Financer son bâtiment
Le bail à construction, une idée à creuser

Berty Robert
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Et si votre bâtiment d’élevage ne vous coûtait presque rien ? C’est possible en ayant recours à un tiers investisseur avec lequel vous êtes lié par un bail à construction. Vous n’êtes pas propriétaire du bâtiment, mais vous en avez l’usage. Les opérateurs du photovoltaïque proposent cette formule qui remporte un certain succès.

Le bail à construction, une idée à creuser
Le dispositif du bail à construction en tiers investisseur est particulièrement apprécié dans le bassin allaitant, où les besoins en renouvellement de bâtiments sont importants. (Crédit Irisolaris)

Un jeune agriculteur qui s’installe et qui ne souhaite pas alourdir son endettement, un exploitant bien implanté mais qui conçoit son bâtiment comme un outil plutôt que comme un patrimoine… Elles sont multiples, les raisons qui justifient qu’on décide de s’équiper d’un bâtiment en ayant recours à un tiers investisseur. Le principe est simple : une entreprise investit dans une construction, en lieu et place de l’exploitant. Ce dernier a l’usage du site mais n’en est pas propriétaire. Naturellement, l’investisseur doit se rembourser et c’est la raison pour laquelle cette formule du bail à construction en tiers investisseur est un des outils privilégiés du développement de l’activité des acteurs du photovoltaïque : en revendant l’électricité produite par les panneaux situés sur les bâtiments qu’ils ont construits, ils récupèrent leur mise, s’y retrouvent économiquement, et les agriculteurs aussi, qui sont libérés du poids d’un investissement lourd.

Aller au-delà de la location de toiture

Ce dispositif, l’entreprise côte-d’orienne O’Sitoit basée à Aiserey, au sud de Dijon, s’y est engagée il y a plus de dix ans : « À l’époque, explique son dirigeant Bruce Febvret, cela répondait à une réalité précise. Le photovoltaïque n’avait pas le vent en poupe et des agriculteurs avaient besoin de bâtiments. Ils voulaient faire du photovoltaïque, mais sans prendre de risques technique et financier. Le risque technique, nous le maîtrisions et nous avions la capacité financière pour quelques projets, c’est pourquoi nous avons proposé cette formule. Nous avons démarré avec des offres tiers investissement, de façon un peu artisanale ». O’sitoit est parti d’une feuille blanche. En 2012, l’entreprise a d’abord proposé des baux emphytéotiques en location de toitures : dans ce cadre, elle a développé des projets photovoltaïques, avec des bailleurs qui restaient propriétaires du bâtiment. L’entreprise n’était propriétaire que de la centrale solaire. « La location que nous versions permettait à l’agriculteur de financer son bâtiment. À partir de 2018, on a senti que ça devenait plus compliqué pour les agriculteurs d’obtenir des financements pour leurs bâtiments : les baux en location de toiture ne suffisaient plus, dans certains cas. Cela nous a poussés à nous lancer franchement dans le bail à construction ». Autre acteur du secteur, Irisolaris, dont le siège est situé près d’Aix-en-Provence, mais qui couvre la Bourgogne-Franche-Comté depuis son agence de Chalon-sur-Saône, en Saône-et-Loire, s’est lancé en 2015 : « Le système de bail à construction, précise Cédric Maillet, responsable des partenariats agricoles dans l’entreprise, représente 80 % de notre activité pour le secteur agricole. Le reste est constitué par du bail emphytéotique-location de toiture, ou de l’investissement avec l’agriculteur qui achète la centrale solaire ». La Saône-et-Loire est aujourd’hui le département dans lequel cette société dépose le plus grand nombre de permis de construire. « On se développe beaucoup avec le bassin allaitant, poursuit Cédric Maillet, ce qui explique que la Bourgogne et l’Auvergne sont deux régions porteuses en ce moment ».

Grosse demande en élevage

Ces dernières années, il y a eu, sur cette zone, une grosse demande en matière de renouvellement de bâtiments anciens dans le domaine de l’élevage et, dans ce contexte, l’investissement photovoltaïque et le système du tiers investisseur sont des solutions intéressantes pour les agriculteurs. « Nous travaillons, précise Cédric Maillet, en partenariat avec plusieurs coopératives de la zone : Dijon Céréales, Feder, Bourgogne du Sud, Sicarev et Alysé ». Du côté d’O’Sitoit, le bail à construction représente entre 25 et 40 % de l’activité, selon les années. Avec ce dispositif, Irisolaris finance la charpente, la couverture en bacs acier en 75/100è d’épaisseur, les fondations en béton. Il reste à la charge de l’agriculteur le terrassement, les aménagements intérieurs, le creusement d’une tranchée de l’onduleur jusqu’à la limite de sa propriété, pour installer le Point de livraison (PDL). « Sans cette solution de financement, beaucoup de gens n’auraient pas pu s’équiper d’un nouveau bâtiment ». « À notre niveau, souligne Bruce Febvret, nous n’imposons pas cette solution. Elle est pertinente si elle est adaptée aux besoins du client. Notre équipe commerciale détermine avec lui la formule qui lui convient le mieux et le tiers investissement reste une solution parmi d’autres. Nous faisons du sur-mesure en termes de prise en charge financière et de bâtiment. Nous n’avons pas de bâtiment type, on s’adapte aux façons de travailler de l’agriculteur parce que je considère que ce n’est pas à nous d’imposer un format de bâtiment ». Le tiers investissement répond souvent à une problématique d’endettement, notamment dans le cas d’un jeune en cours d’installation, mais d’autres exploitations s’en servent comme d’un outil de leur stratégie entrepreneuriale. Le bail à construction est établi pour une durée de 30 ans. Pendant cette période, l’opérateur exploite la centrale solaire, il assure également le bâtiment et la centrale solaire. L’agriculteur utilise le bâtiment pour son activité, il assure le contenu du bâtiment et ses aménagements. Cette durée de 30 ans est nécessaire pour l’amortissement de la construction et se justifie aussi sur un plan fiscal : si l’on cède le bien avant 30 ans, il y aura de la plus-value immobilière. Par ailleurs, le bail est transmissible lors d’une cession d’exploitation. À son terme, l’agriculteur récupère la propriété du bâtiment, il peut faire le choix de récupérer la centrale solaire qui va avec et de poursuivre la production d’électricité, pour revendre ou autoconsommer. Il peut aussi demander le démantèlement de la centrale, qui sera à la charge du développeur photovoltaïque.

S’adapter aux besoins

« Nous proposons une gamme de 14 bâtiments (de 560 à 2 700 m2), spécialisés élevage ou stockage, mais aussi en mixte, explique Cédric Maillet. En 2015, nous n’en proposions que 3. L’évolution de la loi, en 2021, qui a permis de passer à une puissance installée de 500 Kwc, nous a poussés à étoffer cette gamme. Nous nous adaptons aussi aux enjeux des filières : en 2023, nous avons développé un bâtiment de type bergerie. Nous avions constaté que les bâtiments que nous proposions jusqu’alors n’étaient pas adaptés à la production ovine. On a choisi de se rapprocher des coopératives partenaires : on a écouté leurs attentes et on a conçu un bâtiment équipé en photovoltaïque, en fonction de leurs critères, en termes de dimension, de volume d’air… » Depuis 2016, sur les quatre départements bourguignons, Irisolaris a installé environ 250 bâtiments agricoles selon cette formule de financement. O’Sitoit, pour sa part, revendique une centaine de bâtiments financés par le tiers investissement, en Bourgogne-Franche-Comté. Pour Bruce Febvret, le potentiel demeure important sur la région.