Élections européennes
L'agriculture, enjeu particulier du scrutin
Parlement, Conseil, Commission… Il est parfois difficile de s’y retrouver parmi toutes ces institutions européennes. Entre le 6 et le 9 juin, les électeurs des 27 pays membres de l’Union européenne sont appelés à désigner leurs eurodéputés. Nous revenons en particulier sur les enjeux agricoles liés à ce scrutin, à travers le point de vue du Côte-d’orien Jean-Pierre Fleury.
Les 720 eurodéputés élus en juin siégeront au Parlement européen, situé à Strasbourg, durant cinq ans. La répartition des sièges dépend de la population de chaque pays. L’Allemagne, pays le plus peuplé, dispose ainsi de quatre-vingt-seize eurodéputés quand Malte, Chypre et le Luxembourg en comptent seulement six. En France, ce nombre va s’élever à quatre-vingt-un et l’élection se fera au suffrage universel à un tour, le dimanche 9 juin. Le citoyen est appelé à voter pour une liste de candidats, généralement constituée par un ou plusieurs partis politiques nationaux. Si une liste recueille moins de 5 %, elle n’obtient aucun siège au Parlement européen. Au-dessus des 5 %, les listes bénéficient d’un nombre de sièges proportionnel à leur nombre de voix. Afin de comprendre le rôle du Parlement européen, il est essentiel de revenir sur le triptyque que forment les instances européennes.
L’Europe au quotidien des citoyens
« La Commission européenne est l’institution technique qui n’est pas censée être politique, mais qui est là pour proposer des lois et s’assurer de leur mise en œuvre. A contrario, le Conseil, composé des représentants des États membres et le Parlement, composé des eurodéputés, décident et votent », explique Faustine Bas-Defossez, du Bureau européen de l’environnement et spécialiste de la Politique agricole commune (Pac). Une fois en poste, les eurodéputés éliront leur président ou présidente à l’occasion d’une première session plénière en juillet. La désignation du président ou de la présidente de la Commission, élu par le Parlement sur proposition du Conseil, interviendra seulement quelques semaines plus tard. Que peuvent réellement changer ces institutions au quotidien des citoyens ? La suppression des frais d’itinérance téléphonique lors de voyages, l’interdiction du plastique à usage unique ou encore l’application du régime général sur la protection des données, plus connue sous le nom de « RGPD », sont autant de décisions issues des instances politiques européennes.
La Pac, sujet central des prochaines années
Concernant l’agriculture, la mesure emblématique est la Pac. Principale ligne de dépense de l’UE, elle a distribué 58,3 milliards d’euros en 2022. La France est de loin le pays membre qui en bénéficie le plus (9,5 milliards d’euros), suivie par l’Espagne et l’Allemagne qui reçoivent respectivement 6,9 et 6,4 milliards d’euros par an. Selon Faustine Bas-Defossez, la Pac est un sujet d’autant plus important que sa réforme va être au cœur du prochain mandat des eurodéputés. « La révision du cadre financier pluriannuel s’arrête en 2027, mais les négociations pour établir ce nouveau cadre qui durera de 2028 jusqu’à 2034, ainsi que les discussions autour du budget de la Pac, vont débuter dès 2025. » Outre l’éventuelle relance d’un dialogue autour du Green Deal (Pacte vert), la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE risque d’enflammer les débats de l’hémicycle européen. Suite au conflit avec la Russie, l’Ukraine a été déclarée candidate en juin 2022 et a reçu le feu vert pour les négociations d’adhésion en décembre 2023. « Certaines personnes évoquent une adhésion à l’horizon 2030 », note la spécialiste. Selon un récent rapport du groupe de réflexion Bruegel, cette adhésion de Kiev à l’UE permettrait au pays céréalier d’obtenir 85 milliards d’euros d’aide de la Pac. Ce qui ferait de l’Ukraine le plus grand bénéficiaire de cette politique.
Jean-Pierre Fleury : « Il va nous falloir un Commissaire à l'agriculture français »
Président pendant près de dix ans du groupe de travail Viande bovine au sein du Copa-Cogeca, organisme représentant les syndicats agricoles de l’Union européenne, le Côte-d’Orien Jean-Pierre Fleury est un bon connaisseur des mécaniques à l’œuvre dans les débats qui traversent le Parlement européen. Il livre ici sa vision des choses sur ce qui se joue : « Lorsque la Pac actuelle s’est construite, j’avais vraiment eu le sentiment d’une dichotomie entre une volonté européenne de prendre en compte le changement climatique, l’environnement, la biodiversité et l’impression d’un éloignement envers les principes de l’économie de marché. Cela reflétait les alliances politiques nées dans la foulée des dernières élections européennes de 2019, notamment avec des parties écologistes. L’Europe devait montrer l’exemple au reste du monde mais cela s’est révélé être une utopie. À ce moment-là, les décisions agricoles se sont mises à dépendre de quatre Commissaires européens : la Santé, le Climat, l’Environnement et le Commerce. Finalement, on s’est retrouvé avec un commissariat à l’Agriculture qui n’avait le droit de rien dire sur la Pac… On a décidé à ce moment-là de prendre l’agriculture non par le biais de la production, mais par celui de l’alimentation et là-dessus, les notes concernant l’agriculture ont subi une forte influence des ONG. En résumé, le message était le suivant : « il faut modifier le régime alimentaire des Européens ». De là, on en est arrivé au sujet de manger de moins en moins de viande. Le secteur animal de la Pac s’est retrouvé marginalisé par une certaine « prise de pouvoir » sur l’agriculture, du commissariat à la Santé. Alors, certes, la colère agricole exprimée en début d’année dans plusieurs pays européens a mis un peu tout cela en sommeil, mais dès que les élections seront passées et que les commissaires seront nommés, je pense que ce combat va repartir. Les agriculteurs doivent aller voter et, dès maintenant, il faut faire pression sur les députés et les sénateurs, et auprès du gouvernement pour décider de qui sera le prochain commissaire européen à l’Agriculture. La France va-t-elle proposer un candidat à ce poste ? Il y a très longtemps que ça n’a pas été le cas. La France devrait même se prononcer sur ce point avant les élections, en accord avec sa volonté de favoriser une souveraineté alimentaire européenne, en lien avec la Loi d’orientation agricole. Sur les accords de libre-échange, d’un côté, on serre la vis aux paysans en leur demandant de produire moins et avec plus de normes, et de l’autre, on ouvre encore plus le marché aux produits du reste du monde. L’opposition de ces deux orientations a fait dérailler le « train agricole » en début d’année. Depuis trente ans que j’observe ce qui se passe autour des accords de libre-échange, la viande bovine, par exemple, a toujours servi de variable d’ajustement. Si l’accord avec le Mercosur se fait, on va dépasser les 300 000 t d’importation de viande chaque année. On a tellement offert la viande bovine pour obtenir des avancées sur des produits « offensifs » (automobile, services, aéronautique) qu’il ne reste plus rien à donner… C’est pourquoi la France doit obtenir de prendre le commissariat à l’Agriculture ».