Productions végétales
Quand la moisson n’est pas au rendez-vous des espoirs

AG
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Vincent Lavier, président de la Chambre d'agriculture de Côte-d'Or, déplore une très mauvaise récolte dans plusieurs secteurs du département. À commencer par le sien, près d'Is-sur-Tille.

Quand la moisson n’est pas au rendez-vous des espoirs
L'agriculteur de Saulx-le-Duc réalise sa plus mauvaise moisson de sa carrière sur le plan économique. Seulement deux campagnes (1991 et 2003) ont fait pire en terme de rendements et qualité.

Le fameux « effet ciseaux » était fortement redouté, plusieurs agriculteurs y ont malheureusement goûté… Si certains territoires tirent leur épingle du jeu, cette moisson 2023 s’avère très décevante sur les terres superficielles de Côte-d’Or qui n’ont pas été suffisamment « arrosées » en fin de cycle. « C’est notamment le cas ici, près d’Is-sur-Tille », observe Vincent Lavier, dont les champs à Saulx-le-Duc n’ont reçu que sept millimètres du 14 mai au 18 juin. « Nous sommes donc tout proches de zéro », insiste celui qui préside la Chambre d’agriculture de son département. Et pourtant, les cultures étaient très belles avant cette « coupure de robinet » : « le printemps avait été extrêmement favorable. Les champs étaient très prometteurs, nous n’avions peut-être jamais vu d’aussi belles cultures ici, à ce stade… Mais à partir de mi-mai, nous entrons dans une phase déterminante : celle du remplissage des grains. Nos terres les plus superficielles peuvent tenir une semaine sans eau, mais rarement plus. Rester deux ou trois semaines sans pluie est déjà arrivé, mais jamais cinq à la suite. Vous imaginez les dégâts que cela a pu causer… ».

Du jamais vu

Vincent Lavier se lance dans ses résultats : « les orges de printemps affichent un calibrage de 20 à 40 %. Je n’ai jamais vu ça, je ne pensais pas qu’il était possible de descendre aussi bas. Le PMG est à 25 grammes. Le rendement final ne dépasse pas 38 q/ha. Le calibrage n’est que de 15 points dans les escourgeons six rangs. Le rendement est de 43 q/ha. Le blé fait 40 q/ha dans les mauvaises terres, 55 q/ha dans les moins superficielles : il manque 15 q/ha partout. Je n’ai pas fait de colza mais des collègues qui ont tenté l’expérience terminent souvent entre 20 et 25 q/ha avec de très petits grains. Nous avons eu la chance, si je peux parler de chance, de ne pas avoir eu de fortes températures comme des 35 °C en fin de cycle sinon, les résultats auraient été encore plus bas ! ». Vincent Lavier a également récolté des lentilles, pour la toute première fois : « le comble est qu’il est tombé 40 mm juste avant la récolte… Les ramasser n’a pas été chose simple. Le rendement affiche 9 q/ha alors que je visais initialement 12 voire 13 q/ha. La déception est nettement moindre dans cette culture, d’autant que nous sommes engagés dans un contrat avec un prix garanti et correct, le tout avec peu de charges : c’est ce que nous recherchons de plus en plus ». Une autre culture de l’exploitation affichait un prix intéressant, en l’occurrence la moutarde : « comme un peu partout dans la région, les rendements ne sont pas au niveau attendu. Le potentiel ici devait être aux environs de 7 à 8 q/ha, mais la parcelle a été grêlée à 50 % ». La plupart des agriculteurs près de Saulx-le-Duc réalisent des moissons du même acabit : « ces constats sont malgré tout très localisés, tout dépend encore une fois des précipitations. Cette mauvaise moisson est une caractéristique des exploitations des zones à faibles potentiels ».

Pas de chance

Une belle récolte était pourtant nécessaire compte tenu du niveau d’engagement des charges opérationnelles : « celui-ci était inédit cette année avec le prix très élevé des engrais que nous avons utilisés. Cette mauvaise moisson tombe forcément mal, c’est certain… Nous allons tenter de nous consoler en nous rappelant la très bonne campagne 2021 que nous avons réalisée. L’année 2022 a été bonne elle aussi. En raisonnant sur ces trois années, nous devrions retomber sur nos pieds ». À l’échelle départementale, le président de la Chambre d’agriculture observe une nouvelle fois des écarts très importants selon les secteurs : « je le dis depuis plusieurs années, mais c’est encore plus vrai cette fois-ci. Ces disparités sont très impressionnantes et encore plus marquées en 2023. Du côté des bonnes nouvelles, les orages des derniers jours ont apporté de l’eau aux cultures d’été qui en avaient bien besoin. L’eau est la bienvenue pour les plantes mais aussi pour les animaux. La récolte de paille a été exceptionnelle cette année : dans certaines parcelles, il y en avait parfois plus que de grains ».

Et maintenant ?

Vincent Lavier va repartir dans le même schéma, mais avec une ou deux nouveautés : « nous allons continuer à faire beaucoup de blé, qui reste la culture la plus facile à valoriser, d’autant que nous travaillons avec un meunier. Après deux années d’absence, le colza va faire son retour. Il y aura encore de la lentille et de la moutarde. Nous recherchons aussi une production de semences, ce sera peut-être du trèfle incarnat, qui se récolte en première coupe entre le 10 et le 15 juin, il est peut-être mieux adapté à notre contexte pédoclimatique que d’autres cultures. Nous allons également continuer le seigle fourrager : nous n’en avons pas encore parlé, mais c’est de loin la culture la plus productive cette année avec un rendement de 9tMS/ha. Il n’était pourtant pas dans de bonnes terres, mais il a l’avantage de ne pas avoir souffert du sec avec sa récolte au 15 mai ».

« C'est très décevant »
photo encadré très décevant
Témoignage

« C'est très décevant »

Cyrille Minot, agriculteur à Cussey-les-Forges avec trois autres associés et deux salariés, évoque à son tour les moissons réalisées sur sa ferme de polyculture-élevage lait. L’orge d’hiver est bien sa seule satisfaction de cette campagne : « Notre mélange de variétés Casting et Memento termine à 60 q/ha, ce qui est plutôt correct pour le secteur. Nous en garderons 200 tonnes pour nos Montbéliardes, le reste sera vendu. C’est la troisième fois consécutive où il n’y a pas de gel à la méiose, cela fait du bien car nous avons dégusté une sacrée paire d’années avec cette problématique… ». La suite des résultats est malheureusement d’un très bas niveau : « nos orges de printemps terminent à 35 q/ha ! Vu le potentiel des terres, nous visions davantage 55 q/ha, il en manque clairement 20 q/ha. Le calibrage est de 43 et le PS est à 56. Cette culture a souffert de deux extrêmes : l’eau en abondance au printemps puis le sec les semaines qui ont suivi ». Le blé, avec des mélanges Complice-Winner et Ultim-Providence, affiche une moyenne finale de 42 q/ha : « c’est forcément très décevant. Et pourtant, les cultures étaient encore très belles début mai. Les champs en question ne font jamais 60-70 q/ha mais nous nous sommes dit, un temps, que cela allait être possible cette fois. Nous avons vite déchanté… Une parcelle, certes à très faible potentiel, tombe même à 28 q/ha. Le PS, heureusement, est à 77 ». Un voisin de Haute-Marne, situé à trois kilomètres du Gaec des Forges, est encore plus mal loti avec une moyenne finale de 22 q/ha en blé. « Il fait également 22 q/ha en orges de printemps. Ses orges d’hiver affichent 35 q/ha. Il est malheureusement habitué à ce genre de résultats avec des terres plus que superficielles », signale Cyrille Minot. Ce dernier s’apprêtait à moissonner son avoine la semaine dernière : « visuellement, je pense que leur rendement terminera entre 15 et 20 q/ha, les plantes ont beaucoup souffert… L’an passé, nous avions déjà eu un coup de sec, mais la barre des 30 q/ha avait été préservée. C’était déjà décevant, mais là, ça l’est encore plus ». L’agriculteur de Cussey-les-Forges n’est guère plus optimiste pour son maïs : « ceux qui ont été semés dans les meilleures terres de la ferme devraient s’en sortir car ils sont dans un fond de vallée. Une bonne récolte est obligatoire pour notre troupeau. En revanche, nous avons du maïs ailleurs, sur 15 ha en légères terres : ils patinent beaucoup en ce moment ». Cyrille Minot dresse donc un état des lieux très délicat de ses moissons : « le pire, c’est que ces mauvaises récoltes se cumulent au fil du temps. Il y a encore 5 ou 6 ans, nous étions habitués à des blés à 55 q/ha, ce qui n’était déjà pas génial. Mais là, nous persistons et plafonnons de plus en plus dans les 40 q/ha. En plus, cette année, les charges étaient très élevées avec le prix de l’engrais. Nous avons baissé de 20 unités les apports mais cela ne va pas sauver la donne pour autant. Faut-il s’habituer à ce type de résultats ? Je le crains fortement. Deux autres réflexions nous animent en ce moment : tout d’abord, celle des assurances pour ce type d’aléas. Avec les références que nous enchaînons, il devient de plus en plus inutile de s’assurer. L’autre réflexion concerne les charges des structures, qui sont de plus en plus lourdes. Je pense principalement au matériel dans les prix ne cessent d’augmenter. Tous nos tracteurs ont plus de 12 000 ou 13 000 heures, alors que la moyenne est aux alentours de 9 000 heures, je ne sais pas combien de temps cela pourra durer ».