Engrais verts
Cibler ses besoins

Judith Nagopaé (CA 58) et Chloé Monget
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La Chambre d’agriculture de la Nièvre organisait, le 11 octobre, un tour de jardin portant sur la restitution de leurs essais d’engrais verts menés sur cinq exploitations maraîchères du département.

Cibler ses besoins
Judith Nagopaé conseille une destruction des graminées à montaison voire début épiaison grand maximum (les tissus seront encore facilement dégradables par les micro-organismes du sol) et pour les autres espèces à floraison afin d'éviter la propagation des graines.

La restitution des essais « engrais verts » menés conjointement entre la Chambre d’agriculture de la Nièvre (CA 58) et Bio Bourgogne s’est déroulée le 11 octobre sur l’exploitation de Guillaume Debeer (La Baratt’ABio). « Nous voulions avoir un rendu précis de l’intérêt de mettre des engrais verts en culture intermédiaire principalement dans le but de suivre les taux d’azote avant, pendant et après leur implantation » souligne Judith Nagopaé, conseillère maraîchage auprès de la CA 58.

Protocole

« Nous avions décidé de partir sur un protocole commun avec une implantation à la volée d’un mélange identique, pour tous les essais, fin d’été 2021 afin d’avoir un socle de comparaison similaire sur les cinq sites. Nous avons réalisé des prélèvements de terres et des notations, avant la mise en place des couverts mais également pendant et surtout après leur destruction et ce sur quasiment 11 mois. L’objectif principal de ces essais était de pouvoir comparer les résultats (biomasse sèche, azote-phosphore et potasse) sur un même site entre une parcelle semée dudit mélange et une bande témoin (sol dit nu) ; mais aussi confronter les résultats entre les différents sites ». Pour rappel, les exploitations participantes étaient : Le Potager d’Ici à Nevers (sol à dominante sableuse), les Jardins du Marault à Magny-Cours (50 % de sable, 45 % de Limon et 5 % d’argile), la Baratt’ABio à Nevers (sol à dominante sableuse), le Gaec des Fourmis à Rouy (deux types d’argiles) et celle de Stéphane Gautheron à Saint-Parize-le-Châtel (Limono-argileux).

Observations et résultats

« Les principaux freins rencontrés pour le développement des engrais verts furent : les attaques d’oiseaux et de lapins dans la plupart des sites. On note d’autres obstacles comme les maladies à l’image de ce que nous avons observé chez Stéphane Gautheron avec la présence de bactériose, anthracnose, virose sur graminées transmise par un puceron. Toujours sur cette parcelle, une hydromorphie de la parcelle d’essai survenue une grande partie de l’hiver n’a rien arrangé. Pour évaluer, en partie, l’intérêt des couverts végétaux, nous avons utilisé la méthode MERCI (Méthode d’estimation des Restitutions par les Cultures Intermédiaires) principalement utilisée en système grandes cultures mais adaptable, sous certaines conditions, au maraîchage. En sortie d’hiver, il nous a fallu, pour cela, faire des prélèvements de biomasses végétales (3 échantillons de 0.25m²/bande), recenser chaque espèce du couvert puis les peser pour évaluer la biomasse sèche en résultant mais également les restitutions potentielles en azote, phosphore et potassium (ou NPK) ». Même si certains résultats semblent mitigés, la conclusion est claire : « il y a une expression plus ou moins importante selon les sites et surtout selon les espèces présentes dans le couvert. Au Gaec des Fourmis, par exemple, le couvert a permis d’obtenir environ 6 t/ha de biomasse sèche et 55 kg/ha d’azote (N), 25 kg/ha de phosphore (P₂O₅) et 190 kg/ha de potassium (K₂O). Ces données peuvent permettre, en partie, d’ajuster la fertilisation sur la culture suivante et donc de maîtriser ses intrants ».

Et les nitrates ?

Elle poursuit : « L’évolution de la quantité de nitrates (NO₃̅ forme d’azote assimilable par les plantes) disponible dans le sol a pu être suivie grâce à l’utilisation de l’outil Nitracheck. Pour cela des prélèvements de terre ont été faits tout au long de la campagne d’essai. La quantité de nitrate oscille entre 25 et 40 kg/ha sur tous les sites, avant implantation des couverts puis ira en diminuant avant d’être complètement nulle de mi-février à avril. Puis, la remontée du nitrate est indéniable après la destruction des couverts végétaux et leurs enfouissements. Il faut toujours prendre en compte les conditions météorologiques au moment de la destruction du couvert mais également le stade des couverts qui impactera forcément la décomposition des végétaux » détaille Judith Nagopaé avant d’ajouter : « il y a donc un intérêt à positionner un engrais vert. Mais il est nécessaire de bien cibler ses attentes avant d’implanter sa culture intermédiaire. Le type de sol devra aussi rentrer en ligne de compte, car, en fonction, il ne requerra pas les mêmes apports d’une parcelle à une autre. Enfin, la période de destruction est à respecter afin de ne pas laisser les graines des espèces les plus précoces réensemencer la parcelle - entraînant une élimination très compliquée une fois la culture suivante en place d’autant plus en système bio ».

Les limites et pistes à creuser

« Pour compléter ces données, il aurait été intéressant de s’attacher aux rendements des cultures implantées post-engrais verts en comparant avec des sols nus afin d’évaluer, l’impact sur la vigueur de départ ou encore « l’effet-vert » ou non. Il en va de même pour le pH du sol et notamment l’acidité observé sur certains types de sol » stipule Judith Nagopaé. Guillaume Debeer rebondit : « Pour ma part, les engrais verts engendrent une augmentation de l’acidité des sols, donc je ne suis pas certain que, pour des sols déjà acides, les engrais verts soient une bonne solution ». Stéphane Gautheron indique également : « sur mes sols qui sont très hydromorphes, l’implantation d’engrais verts est très complexe car leur croissance est ralentie voire stoppée, ce qui retarde un peu plus leur destruction car l’accès aux parcelles au printemps n’est pas souvent évident. Cela peut me faire prendre du retard sur l’implantation de ma culture suivante ». Ainsi, même si les engrais verts ne sont pas une solution miracle, Guillaume Debeer conclu : « Ils ont leur revers de médailles mais, liés à du fumier, ils offrent au sol une matière organique qui retiendra l’eau, et donc engendrera un arrosage moindre ; par les temps qui courent cela n’est pas négligeable ». Judith Nagopaé insiste : « La mise en place des engrais verts s’inclut dans une réflexion globale à l’échelle de l’exploitation et leur impact sera visible l’année N mais également les années suivantes… ».