Abreuvement des animaux
S'adapter aux changements

Chloé Monget
-

Selon Météo France, le cumul mensuel de précipitations est le plus bas jamais mesuré en France depuis 1959. Face à la pénurie d'eau, les éleveurs cherchent des solutions. 

S'adapter aux changements
Cumul mensuel des précipitations agrégées – France. Crédit photo : Météo France.

En juillet, Météo France indiquait que la France enregistrait son année la plus pauvre en matière de précipitations, et ce depuis 1959 ; forçant tout le monde à trouver des solutions pour pallier le manque à l'image des éleveurs.

Parmi eux, Pierre Gourdin-Caia et Nicolas Fallet (Gaec Fallet-Gourdin / Saint-Ouen-sur-Loire – bovin allaitant) et Gaëtan Brague (Urzy- bovin lait). Pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette raréfaction, voici la situation de chacune de ces deux exploitations, avec les solutions mises en place pour continuer leur activité.

Gaec Fallet-Gourdin
Une des deux auges en béton mise en place il y a 4 ans environ.

Gaec Fallet-Gourdin

Le Gaec se compose de 594 ha SAU dont 160 de cultures, 25 ha de trèfle et luzerne, 160 ha de bords de Loire, le reste de prairies naturelles. 300 vêlages Charolais non inscrits, un atelier d’engraissement de taurillons (environ 130) et un atelier porcin (environ une vingtaine) avec vente directe.

Pierre Gourdin-Caira souligne : « À Massenay, un ruisseau traverse les parcelles. Mais, depuis 5 ans, il s’assèche de plus en plus tôt. À cause de cela, nous avons mis en place, il y a environ 4 ans, deux auges en béton de 1 000 l. chacune pour un coût de 1 000 euros au total. Sur notre autre site, à Lignière, une source captée avec un système de pompe et de ballon permet d’alimenter en eau les deux stabulations s’y trouvant. Si ce système ne demande pas beaucoup d’investissement financier puisque nous payons uniquement électricité pour faire fonctionner la pompe. Néanmoins, ce procédé requiert du temps pour la maintenance et la surveillance quotidienne afin d’assurer son bon fonctionnement ».

Se réinventer

Le Gaec Fallet-Gourdin a aussi réalisé d’autres aménagements : « comme dit précédemment, nous avons un ruisseau qui court sur les parcelles de Massenay. Afin de proposer une eau plus pure aux animaux (pour des raisons sanitaires), nous avons mis en place cinq descentes en cailloux et des passages à gué au mois de février 2022. Nous avons eu l’aide du réseau Natura 2000 – avec qui nous travaillons main dans la main – et une subvention de l’État à hauteur de 95 % du coût total des travaux. Outre la réduction des parasites, cela permet aussi de préserver la faune sauvage présente dans le ruisseau : les écrevisses à pattes blanches ».

Environnement

« Pour nous, il est important de travailler tout en respectant la nature qui nous entoure, car l’environnement fait partie de notre avenir » pointe Pierre Gourdin- Caira. Ce dernier et Nicolas Fallet soulignent : « Nous avons un paysage de bocage avec des haies partout (hautes et basses), des arbres isolés… Cette ombre permet aux animaux de se préserver un peu de la chaleur et donc de rendre leur demande en eau moins présente et moins conséquente que dans d’autres circonstances. La réimplantation ou conservation des haies est donc de plus en plus importante à nos yeux ». Néanmoins Pierre Gourdin-Caira met en évidence un autre point : « La source et le ruisseau permettent d’abreuver une partie du troupeau environ 4 à 5 mois dans l’année, pour le reste nous restons branchés sur le réseau de distribution ».

Prélèvements

Au total le Gaec Fallet-Gourdin dépense 7 500 euros en facture d’eau / an. Face à ce montant, ils ont la volonté de remettre en fonction la pompe pour le captage de la source afin d’alimenter les bacs. Pour remettre le tout en état (pompe et ballon tampon) il faut compter environ 11 000 euros, selon Pierre. Un investissement certain qui peut être aidé, comme il le précise : « il y existe une subvention via les PCAE à hauteur de 55 % (pour les JA et 40 % pour les non JA). D’ailleurs la date limite des dépôts de dossier est le 3 septembre. Dans tous les cas un plafond maximum est fixé à 20 000 euros – par associés ». Nicolas Fallet rappelle tout de même : « Nous payons environ 7 500 euros de facture d’eau mais nous nous estimons assez heureux car nous prélevons sur le réseau le moins cher de la Nièvre (avec un coût de 0,85 euro/m3). Cela étant, je trouve cela normal de payer pour l’abreuvement de mes animaux, au même titre qu’une famille pour sa consommation. Le réseau et l’eau qui en découle profitent à tout le monde, il est donc logique que tout le monde paye sa part ».

Douter

Installé depuis peu, Pierre Gourdin-Caira souligne que la sécheresse aurait pu remettre en question son installation : « face aux sécheresses successives – qui empirent d’années en années – je me suis sérieusement demandé si me le lancer était une bonne idée. À l’époque, j’avais peur car peu de solutions nous étaient proposées. Mais, depuis, les choses ont évolué et nous cherchons tous des solutions pour continuer notre métier dans les meilleures conditions possibles tout en préservant cette ressource naturelle qui se raréfie. J’avoue que les conditions climatiques de l’an dernier étaient assez rassurantes, ce qui n’est pas le cas cette année. Par exemple, pour les prairies, on est le 27 juillet et on va commencer à donner du foin – normalement réservé pour l’hiver – car nous n’avons plus d’herbe dans les parcelles. Tout notre stock engrangé grâce à l’année exceptionnelle 2021, va y passer cette année car nous commençons à l’entamer plus tôt que prévu ».

Ça coule de source

Le manque d’eau engendre aussi d’autres problèmes, comme l’expliquent les deux associés : « nous avons environ 160 ha de bords de Loire, où nous mettons approximativement 60 vaches et 60 veaux. Avec la sécheresse, nous sommes obligés de retirer les animaux plus tôt que ce qu’imposent les Mesures agroenvironnementales et Climatiques (MAEC). En effet, le niveau de la Loire n’est pas assez haut pour créer une barrière naturelle et nos vaches ont tendance à traverser ».

Administration

Pour le moment, le Gaec ne récupère pas l’eau des toitures, mais ils ont déjà pensé à le faire : « Cela pourrait être une idée mais cela soulève un problème : les dépôts de poussières présents sur ces structures qui saliront l’eau forcément. De ce fait, l’eau récupérée ne peut pas être utilisée pour l’abreuvement des animaux, mais on peut toujours s’en servir pour rincer le pulvé. Nous avons également pensé à faire une réserve d’eau, mais les démarches administratives sont lourdes, longues et incertaines. De plus, quel impact un tel dispositif peut avoir en aval pour nos voisins ? Pour la faune sauvage ou la flore ? Faire une retenue peut avoir des conséquences sur la biodiversité et cette question écologique est nécessaire à prendre en compte avant toute décision. Nous souhaitons que notre impact sur notre écosystème soit le moins important possible, d’où tous ces questionnements. Géré tout cela aujourd’hui – y compris les problèmes d’accès à l’eau – est indispensable pour faire perdurer l’exploitation et le cheptel ».

Gaec Fallet-Gourdin

Gaëtan Brague
Cette année, le système de ventilation installé dans la stabule a mesuré une maximale de température à 41, 7 °C et une minimale à – 6°C (mesures en date du 22 juillet 2022 et ayant pu évoluer depuis).

Gaëtan Brague

Polyculteur-éleveur, 150 ha d’herbe, 60 vaches laitières.

Installé depuis 2017, Gaëtan Brague martèle : « Dès le départ ce qui était le plus important pour moi était le bien-être de mes animaux. J’ai tout fait en fonction de cela depuis et je continue ». Il se souvient : « on a commencé à nous parler de grosses chaleurs en 2018. C’est pour cela que l’année suivante j’ai installé des ventilateurs dans la stabulation afin que mes vaches puissent avoir un air plus brassé. Dans la foulée, je me suis dit qu’il fallait que je m’occupe des abreuvoirs, car qui dit plus chaud dit plus soif ! ». Sa consommation d’eau est principalement issue du réseau et complétée par celle d’un puits.

Toujours avancer

En 2019, il met en place des abreuvoirs autonettoyants. « J’ai 1 m d’abreuvement pour 10 vaches, et donc 6 m pour 60. Je nettoie les abreuvoirs tous les trois jours en hiver et tous les jours quand il fait très chaud, pour des raisons sanitaires. Une eau propre évite les parasites ; c’est la base ».

Penser à l’hiver

En réflexion constante pour trouver des points d’amélioration, Gaëtan Brague souligne : « On ne parle pas assez de l’hiver, mais il faut savoir qu’une eau trop fraîche n’est pas recommandée pour les vaches laitières. De ce fait, l’eau qui passe dans le système de refroidissement du lait est la même qui atterrit dans les abreuvoirs. Un moyen de proposer de l’eau tempérée à mes animaux et de faire une petite économie (si l’eau n’était pas la même entre l’abreuvoir et le système de refroidissement). Depuis l’installation de ce système j’ai constaté une augmentation d’eau par les vaches de 20 %. Certes, elles ont besoin de s’abreuver à la sortie de la traite, une eau tempérée est plus confortable pour elles ».

Brise fraîche

Afin que ses animaux se sentent au frais, en été, Gaëtan a investi dans un système de brumisateur il y a un an : « mais je ne l’ai pas encore positionné car je ne sais pas exactement où le mettre pour que la brise soit la plus efficace. Je dois penser à l’inclinaison des buses, et aussi au positionnement des tuyaux – ce qui n’est pas simple avec la présence des ventilateurs ». Au total, les divers investissements en robotique (racleur automatique) et en matériel de confort (ventilateurs et logettes en barrières PVC), Gaëtan estime le coût à environ 300 000 euros dont 9 000 euros uniquement dédiés à l’abreuvement. Il spécifie : « j’ai eu des subventions via les PCAE notamment et aussi l’aide de la DDT, ce qui m’a permis de réaliser cet investissement. Nous ne sommes pas seuls pour mettre en place des solutions, il faut juste prendre son temps pour faire les démarches ».

Consommation

Gaëtan Brague continue : « En 2021, j’ai enregistré une consommation d’eau (d’un montant de 2 234 euros / an) de 1 310 m3 à l’année, comprenant : les besoins en eau de l’atelier laitier, du lavage (tank à lait (tous les trois jours), robot de traite (lavage 3 fois par jour), nurserie, infirmerie, local technique), et de l’abreuvement. Je pense que pour 2022, cela sera à peu près équivalent voire moins car j’ai plus utilisé le puits présent sur l’exploitation. Est-ce que cette consommation importante est due aux fortes chaleurs – qui engendrent un apport plus important pour les animaux - ou à mes nouveaux systèmes mis en place ? Je ne peux pas en être sûr. Je rappelle tout de même que de fortes chaleurs, entraînent une perte sur le rendement en lait. Pour ma part j’ai noté une baisse de 1,5 kg à 2 kg de lait par vache durant la canicule mais aussi de bien-être, ce qui est le plus grave pour moi. En effet, lors de grosses chaleurs les animaux souffrent beaucoup, j’ai d’ailleurs remarqué que mes vaches se concentrent vers les ventilateurs en ces périodes-là. C’est pour cette raison que je souhaite installer des brumisateurs et humidificateurs de couloirs ; ce qui ne va pas arranger ma facture d’eau ». Benoît Giroud (conseiller changement climatique, accompagnement à la réalisation et au suivi des audits carbone), précise : « sur certaines exploitations on peut monter jusqu’à 5 kg de perte. Il y a donc un manque à gagner important ».

Justice

Sur les potentielles restrictions, Gaëtan réagit : « Pour le moment, il n’y a pas de restrictions d’eau demandées pour les élevages. Par contre, mon ton ne sera pas le même si cela change. Je pars du principe que nos vaches sont comme des êtres humains et qu’elles ont autant besoin d’eau que nous. Si on autorise la construction de piscine, on peut continuer à autoriser tous les systèmes hydriques qui peuvent rendre la vie plus agréable à nos animaux. En plus, nous réglons tous nos équipements pour qu’ils soient les plus résilients et efficaces possibles ».

Avenir

Gaëtan souhaiterait à terme pouvoir solliciter un peu plus le puits présent sur la ferme pour la consommation de l’exploitation, mais cela requiert un nouvel investissement : « Pour l’instant, la qualité de l’eau ne me satisfait pas totalement, j’envisage donc d’installer une station de filtrage pour qu’elle soit optimale pour la santé de mes animaux ». Il conclut : « Je ne pense pas qu’un puits soit indispensable sur une ferme, mais cela peut aider l’exploitant, c’est indéniable. Dans tous les cas, il faudra trouver des solutions pour continuer notre activité professionnelle, et je suis persuadé que cela passe par un assouplissement des règles – dans certains cas uniquement – pour la mise en place de moyens pour limiter la consommation d’eau du réseau, comme avec l’implantation de bassins avec un prélèvement d’eau l’hiver en volume d’étiage, par exemple ».

Gaëtan Brague

Implication

Pour rappel, la Chambre d’agriculture de la Nièvre est engagée, avec la Commune de Moulins-Engilbert et le Parc naturel régional du Morvan, dans un projet de réflexion autour de la ressource en eau : voir TDB n° 1684 et 1689.

Bon à savoir

Certains organismes proposent un accompagnement pour trouver des solutions pour la ressource en eau. Parmi eux, il est à noter Sicarev « qui accompagne les exploitants dans le montage des dossiers PCAE tout en proposant des solutions techniques grâce à leurs partenariats (cuve de récupération d’eau de pluie, abreuvoirs et bac à eau gros volume, etc.) » précise Estelle Petit, technicienne Sicarev, ou encore la Chambre d’Agriculture de la Nièvre. Benoît Giroud, conseiller changement climatique, accompagnement à la réalisation et au suivi des audits carbone, insiste : « une vache allaitante consomme environ 100 l d’eau par jour au-delà de 25 °C et 140 l pour une vache laitière. Au-delà de 40 °C elles refuseront de s’alimenter. Il faut donc leur proposer de l’ombre pour qu’elles puissent se réguler. De plus, les points d’eau ne doivent pas être trop loin des animaux (moins de 200 m dans l’idéal – il en va de même pour les ovins), car sinon ils n’iront pas se désaltérer. Enfin, une eau tempérée est préférable, car elles auront plus d’appétence pour boire et le bénéfice sera meilleur pour leur organisme ». Christophe Dagouneau, Conseiller spécialisé bovins allaitant à la Chambre d’Agriculture de la Nièvre complète : « Ces dernières années la législation a changé notamment pour l’abreuvement dans les cours d’eau ou les marres, dont les bas-côtés ne doivent plus être altérés. On voit également que les éleveurs accordent plus d’importance à la qualité de l’eau. Les préoccupations autour de cette ressource en eau évoluent de même que l’utilisation ». Une formation sur la question de la potabilisation de l’eau aura lieu le 15 novembre. Renseignements : centre.formation@nievre.chambagri.fr ou 03 86 93 40 37. Retrouvez plus d’information sur l’abreuvement sur : tmr-lathus.fr/fichiers/114/321/2016_Guide%20abreuvement%20PHF.pdf