Communication
Le théâtre pour se comprendre

AG
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Sixtine Mony, fille d’agriculteurs en Côte-d’Or, porte la voix du monde paysan par le biais de représentations théâtrales. Les attaques du loup l’année dernière sur la ferme familiale ont été un véritable déclic pour cette jeune femme de 21 ans.

Le théâtre pour se comprendre
Sixtine Mony a monté sa propre compagnie de théâtre et propose des spectacles à tout type d'organisation, y compris en agriculture. (Crédit photo Thai-Binh Phan-van)

Dans la famille Mony, à Francheville, nous trouvons le père, Hubert, président du syndicat d’élevage ovin (du moins, jusqu’à l’automne). Il y a ensuite la mère, Lys, présidente de l’École en Herbe, le réseau des fermes pédagogiques de Côte-d’Or. Il y a aussi leurs trois enfants qui répondent aux prénoms d’Éloi, un berger itinérant, Léandre, un lycéen, et Sixtine, une jeune femme de 21 ans qui vient de terminer ses études à Beaune Viti Agro Campus. Cette titulaire d’un BTSA viticulture-œnologie travaille depuis peu dans un vignoble dans l’Aube. Sa passion pour le théâtre fait d’elle une personne bi-active : des études en arts dramatiques au Conservatoire de Dijon l’ont incitée à créer sa propre compagnie avec Elsa Ballenghien, l’une de ses amies : « J’ai toujours aimé le théâtre. Peut-être que celui-ci, indirectement, m’a permis de me faire entendre, de me faire tout simplement une place au milieu de mes deux frères, quand nous étions tout petits ! ».

Un fait marquant

Au début de l’année 2021, les attaques de loups se multiplient en Côte-d’Or. Les brebis de la famille Mony sont elles-mêmes touchées. Le malaise est encore palpable aujourd’hui : « en journée, je côtoyais des personnes en milieu urbain qui se disaient très heureuses de ce retour du loup. En rentrant à la maison, le soir, je voyais ma famille totalement désemparée par cette problématique. Cette incompréhension, cette déconnexion, ce clivage entre ces deux mondes ont été et sont encore très difficiles à vivre… C’est comme si les éleveurs étaient devenus de grands méchants, comme ça, du jour au lendemain et sans raison. La réalité est bien sûre tout autre, ils ne demandent que de l’aide et de la reconnaissance pour leur travail… En évoluant avec des personnes non-issues du milieu agricole, j’ai vite eu le sentiment et même la certitude qu’un énorme fossé nous sépare ». Sixtine Mony a alors décidé d’axer ses représentations théâtrales sur le thème de l’agriculture : « il fallait faire quelque chose pour que les gens se comprennent et échangent entre eux… Parler d’agriculture dans mes représentations : je le faisais déjà un peu, avec la viticulture notamment. Mais tout s’est accéléré avec ces attaques de loups. Le monde agricole traîne des lacunes en termes de communication depuis un petit moment : à mon niveau, j’ai eu envie d’utiliser le théâtre pour porter la voix du monde paysan. Celui-ci commence à se faire une toute petite place au cinéma, mais il est encore totalement absent dans les représentations théâtrales. C’était l’occasion d’y remédier ».

Des temps d’échanges

La « Compagnie Désorientée » a été créée il y a seulement quelques semaines, en juillet dernier. « L’idée est de proposer du contenu pour le grand public, mais aussi pour les agriculteurs, pour que les deux mondes communiquent enfin. Sur le loup, un jour bien sûr, mais sans oublier toutes les autres problématiques du monde agricole », confie Sixtine Mony. Des interventions en milieu scolaire sont notamment proposées. La jeune Côte-d’orienne imagine collaborer avec tout type d’organismes. L’agriculture est également visée, avec en ligne de mire la MSA et les Chambres d’agriculture, pour créer des temps d’échanges avec des exploitants et pouvoir porter leurs voix : « je pense que le théâtre pourrait aussi être un outil pour eux, afin de prendre du recul sur leurs situations à la manière du théâtre forum. L’objectif ne serait pas de créer de l’animation « culture-agriculture » mais bien de créer des spectacles de qualité, pour amener le grand public à réfléchir à la nécessité de rendre l’agriculture primordiale dans notre société, afin de trouver ensemble des solutions pour nourrir toute la population en respectant nos corps et notre planète. Nos interventions ne peuvent durer que quelques minutes à la fin d’une assemblée, par exemple. Nous nous adaptons à toute demande ».

 

Notre : Contact : ciedesorientee@gmail.com

 

 

Une inspiration de Gabriel
(Crédit photo Thai-Binh Phan-van).

Une inspiration de Gabriel

Pour ses diverses représentations, Sixtine Mony envisage de travailler à partir de différentes écritures, notamment celles de Gabriel, son grand-père : « En 2013, il a eu plusieurs soucis de santé, ou devrais-je dire, plusieurs marques de vieillesse. Il a ressenti le besoin d’écrire, chaque matin, pendant un an, il a traité différents sujets, toujours en les rattachant à son vécu et à la vie rurale. Ce qui est intéressant pour moi dans ce texte, c’est que Gabriel, dit Gaby, s’exprime comme s’il parlait, cela m’a donc donné envie de le mettre en voix. Gaby décrit souvent son quotidien, le met en lien avec les travaux agricoles de la saison et s’exprime sur l’évolution du travail de la terre. La génération de mon grand-père est certainement celle qui aa vécu le plus de changements, il a commencé sa carrière en travaillant avec les chevaux et voit désormais les robots autonomes travailler les champs ». Le spectacle nommé « Les Vilains » a été proposé à Dijon en début d’été avec un succès certain. Sixtine Mony ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : « je souhaite défendre le monde paysan au théâtre. Toutefois, ce premier projet de théâtre paysan ne propose pas clairement de revendication. J’aime l’idée de ne pas prendre position, que l’on observe simplement. Nous partageons le point de vue d’un paysan pendant 15 minutes. Ce point de vue nous porte à réfléchir sur l’évolution du monde agricole et ses conséquences. Pour moi, le seul fait de voir sur scène des agriculteurs, c’est déjà proposer, mêler deux univers, pour ouvrir un nouveau regard sur le monde. Mettre les paysans à l’honneur en constatant, c’est déjà s’engager à les représenter, comme ils sont, simplement. Je vois ce projet comme une ébauche de ma future proposition artistique ».