Dotation jeune agriculteur
Un véritable soutien depuis cinquante ans

Propos recueillis par Léa Rochon
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L’année 1973 a vu naître le premier outil à l’installation agricole : la dotation jeunes agriculteurs (DJA). Une aubaine pour les nouveaux installés et le début d’une longue histoire dans la lutte pour l’installation en agriculture. Aujourd’hui, la DJA souffle sa 50e bougie. Elle a d’ailleurs fait peau neuve en janvier 2023. Retour sur cinquante ans d’évolution.

Un véritable soutien depuis cinquante ans
Cécile Gazo, sociologue. ((Photo Cécile Gazo).

Dans quel contexte la dotation jeunes agriculteurs (DJA) est-elle née ?

Cécile Gazo1 : « Les deux grandes lois d’orientation agricole de 1960 et 1962 avaient pour objectif de moderniser le secteur agricole. Elles ont instauré les indemnités viagères de départ (IVD), afin que les agriculteurs âgés et peu enclins à se moderniser prennent leur retraite de manière anticipée et libèrent ainsi du foncier agricole, mais également des prêts bonifiés destinés aux jeunes agri­culteurs (MST-JA). En 1973, la dotation jeunes agriculteurs a été créée afin de lutter contre le dépeuplement des zones de montagne, touchées de plein fouet par l’exode rural. La DJA apportait alors une aide financière aux 18-35 ans qui souhaitaient s’installer en agriculture dans ces territoires. Pour prétendre à la dotation de 25 000 francs (25 554 €, ndlr), le candidat devait répondre à plusieurs critères : être installé pour la première fois sur une exploitation dotée d’une surface minimale, présenter un document récapitulant les productions prévues et les dépenses associées et s’engager à exercer la profession de chef d’exploitation pendant une durée minimale de cinq ans ».

Au fil du temps, comment les critères d’accès ont-ils évolué ?

C. G. : « Bien que la DJA existe toujours sous une forme à peu près similaire à celle de ses débuts, les critères d’accès ont progressivement évolué afin de professionnaliser le métier. À partir de 1981, les dossiers ont dû s’accompa­gner d’une étude prévisionnelle d’ins­tallation et d’un stage de préparation à l’installation de 40 heures. En 1984, la surface minimale d’installation a été complétée par l’instauration de critères de revenus. Les plus gros changements ont concerné les exigences en matière de capacité professionnelle, la durée d’engagement ou encore le montant des versements. Aujourd’hui, il faut avoir a minima un diplôme de niveau IV agricole, soit l’équivalent d’un niveau Bac. Afin d’augmenter le nombre de bénéficiaires potentiels, la limite légale d’obtention de la dotation a été rehaussée à 40 ans en 2001. Enfin, en 2015, en conformité avec la loi d’avenir de 2014, les montants de la DJA ont fait l’objet de trois modula­tions nationales, dont une pour majorer l’aide accordée aux personnes s’instal­lant "hors-cadre familial" ».

Les profils des candidats à la DJA ont-ils également changé ?

C. G. : « Oui. Dans la majorité des cas, ces nouveaux profils expriment un certain rejet du salariat et souhaitent se lancer avec un statut d’indépendant. Pour revenir sur cette évolution, il est nécessaire d’en comprendre l’histoire. Depuis les années 1970, le retour à la terre était synonyme de rupture avec la société et était généralement pensé sans projet économique. Mais en 2010, des projets portés par des personnes en reconversion professionnelle mêlant l’agroécologie, des nouveaux systèmes de production et la recherche de perfor­mance économique ont émergé. Cette référence à la viabilité économique des installations pouvait difficilement être ignorée. Dès lors, les projets qui répondent aux critères de la DJA et qui en font la demande, sont soutenus. Toutefois, accompagner des profils en reconversion professionnelle nécessite plus de temps et de compétences. C’est là où le bât blesse. C’est notamment pour cette raison que de nouveaux dispositifs ont vu le jour. Les premiers ont été portés par des associations, dont le modèle économique repose sur des subventions, dans une logique de continuité du service public. Aujourd’hui, des start-up se positionnent sur ce que nous pourrions finalement appeler un "marché de l’accompagnement" ».

Depuis le 1er janvier 2023, les conseils régionaux bénéficient d’un transfert de fonds et d’agents pour instruire les demandes de DJA. Cette mesure est-elle efficiente ?

C. G. : « En 2023, l’État a en effet délégué la gestion des mesures non-surfaciques du second pilier de la Politique agricole commune (Pac) aux Conseils régionaux. Il est trop tôt pour dire si la mesure est efficiente. Le travail pour refondre tous les instruments déjà mis en place avec l’instauration de nouveaux critères d’accès à la DJA prend beaucoup de temps, en plus de ne pas être évident à réaliser. En juin dernier, certains Conseils régionaux n’avaient pas encore mis en place leurs aides. Ce n’est pas par manque de volonté, mais plutôt de moyens. Autre difficulté et non des moindres : les taux de cofinancement de l’Europe ont baissé de 80 % à 43 %. Les Régions doivent donc mettre la main à la poche et assumer 67 % de l’enveloppe totale des DJA, en plus de l’intégralité des subventions qu’elles décideront d’octroyer aux plus de 40 ans et qui ne sont pas couvertes par le Feader. L’enjeu est que chaque Région parvienne à refonder l’intégralité de ses instruments dans un contexte budgétaire restreint et ce, alors qu’elles envisagent toutes d’élargir les critères d’accès aux aides publiques. Cela pose inévitablement la question de la cohérence d’ensemble des politiques publiques de soutien à l’installation au niveau national ».

 

(1) En 2023, la sociologue Cécile Gazo a soutenu une thèse intitulée « Qui pour gouverner l’installation en agriculture ? ». Son travail l’a notamment conduit à analyser la genèse et les évolutions de la dotation jeunes agriculteurs (DJA) conçue en 1973 par l’État français.

Le renouvellement des générations est un défi de taille pour le monde agricole. La dotation jeunes agriculteurs représente un véritable outil pour y faire face. (Photo MB).
En chiffres

Installations : hausse modérée en 2022

14 132 chefs d’exploitation se sont installés. En 2018 et 2019, les installations d’exploitants et exploitantes agricoles étaient en perte de vitesse. Cette dynamique s’est intensifiée en 2020, pour enfin connaître un rebond en 2021, puis en 2022. Cette croissance a notamment été favorisée par l’augmentation du nombre de jeunes installés : les moins de 40 ans représentent 70,2 % des installés. Les régions Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté et Hauts-de-France sont les plus dynamiques. À l’inverse, les régions Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur sont en large recul.

55 % des moins de 40 ans sont installés en société contre 45 % pour les installés tardifs. Les jeunes installés ont une prédilection pour les groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC) et les exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL).

Avec 35,8 ha en moyenne contre 23,5 ha pour les installés tardifs. La superficie moyenne des jeunes installés a régulièrement augmenté jusqu’en 2008 pour atteindre 36,8 ha, cette surface n’a quasiment plus évolué et a même baissé en 2022.

39,2 % des installés sont pluriactifs. Être pluriactif se traduit par le fait d’exercer plusieurs activités, dont l’une au moins est agricole. Ce chiffre est en augmentation par rapport à celui de 2021 (36,3 %). Les cultures céréalières ou grandes cultures se démarquent avec un taux de pluriactivité de 60,6 %.

39,6 % des installés sont des femmes contre 39,4 % en 2021. Depuis quinze ans, parmi les jeunes installés, la part des femmes oscille entre 27 et 31 %. En 2020, elle franchit le seuil de 32 %, puis continue de s’accroître pour atteindre 32,9 % en 2022. À noter que ces dernières sont majoritaires dans trois secteurs d’activité : élevage de chevaux, entraînement, dressage, haras, clubs hippiques et autres élevages de gros animaux.

77 % des chefs d’exploitation installés en 2016 exercent encore. Le taux de maintien est extrêmement élevé pour les jeunes (85,6 %) et varie selon l’orientation économique. Pour l’élevage bovins-mixte, 94,9 % des jeunes installés en 2016 sont toujours exploitants agricoles en 2022. Viennent ensuite les éleveurs bovins-viande, les agriculteurs pratiquant la polyculture ou le poly-élevage, les céréaliers, les éleveurs bovins lait et les éleveurs porcins.

Note : Sources Info Stat MSA, décembre 2023.