Zones humides
Le Préfet de Région sur le terrain pour un problème très concret

Alexandre Coronel
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En l’absence de définition pédologique ou juridique européenne tranchée, la zone humide constitue un « ensemble à contours flous », qui fera l’objet d’arbitrages locaux, ni scientifiques, ni démocratiques… au grand dam des représentants agricoles. Ils demandent un peu de visibilité et de cohérence en matière d’aménagement du territoire. Franck Robine, Préfet de Région Bourgogne-Franche-Comté, est allé à leur rencontre, en Haute-Saône.

Le Préfet de Région sur le terrain pour un problème très concret
Les représentants syndicaux de la région avaient donné rendez-vous au Préfet sur une exploitation haut-saônoise afin de faire le point sur les grands dossiers : Feader, zones humides, emploi, prédation…

« La carte n’est pas le territoire » : cet aphorisme du philosophe et scientifique Alfred Korzybski pourrait résumer l’incompréhension du monde agricole à l’aube d’une définition des « zones humides », dans le cadre de la BCAE2 (exigences de conditionnalité des aides agricoles ayant trait à la protection des zones humides et des tourbières). Un décret du 29 décembre dernier reporte d’un an la mise en œuvre de cette mesure, dont l’entrée en vigueur était initialement prévue pour ce 1er janvier. Depuis quelques mois, des cartes circulent, entre services de la Draaf et des Chambres d’agriculture. Cartes de « zones humides », inquiétantes pour les représentants de la profession agricole qui y voient une « nouvelle couche de contraintes », se superposant avec celles déjà en vigueur liées aux directives nitrates, protections de captages, Natura 2000, ZNT, etc. Compte tenu du réseau hydrographique de la grande région, l’impact pourrait être de taille, évalué à 1,3 million d’hectares, dont les conditions d’exploitations pourraient être drastiquement durcies : interdiction de retournement des prairies, de travaux de drainage, etc.

Risque de sanctuarisation

Bref : une nouvelle sanctuarisation « tombée du ciel » qui inquiète la profession ! Comme c’est aux États membres – selon la direction générale Agri, service de la Commission européenne – de définir la cartographie ainsi que les exigences assorties, le syndicalisme s’inquiète aussi du risque d’appréciations françaises plus strictes que celles de voisins européens. C’est la raison pour laquelle la FRSEA Bourgogne-Franche-Comté (BFC) avait convié le Préfet de Région, Franck Robine, sur une exploitation de Brussey, en Haute-Saône, près de Besançon, le 16 janvier, afin de dialoguer sur ce thème. « En commençant par la cartographie avant d’avoir une définition précise de ce qu’est une zone humide, on est une nouvelle fois dans l’incohérence, regrette Christian Bajard, président de la FDSEA de Saône-et-Loire. On est pris dans une surenchère ministérielle, sans le recul qu’on est en droit d’attendre de l’État, ni prise en compte des enjeux que sont la souveraineté alimentaire, le renouvellement des générations en agriculture et le maintien de l’élevage. » Or, les répercussions économiques de mesures contraignantes sont de taille, comme l’a démontré Didier Vagnaux, le président d’Interval, en se fondant sur le cas concret d’une exploitation dont la pérennité est compromise par la délimitation de plusieurs nouvelles zones de captage. « Quand on investit dans une exploitation, quand on reprend une ferme, c’est sur la base d’un potentiel de production ! »

Phase administrative

Comme l’a expliqué le préfet de Région, « nous sommes encore dans la phase de travail administratif d’avant-projet de cartographie, qui va déboucher sur la phase de consultation en février : pour l’instant il s’agit de documents de travail ! » Le représentant de l’État a également rappelé les objectifs d’une politique de protection des zones humides « il s’agit de préserver la ressource en eau, en quantité, et en qualité : la BFC est la tête de pont de trois bassins hydrologiques ». Les représentants de l’agriculture régionale ne contestent pas l’intérêt de cette protection, eut égard aux fonctions écologiques de réservoir de biodiversité, de piège à carbone et de régulation du cycle de l’eau, mais ils ne voudraient pas que s’impose une vision dogmatique et figée du territoire. « Ici à Brussey, illustre Philippe Auger, éleveur sur la commune, nous sommes en train de réhabiliter un fossé, historiquement situé sur l’emprise d’une voie SNCF aujourd’hui désaffectée, qui était en train de transformer les parcelles attenantes en zone humide ». Un simple coup d’œil sur les paysages ruraux de Haute-Saône, où la superficie de forêts a doublé en un siècle du fait du recul de l’industrie sidérurgique et de l’agriculture, fait entrevoir l’inanité du soutien public à la plantation de nouveaux arbres… C’est plutôt l’élevage qui est menacé (voir encadré). « Pour le zonage des zones humides, on voudrait une coconstruction qui s’appuie sur une expertise de terrain, comparable à ce qui a été fait dans le département pour établir la cartographie des cours d’eau, et qui a demandé un gros travail en amont, plutôt que de n’avoir que quelques semaines pour se positionner » plaide enfin Thierry Chalmin, le président de la Chambre d’agriculture de Haute-Saône. Affaire à suivre dans les prochaines semaines !

Un Gaec qui illustre les problématiques du moment

Le Gaec du Bas des Champs, chez Philippe Auger, à Brussey, offrait un cadre de choix pour présenter les défis auxquels sont confrontées les exploitations de polyculture-élevage : lourdeurs administratives d’instruction d’un dossier bâtiment, manque de lisibilité de la politique d’installation, hausse des charges que peinent à compenser le prix du lait et de la viande… « Nous travaillons dans l’intérêt de tous les agriculteurs de BFC, et nous ne rentrerons pas dans le jeu de la division entre les anciennes régions, insistait Christophe Chambon, le président de la FRSEA : c’est le même esprit qui nous anime que dans le dossier Profilait, qui permet de ramener de la plus-value sur nos territoires, pour toutes nos productions, nos filières végétales et animales ». Emmanuel Aebischer, président de la FDSEA 70, attirait l’attention du Préfet sur la déprise laitière en cours, source de fragilisation de l’économie agroalimentaire locale et des emplois induits : « Les calculs démontrent que l’augmentation du prix du lait payé aux producteurs a été entièrement consommée par la hausse des charges. Jusqu’à présent les cessations d’activité laitière étaient à peu près compensées par des augmentations de volume chez les autres producteurs, mais depuis plusieurs mois, ce n’est plus le cas. Entre l’empilement des contraintes réglementaires, la faiblesse du revenu, les critiques sociétales… il y a un vrai découragement ». L’élevage allaitant n’est guère mieux loti, et Philippe Auger a expliqué à Franck Robine comment la nouvelle PAC s’est traduite par une baisse du soutien européen en commuant l’aide à la vache allaitante en aide à l’UGB. « C’est de l’ordre de 5 000 à 6 000 € en moins par an et par exploitation ! », pointant les conséquences de la décapitalisation du cheptel français, qui se traduit par une baisse de 20 % des abattages bovins… et le recours à des importations de viande depuis l’Espagne ou la Pologne. Comme l’ont souligné Florent Point, président des JA-BFC et Justine Grangeot, présidente des JA de Haute-Saône, l’installation souffre d’un manque de lisibilité de la politique régionale, avec des interrogations qui subsistent sur les montants accordés et leurs critères d’attribution. L’exemple de Guillaume Renaudot, fils d’un des deux associés du Gaec du Bas des Champs est révélateur. « J’ai entamé les démarches préalables à l’installation, mais je n’aurai pas de réponses sur les montants d’aides avant le mois de mai », déplore le jeune homme, qui préfère différer son projet. Dans la même ferme, un projet de bâtiment pour les veaux attend depuis plusieurs mois le feu vert de la subvention. En attendant, les prix des matériaux continuent d’augmenter, ainsi que les taux d’intérêt, et finissent par remettre en cause le projet.