FDSEA 58
S'ajuster pour l'avenir

Chloé Monget
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Pour faire suite à l'article dédié à la soirée élevage de la FDSEA 58, voici les interventions plus détaillées des trois invités. 

S'ajuster pour l'avenir
« Entre décapitalisation et évolution de la consommation : quelles perspectives pour nos outils d’abattages ? » était le thème de la soirée élevage de la FDSEA 58 pour cette année.

Pour mémoire, la soirée élevage de la FDSEA 58, du 9 novembre avait pour thème : « Entre décapitalisation et évolution de la consommation : quelles perspectives pour nos outils d’abattages ? ». Afin d’aborder ce sujet, trois invités avaient été conviés pour en parler : Amélie Brisson, responsable du service élevage-EdE de la Chambre d’agriculture de la Nièvre, Caroline Mousseron, directrice d’Interbev BFC et Dominique Guineheux, directeur des achats chez Bigard et représentant de Culture Viande (1) à Interbev (2). Comme indiqué dans l’article précédent (voir TDB N° 1759), voici un retour de leurs présentations.

Engraissement, la solution ?

Pour commencer, Amélie Brisson s’est attachée à dépeindre l’évolution du cheptel allaitant, en France et plus spécifiquement dans la Nièvre. « Nous notons une perte d’environ 2 % par an du cheptel allaitant dans notre département représentant entre 2016 et 2022 environ 15 000 vaches en moins (-11 %) : 2/3 d’entre elles ont été perdus sur les secteurs du Nivernais central et du Morvan. Au vu des femelles présentes en ce début d’année, les projections indiquent que cette baisse devrait se poursuivre en 2024 et 2025 ». Après ce panorama, Amélie Brisson a effectué un point sur l’engraissement : « Une pratique qui reste très limitée dans la Nièvre à la différence d’autres départements, comme la Saône-et-Loire où près de 60 % des vaches sont vendues finis. La question étant, est-ce que l’engraissement a un intérêt économique ? ». Afin de répondre à cette question, elle s’est appuyée sur les résultats du dossier « Évaluation économique de la finition des mâles et des femelles de 2016 à 2022 » offrant une vision de l’évolution de l’EBE/tête pour la finition. Elle précise que, dans ce chiffrage : « les calculs n’intègrent pas le coût d’un bâtiment supplémentaire s’il devait être nécessaire pour engraisser les animaux. Ils partent aussi du principe que des céréales sont produites dans l’exploitation pour l’autoconsommation ; les résultats sont donc indicatifs ». Avec cet éclairement, l’EBE/tête moyen entre 2016 et 2022 généré pour la finition des jeunes bovins est de + 134 euros, pour la finition des génisses de 30 – 33 mois : + 389 euros, pour les vaches de réformes la fourchette varie entre + 111 euros (à l’auge vente en automne) et + 225 euros (à l’herbe vente printemps). La présentation s’est poursuivie sur la question « finir plutôt que faire vêler ? » en comparant le poids économique des actes de production et les vêlages (avec et sans ABA). « Chez un producteur de broutards repoussés et de vaches maigres réalisant 100 vêlages, il est possible de baisser les vêlages de 11 % en finissant tous les broutards, ou de 7 % avec finition de toutes les vaches ». Elle insiste enfin sur le fait que, les coûts de production, calculés par l’Idele pour les animaux finis et qui intègrent la rémunération du capital et du travail de l’éleveur (2 SMIC), ne sont toujours pas couverts par la hausse des prix de ventes à cause de l’inflation.

Consommation évolutive

Ensuite, Caroline Mousseron s’attacha à la présentation de la consommation de viande en France et insiste : « Elle a évolué, c’est indéniable. Mais, cela ne veut pas dire que le public français ne consomme plus de viande ». Pour étayer ses propos, elle rappelle que désormais certains points entre en ligne de compte pour l’achat : « il y a des attentes sociétales pour le Bio, le local, le bien-être animal mais aussi tout ce qui concerne la santé via l’apport en protéine » et rassure l’assemblée : « Selon une étude « Végétariens et flexitariens en France en 2020 » réalisée sur le témoignage de 15 001 personnes de 15 à 20 ans seulement 2 % ont un régime excluant totalement la viande ». Afin d’avoir une vision plus large sur les évolutions de consommation (3), elle présente que depuis 2000 la consommation apparente de viande est quasi stable et a même une augmentation de 1 % en 2022 par rapport à 2021, avant de nuancer que pour le 1er semestre 2023, une baisse de 1 % est constatée. Elle ajoute qu’en 2022, la viande bovine passe au 3e rang des viandes les plus consommées en France, dépassée pour la première fois par le poulet. Pour la provenance de la viande, elle met en évidence une consommation de viande bovine se maintenant malgré l’inflation, mais se tournant vers un achat porté sur les viandes importées : « Historiquement nous sommes à 21 % de viande importée dans la consommation, depuis quelques années nous oscillons entre 23 et 26 %, le prix semble être la première raison de ce changement. Il y a aussi une autre modification de l’acte d’achat en GMS, avec une baisse de l’achat de viande brute au profit des produits transformés prouvant que les consommateurs se dirigent vers une cuisine rapide et facile à faire, ce qui peut expliquer l’attrait grandissant pour le haché ». Pour conclure, elle insiste : « la viande à une belle histoire passée mais aussi future. Il faut que nous nous réinventions avec un travail axé sur la qualité et aussi sur la constance de celle-ci. Nous devons également trouver de nouveaux produits adaptés aux formes actuelles de consommation et d’achat tout prenant en compte les préoccupations des consommateurs. Enfin, nous devons créer du lien entre consommateurs et producteurs afin de redonner un sens à l’achat ».

Projet commun

Enfin, Dominique Guineheux débute son intervention : « L’évolution du cheptel est à la baisse, c’est une réalité qui ne va pas s’arrêter car la problématique est structurelle. Les raisons sont mutli-factorielles comme l’âge des éleveurs, la rémunération, les contraintes d’élevages, etc. Il y a aussi un problème de valorisation de la carcasse, car si le haché offre un marché, force est de constater qu’il n’y a pas de grande valorisation via celui-ci. Cela transfère la valeur sur les morceaux nobles boudés, de par leur prix notamment. Cela étant, je rappelle que nous sommes, depuis quelques années, à 77 % d’autoconsommation en France, et cela va, selon toute vraisemblance, descendre à 64 % en 2030 au profit de l’importation. Clairement, le client achètera toujours de la viande, peu importe d’où elle vient et cela est inquiétant et dramatique pour notre cheptel et toute la filière française de manière générale. Il faut arriver à conserver un équilibre pour maintenir tous les outils que ce soit l’élevage ou l’abattage. Aujourd’hui, nous avons 290 outils d’abattage, et 250 uniquement dédiés aux bovins qui embauchent 36 000 salariés. Si les outils d’abattage disparaissent, il y aura un impact social gravissime. Si l’on suit la courbe de l’Idele, en 2023 il y aura une baisse de 10 000 bovins abattus par semaine (pour le moment nous sommes environ entre 58 000 et 60 000 bovins abattus/semaine), et donc les cartes seront redistribuées avec moins d’abattoirs sur le territoire. La répartition sur le territoire se fera automatiquement via l’économie : clairement, ceux qui ne sont pas rentables fermeront. Selon moi, il n’y a pas de fatalité, car si les outils sont conservés, les éleveurs aussi – et vice-versa. Pour arriver à faire évoluer la situation, il faut des leviers. Selon moi, la contractualisation en fait partie. Pour rappel, il existe trois types de contrat : à prix ferme (un prix qui n’évolue pas), à prix minimum garanti (un prix qui évolue en cas de cours supérieurs mais qui ne passera pas sous la barre du prix initial, mais qui évolue en cas d’augmentation des cours) et indexés (prix qui suivent ceux des cours sur lesquels l’indexation est établie comme une indexation sur le coût de production). C’est d’ailleurs ce dernier qui est compatible avec Égalim. Dans tous les cas, un bon contrat est celui qui convient aux deux parties ». Il conclut son intervention et celles des autres intervenants : « Pour conserver nos savoir-faire et la qualité de notre filière, il faut un projet commun ; à nous, éleveurs, marchands, abatteurs, bouchers, etc. de le mettre en place ».

1. Culture Viande : Syndicat qui fédère les entreprises françaises des viandes dites de boucherie (abattage, découpe, préparation et commercialisation) relevant du secteur de la viande bovine, ovine et porcine.

2. Interbev est l’Association Nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes, fondée en 1979 à l’initiative des organisations représentatives de la filière française de l’élevage et des viandes.

3. Sources : Agreste, DGDDI, Insee.