Marché des céréales
Conférence des marchés de Dijon Céréales : l'inquiétude face au blé russe

Berty Robert
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Lors de sa dernière Conférence des marchés, Dijon Céréales a invité les participants à se poser la question des enjeux pour les céréales françaises dans le contexte actuel d’évolution des marchés mondiaux marqué par d’importantes tensions géopolitiques.

Conférence des marchés de Dijon Céréales : l'inquiétude face au blé russe
Pour Arthur Portier, analyste chez Agritel, le potentiel de déstabilisation des marchés par la Russie n'est pas à prendre à la légère.

Une campagne 2023 marquée par l’hétérogénéité et la précocité, des rendements globalement en deçà des espoirs nés des contrôles visuels sur les cultures, et par la nécessité de répondre à des marchés de plus en plus segmentés. Voilà la réalité locale qui se situe en arrière-plan de la Conférence des marchés que Dijon Céréales organisait à Dijon début novembre. Après l’envolée des marchés liée à la guerre en Ukraine, on est revenu à une phase plus rationnelle de réorganisation, mais où l’instabilité demeure, sur fond de changement climatique… Face à cela, le regard d’Arthur Portier, consultant chez Agritel, société experte en stratégies des marchés agricoles, invité pour cette conférence, était riche d’enseignement. D’emblée, ce dernier proposait aux participants, inquiets de la chute des prix des céréales, de modifier l’angle de vue sur la question : « on a l’impression que les marchés chutent, mais, depuis 2006, le problème n’est pas tant le prix du blé que la hausse des charges. Les prix du blé actuels sont relativement élevés. Mais les coûts de production au niveau français ont explosé et c’est là que ça coince… »

Records d’export russe battus

L’analyste d’Agritel repose le contexte de développement, depuis plus d’un an, des voies alternatives d’exportation du blé ukrainien. Elles se sont créées afin de contourner le blocus russe de la Mer Noire, rendu plus dur encore depuis juillet dernier et la dénonciation, par la Russie, de l’accord signé un an plus tôt. Il existe aujourd’hui des voies d’exports du blé ukrainien par le Danube ou des routes solidaires au sein de l’Union européenne, qui font parfois débat. En 2023, l’Ukraine a produit 56 M de tonnes de céréales, à comparer aux 85 M de tonnes produites en 2021. Pour Arthur Portier, « ces blés ukrainiens ne sont pas forcément responsables de la baisse du prix. En revanche, avec 90 M de tonnes de production en 2023, la Russie est le principal élément qui conduit à la baisse des cours actuellement. Les exportations de blé russe battent des records tous les mois et le pays propose des prix très bas ». Elle a même proposé, en septembre, d’offrir des céréales à six pays africains dans le besoin ! La quantité est dérisoire mais le symbole est fort, soulignait l’analyste. Des facilités de paiement ont aussi été accordées à des pays comme l’Égypte, ou, plus symptomatique, au Maroc, jusqu’ici chasse gardée du blé français… De ce fait, les céréales françaises sont mises sérieusement en concurrence. Pour Arthur Portier le constat est simple : « nous sommes 20 dollars/t trop cher par rapport au blé russe, ce qui rend difficile la conquête de nouveaux marchés ».

Volatilité croissante

Certes, la France peut se féliciter d’avoir vendu cette année 3 M de t de blé à la Chine qui, jusqu’à présent, n’était pas un client de notre pays, mais Arthur Portier y voit avant tout un achat opportuniste, alors que des marchés tels que le Maroc ou l’Algérie, plus fidèles, se détachent de l’offre française. Il s’attend à ce que la volatilité soit de plus en plus présente sur des marchés conduit à s’adapter en permanence. Pour atténuer cela, il ne voit qu’une solution : que les dirigeants français, mais pas seulement eux, soient conscients du risque et fassent le boulot en termes de géopolitique. À plus court terme, il s’agit aussi d’anticiper des facteurs climatiques car, là aussi, la Russie, qui dispose d’un quart des stocks mondiaux de céréales, au plus bas depuis dix ans, possède un pouvoir potentiel phénoménal : « en cas de gros problème climatique, souligne Arthur Portier, il faudra aller manger dans la main des Russes » ce que personne ne souhaite… Par ailleurs le blé français est confronté à une relative urgence de mise sur le marché : fin août, la ferme France avait engagé 47 % de son blé sur les marchés. Un an avant, c’était 54 %. Pour Arthur Portier, il n’est pas bon de trop attendre : « On est actuellement entre 230 et 245 euros la tonne. Il sera difficile d’aller au-delà, compte tenu du manque de compétitivité du blé français. Il ne faut plus perdre de temps sur les ventes, on ne peut pas attendre, au risque de se retrouver avec des stocks records en juin 2024 ».