudrait tenter l’expérience. «Le plus important avant de se lancer, c’est de bien réfléchir en amont», avertit Jean-Yves Moreau. «Pourquoi veut-on stocker ? Combien de temps ? La réponse à ces questions déterminera le type d’investissement».