Chasse
Dans les pas des chasseurs à l'arc

Églantine Puel
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Pratique en pleine expansion, la chasse à l’arc est presque une philosophie pour ses pratiquants. À la CAN 59, association des chasseurs à l’arc du Nord, on ne rigole d’ailleurs pas avec certaines valeurs. Récit d’une matinée de chasse au site ornithologique des Cinq tailles.

Dans les pas des chasseurs à l'arc
Ici, Bertrand Nouguès est équipé d'un arc à poulie. Il existe également les arcs traditionnels, plus connus du grand public.

Samedi, 7 h 45, il fait encore nuit noire. Le thermomètre de la voiture indique 1 °C. La chasse sera fraîche, mais au moins, il ne pleut pas.
À l’entrée du site ornithologique des Cinq tailles, à Thumeries (Nord), il y a déjà quelques voitures et quelques hommes qui discutent. Ces hommes, ce sont des chasseurs à l’arc de l’association des chasseurs à l’arc du Nord (CAN 59). À l’arrière d’un berlingot, Yahn Laforce, équipé d’une frontale fait signer les membres présents : nom, prénom, numéro de licence de chasse. Il sera le chef de traque. Bertrand Nouguès, vice-président de la CAN 59, sera le chef de chasse. Tout une organisation, claire, précise et à laquelle on ne déroge pas. Car les objectifs sont clairs pour ces chasseurs à l’arc : pas d’incidents, préserver l’image de la chasse à l’arc et, surtout, respecter les valeurs et règles de ce sport.

Toujours plus près

Parmi ces règles, il y en a une qui est répétée comme un mantra par les archers : toujours plus près. « La plupart du temps, on recommande, voire on exige, les tirs à moins de 20 mètres, explique Philippe Favereau, 60 ans, président de la CAN 59 depuis sept ans et archer depuis plus de 20 ans. Pour comparaison, avec une carabine, on peut tirer jusqu’à 200 mètres, voire plus ».

Une petite distance pour assurer la sécurité : « Une flèche, ça va beaucoup moins vite qu’une balle. Donc, pour ne pas faire d’erreur, il faut être près de la cible ». D’autant que parmi les valeurs des chasseurs à l’arc, il y a aussi le fait de, justement, ne pas viser n’importe comment.

« Il faut bien comprendre que ça ne fonctionne pas du tout comme une balle. La flèche doit, dans l’idéal, traverser l’animal et perforer les poumons ou le cœur. L’objectif est qu’il y ait une hémorragie interne et que l’animal meure rapidement avec le moins de souffrance possible. Le pire qui puisse arriver à un chasseur à l’arc, c’est de mal viser et de transpercer les intestins ou la panse. L’animal va pouvoir gambader encore longtemps mais il souffrira beaucoup. Dans ces cas-là il faut rapidement le retrouver pour l’achever », ajoute Bertrand Nouguès.

D’ailleurs, pour chaque animal décoché, la CAN 59 demande aux chasseurs de remplir une fiche expliquant les circonstances, l’endroit visé, etc.

Tout cela fait de la chasse à l’arc une chasse particulièrement adaptée aux zones urbaines ou fortement fréquentées par les promeneurs, comme aux Cinq tailles. « C’est une chasse que nous avons négociée avec le Département du Nord. Nous avons droit à quatre chevreuils par an. Avec le Département, nous sommes aussi à Le Thalus (petit gibier) et L’émolière (pour le chevreuil aussi) », poursuit Philippe Favereau.

Roi du silence… ou pas

En ce samedi matin, deux équipes vont avoir chacune un rôle bien précis : les traqueurs, qui vont faire le plus de bruit possible, et les chasseurs qui vont jouer au roi du silence. Ces derniers seront placés dans des arbres et devront, en plus d’être silencieux, rester le plus immobile possible.

Pour ce qui est de la traque, ils ne sont pas très nombreux… Dommage, car plus il y a de personnes, plus il y a de bruit et donc plus on « dérange » les animaux.

Après avoir laissé le temps aux chasseurs de partir se placer, les traqueurs se mettent en ligne à l’orée de la forêt et en avant ! À travers les ronces, les branches, ils avancent vite et méthodiquement. Avec des bâtons, ils tapent les arbres et fouettent les bosquets. « On va vite se réchauffer vous allez voir », sourit Yahn Laforce, malicieux… On confirme.

Les yeux des traqueurs vont vite : sol, horizon, sol, fourrés, sol, horizon… Ils cherchent le chevreuil, surveillent les mouvements de la forêt. « C’est la troisième fois qu’on vient cette année, on sait un peu où ils sont. Mais bon, ce sont des animaux donc ça bouge », explique Yahn Laforce.

Régulièrement, l’homme regarde à sa droite ou à sa gauche pour vérifier que ses coéquipiers sont alignés avec lui. Consigne a été donnée de nommer les animaux qu’on voit. Aussi, de temps à autre, on entend « bécasse » ou « renard » résonner dans le silence de ce matin hivernal. Mais le chevreuil se fait attendre…

Soudain, Yahn Laforce indique, « là on entre dans une zone où logiquement il va y avoir un peu d’action ». Pas loupé. Alors qu’il vient de fouetter un parterre de ronces, il lance « chevreuils ! » Deux animaux bondissent des ronces et partent à toute vitesse. La montée d’adrénaline est immédiate et pendant quelques secondes, tous les traqueurs se stoppent pour regarder partir les animaux.

Une fois la tension retombée, Yann Laforce prend son talkie-walkie et indique la présence des deux animaux ainsi que la direction dans laquelle ils sont partis, c’est-à-dire pas la bonne. « Notre but est qu’ils aillent vers les chasseurs… ».

Émotions garanties

Cette poussée d’adrénaline, c’est ce qui anime les chasseurs à l’arc. Qu’on soit chasseur ou traqueur, avant même l’objectif de prélèvement, il y a l’envie de voir des animaux. « En fait on décoche très peu ! D’un, parce qu’on s’abstient de tirer si les conditions ne sont pas idéales et que l’on n’est pas sûr de mettre la flèche au bon endroit. Et ensuite parce que parfois, on est simplement pris par le stress et l’adrénaline lorsque l’on voit passer à 15 mètres de nous d’aussi belles créatures. C’est riche en émotions », décrit Bertrand Nouguès.

Après avoir fait le trajet aller, les traqueurs le refont à l’envers. C’est le moment de se mettre du côté des chasseurs. Posté dans son arbre, Bertrand Nouguès attend de voir des chevreuils. Il est frigorifié : « Vous allez voir, à rester immobile comme ça, il fait froid ». Là aussi, on confirme (notre journaliste a cru perdre ses orteils…).

À deux ou trois mètres de haut, la perspective n’est pas du tout la même. D’ici, on perçoit surtout les oiseaux. « Quand un rouge-gorge se pose sur un arbre à deux mètres de vous, c’est que la nature vous a oublié », sourit Bertrand Nouguès. Lui aussi a un talkie-walkie, mais équipé d’oreillettes afin de simplement entendre les indications de Yahn Laforce. Tout à coup, il se lève très lentement et arme son arc. Yahn a entendu un chevreuil venant dans sa direction… Rompant le silence, on entend les craquements des ronces et des feuilles et soudain, il apparaît, bondissant. Il va trop vite, il est trop loin. Tant pis. Il est 11 h 40, il est temps de sonner la fin de la chasse.

Convivialité et partage

Chasseurs et traqueurs se retrouvent aux voitures pour faire le bilan de cette chasse. Résultat : aucun animal prélevé ! En cercle, chacun décrit ce qu’il a vu, les comportements qu’il a pu observer… La conclusion est sans appel : rien ne s’est passé comme prévu ! « La forêt a été débroussaillée par endroits. De toute évidence, ça a modifié les comportements de déplacement des chevreuils…, décrypte le vice-président de la CAN 59. Allez, on se retrouve au parking général pour le casse-croûte ? ». Eh oui, c’est ça la chasse à l’arc : analyser, s’améliorer et surtout passer un bon moment.