Vinosphère 2023
Dossier vigne : le changement climatique, une donnée qu'il faut avoir en tête

Cédric Michelin
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Invitée du dernier Vinosphère du BIVB, à Beaune, Valérie Masson-Delmotte était venue parler du changement climatique. Infatigable pédagogue, la paléo-climatologue, coprésidente depuis 2015 du Groupe 1 du Giec – qui a livré un nouveau rapport ce 20 mars - a expliqué scientifiquement et simplement pourquoi l’heure est grave pour l’Humanité et la biodiversité et notamment pour la viticulture.

Dossier vigne : le changement climatique, une donnée qu'il faut avoir en tête
La scientifique Valérie Masson-Delmotte a livré une conférence qui a fait forte impression lors du dernier Vinosphère, à Beaune.

Directrice de recherche au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et co-présidente du groupe de travail 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), Valérie Masson-Delmotte était à Beaune dernièrement, à l’occasion de Vinosphère, rendez-vous annuel organisé par le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB). Il avait cette année pour thème les « Mutations sociétales et environnementales ». Avec cette scientifique, les participants n’ont pas reçu une leçon, mais bien un important avertissement. Personne ne va échapper au changement climatique, pas même la Bourgogne et ses vignobles. Cela va être dur, très dur ! Entamant son propos par un « code-barres » illustrant le réchauffement à la surface de la terre depuis 1850, la température moyenne a augmenté de 1,15°C. « Donc nous avons vécu avec un climat qui change », ne nie-t-elle pas pour bien faire comprendre que ce réchauffement en 173 ans, va largement s’accélérer voire s’emballer, posant bien des questions en termes d’adaptations réalisables ou non. Le scénario intermédiaire du Giec prévoit +2°C en 2050 et +3°C en 2100. Oui mais voilà : la tendance est plutôt sur le scénario le plus noir et la flambée des thermomètres pourrait malheureusement encore plus s’envoler dans nos zones continentales. Une « rupture depuis 800 000 ans, inédite depuis plus de 2 millions d’années » est là.

Nécessité d’un sursaut

Malgré sa volonté de ne pas être anxiogène ou négative (n’excluant pas des scénarios de fortes baisses des émissions de Gaz à effet de serre (GES) ou d’absorption supérieure par la nature), on comprenait que son souhait serait de voir des « sursauts » et de « fortes actions pour réduire les émissions de GES dans le monde » pour simplement « réussir à stabiliser le réchauffement ». Et encore, à condition que ces efforts soient accomplis pendant plusieurs décennies. Au vu de la géopolitique actuelle, tous les pays ne sont pas alignés sur ces efforts et elle invitait à « se préparer en termes de gestion de risques et stratégies d’adaptation ». Elle plaidait pour être « acteur vers des émissions tendant vers zéro », saluant ainsi le projet d’Objectif climat de la filière viticole des vins de Bourgogne voulant être neutre en 2035. Valérie Masson-Delmotte soulignait que le Giec surveille « l’intégrité des engagements de neutralité carbone », ouvrant la voie à critiques si cela se résume à du verdissement de circonstance.

Émissions en baisse… en France

Parlant de « transformations choisies » et de « transformations subies », le changement climatique n’épargnera personne, expliquent les centaines de scientifiques et recherches de par le monde. Les membres du Giec font œuvre de pédagogie en multipliant les rapports simplifiés, les données personnalisables (cartes géographiques en ligne) et fiches scolaires… « mais on est plus souvent sensibilisé après avoir été affecté par un événement météorologique nouveau. Vous vous préparez alors s’il doit revenir », soulignait Valérie Masson-Delmotte. « Mais vous n’êtes pas préparés à l’ensemble des problématiques qui vont s’intensifier dans les décennies à venir », mettait-elle en garde. Elle rappelait qu’en France, les émissions ont baissé lors de la dernière décennie de -1,7 % à -1,9 % par an, importations comprises, sous le feu des actions politiques, réglementaires, industrielles… Ne plaidant pas pour une décroissance, Valérie Masson-Delmotte encourageait à amplifier les transitions, énergétiques en premier lieu avec les renouvelables amenées à se développer, le stockage électrique en batteries. « Malgré cela, nous sommes dans la situation où les émissions mondiales de GES continuent à augmenter ». Tous les gaz ne se valent pas en pouvoir à effet de serre, paramètre auquel il faut rajouter les volumes émis. Les centrales à charbon arrivent alors en tête, suivies par le pétrole, puis la déforestation. Sans oublier les fuites de méthane liées aux extractions d’énergies fossiles et aussi liées à l’augmentation du cheptel de ruminants pour nourrir la population mondiale. Industries, secteur du bâtiment et agriculture se tiennent ensuite en termes d’émission en France, mais la dernière est aussi vitale et un moyen de captation. « On a beaucoup désindustrialisé en France et délocalisé dans des pays qui utilisent des énergies comme le charbon, multipliant par 1,4 fois les émissions territoriales », pour arriver à une moyenne par Français et par an, de 9 T de dioxyde. Le vignoble de Bourgogne est dans son ensemble un des plus riches au monde, saura-t-il être aussi le plus durable… pour 2000 ans encore ?