Vins de Bourgogne
2021, un mal pour un bien finalement ?

Cédric Michelin
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Le 22 septembre à Beaune, l’Interprofession des vins de Bourgogne faisait un point sur les vendanges, assorti d’un point économique. La fin de l’euphorie pour les vins de Bourgogne ? Verre à moitié vide ou à moitié plein, les marchés se sont réorientés vers toujours plus de valorisation. Le manque 2021 pourrait au final avoir eu la vertu de permettre des hausses, nécessaires en 2022-2023 avec la crise énergétique, les pénuries et l’inflation des matières sèches.

2021, un mal pour un bien finalement ?

La Bourgogne est tendance et pas seulement depuis que le monde n’a plus que le mot sobriété à la bouche. Avec 132 millions de cols pour le millésime 2021, au lieu des 200 millions de bouteilles visées, la Bourgogne a été sobre donc, à double titre. Les caves sont vides et la Bourgogne « est à l’os » (lire notre précédente édition), comme l’a imagé, Laurent Delaunay, le président délégué du BIVB, alors même que le négoce n'est pas encore réellement aux achats.

Mais que se cache-t-il derrière ces marchés demandeurs, mais frustrés faute de vins disponibles ? Quel sera l’état des marchés dans quelques mois lorsque les premiers vins finiront leur vinification et leur élevage ? Ce sont quelques-unes des questions pour 2023 ; car la vendange 2022 a été bonne, en quantité et en qualité. Revenons en arrière...
Dans son malheur de 2021, la Bourgogne a peut-être eu l’obligation de faire des choix douloureux avant les autres vignobles. Avec les (seulement) 997.000 hl produits en 2021 à l’échelle de la Bourgogne, « un an après, il a fallu anticiper, limiter les allocations aux clients en France et à l’export », c’est-à-dire apprendre à gérer la rareté, en passant des « hausses de prix », qui demain pourraient être salvatrices face la hausse des coûts de production à venir. Avec une récolte retrouvée, l’effet « cliquet » des prix va pouvoir atténuer la baisse de marge.

Racler les fonds de terroir

Toute la question maintenant est de savoir si le « retournement » de la croissance – en volume et en valeur - ininterrompue des vins de Bourgogne va toucher les deux paramètres ? Pour l’heure, logiquement, les sorties propriétés ont baissé. Mais preuve que la demande était forte, avec un tiers de récolte en moins, les sorties de propriété (vrac + bouteille) ont baissé de 15 % « seulement », toujours par rapport à la moyenne des cinq dernières campagnes (1,3 million d’hl sur la campagne 2021-2022, selon les chiffres du BIVB). « On a donc déstocké un maximum, pas que du millésime 2021, tellement les attentes des marchés étaient grandes. On a raclé les fonds de terroirs, avec des 2019 et 2020, pour satisfaire un maximum de clients, ou plutôt pour ne pas trop les décevoir », résumait le négociant Nuiton.
Sur le marché français, « l’État providence », le « quoiqu’il en coûte » pendant le Covid, suivis de plans de relance, ont permis de soutenir la consommation, « mais les Français sont maintenant préoccupés par leur pouvoir d’achat avec l’inflation et les achats de nos vins marquent le pas », analyse Laurent Delaunay, qui fait donc une première décorrélation avec le manque de vins.

Mais tous les voyants ne sont plus au vert. « La Bourgogne figurait jusqu’à présent comme une exception face à la déconsommation de vins en France (- 6 %/an). Nous sommes la région vendue la plus chère et paradoxalement en croissance. Depuis les Foires aux vins de Pâques, le décrochement touche aussi nos vins les plus chers ». Sur les huit premiers mois 2022, la baisse en grande distribution franchit les -25 % en volume et – 16,7 % en chiffre d’affaires. La Bourgogne retrouve certes ses niveaux de vente d’avant Covid. Seuls les crémants « s’en sortent » un peu (-0,5 % en volume et +2,2 % en valeur).

CHR, cavistes et export refont le plein

Ce phénomène n’a pas été préjudiciable jusqu’ici, car la Bourgogne a trouvé d'autres relais de croissance du côté du marché traditionnel des CHR et des cavistes. Convivialité retrouvée après le Covid, tourisme record… et surtout reconstitution des stocks chez ces professionnels. Laurent Delaunay partageait des chiffres « spectaculaires » - venant cette fois de la Fneb (Maisons de Bourgogne) – avec des hausses de +53 % en volume et + 35 % en valeur sur les trois derniers mois de l’été 2022. « Soyons prudents, cela ne durera probablement pas », tempérait-il immédiatement. Un phénomène qui pourrait aussi expliquer les ventes directes chez les viticulteurs, en hausse de +10 % côté sortie bouteilles. Enfin, l’œnotourisme bourguignon continue également de séduire toujours plus de vignerons car « plus valorisant » avec la vente directe en bouteilles.

L’Europe décroche ?

Autre relais de croissance qui était à l’œuvre depuis trois années « record », l’export décroche aussi depuis mars : -10 % en volume en raison de la « rareté du 2021 » mais toujours + 12 % en valeur. « Les prix continuent de monter par inertie. Une amélioration de la valorisation par juxtaposition de tendances ». Le détail est là encore instructif avec des grands écarts entre volume et valeur. Premier marché export de la Bourgogne, les USA (-10,5 % en vol. ; +4,4 % en val.), suivi par le Royaume-Uni (-8,6 % en vol. ; +18 % en val.), le Canada (- 15,6 % en vol. ; +10,1 % en val.), le Japon (- 12,4 % en vol. ; + 11,5 % en val.) sont tous dans la même tendance. En Europe, des différences pointent le bout de leur nez : la Belgique décroche (-31 % en vol. et -1,7 % en val.) alors que d’autres poursuivent leur « engouement » pour les vins de Bourgogne comme la Suède, devenue le 6e marché export, bien aidé par un système monopolistique (Systembolaget) préférant les vins "durables" (Bio, HVE…).

Aujourd'hui, la « préoccupation » vient de la hausse des matières sèches qui tournent parfois même à la pénurie, avec des délais ou disponibilités, « jamais vus ». Des ruptures sont-elles à craindre avec la guerre en Ukraine qui bouscule toutes les usines européennes ? « On s’adapte ». Il faut bien, car déjà certains verriers ne proposent plus qu’un seul modèle de bouteille…