Transmission et installation
Le fruit des liens

Chloé Monget
-

Depuis le 1er janvier 2024, Loris Guyon, 22 ans, est installé à Pouilly-sur-Loire comme vigneron. Une rareté dans le paysage de l’appellation.

Le fruit des liens
De gauche à droite : Loris, Élisabeth et Frédéric.

Si l’ensemble de l’appellation Pouilly-Fumé offre un patrimoine matériel et immatériel fort, le Bouchot, lieu-dit limitrophe à Pouilly-sur-Loire, est lui aussi porteur d’histoires. Parmi elles, celle des familles Barillot et Guyon. Intimement liées depuis de nombreuses générations, et très officiellement cousus dernièrement. En effet, depuis le 1er janvier, Loris Guyon, 22 ans, a repris l’exploitation de Frédéric et Élisabeth Barillot (respectivement 59 et 65 ans). Ces derniers précisent : « la reprise d’un domaine par un jeune hors cadre familial est un fait rare que ce soit dans l’appellation mais aussi dans la majorité des régions viticoles. Nous avons fait ce choix, car nous ne voulions pas que notre domaine familial, existant depuis 1770, soit dilué dans un grand groupe ». Pour comprendre cette décision, il faut remonter dans le temps… En 1914.

Un peu d’histoires

Frédéric et Élisabeth racontent : « le domaine a été créé en 1770 et fonctionnait normalement jusqu’à la guerre de 14 où le chef de famille est décédé au combat. Camille, sa veuve, prit alors le domaine sous son aile. Elle le développa en rachetant des terres et continua l’exploitation en le mettant en métayage à l’arrière-grand-mère paternelle de Loris : Marie, qui est née et a vécu toute sa vie au Bouchot ». Loris rebondit : « Lors de la reprise, je savais que ma famille avait des liens avec les Barillot mais je n’avais pas conscience qu’ils étaient aussi anciens. Quand j’en ai parlé à ma grand-mère, elle m’a partagé ces tranches de vies… ».

Ainsi, le métayage perdure jusqu’en 1984 lors de la reprise de Frédéric à ses 19 ans : « j’ai toujours aimé être dehors car cela offre une indépendance et une liberté. Lorsque l’on venait avec mes grands-parents (André et Andrée Barillot), depuis la Machine, en vacances ici, j’allais toujours dans les vignobles. Ce lien avec le vin a toujours fait partie de la famille, car pour la petite histoire, André était négociant en vins et spiritueux… ». À l’époque, Élisabeth est enseignante : « dans la vie, il faut faire des choix. Nos activités professionnelles étaient parallèles sans jamais se croiser. J’ai donc décidé d’intégrer le domaine comme salariée afin que nos vies se croisent un peu plus avec Frédéric. Et, très naturellement, chacun a trouvé sa place ». Jusqu’en 2022, tout cela continue, puis Élisabeth et Frédéric commencent à s’enquérir de la suite : « Nous avons commencé les démarches pour préparer notre retraite, mais notre fille ne souhaitait pas reprendre l’activité, d’un commun accord nous avons donc cherché un repreneur. Nous avons eu quelques propositions, mais elles ne nous convenaient pas car elles ne correspondaient pas au côté familial du domaine ». Puis, un peu par hasard, Frédéric et le père de Loris, Didier, qui se connaissaient somme toute bien, se rencontrent au détour d’un champ : « je lui ai dit que je recherchais un repreneur et il m’a annoncé que son fils serait intéressé… Tout s’est fait simplement ». Loris ajoute : « les domaines qui se libèrent sont rares et souvent inaccessibles financièrement pour des jeunes hors cadre. Je suis heureux de voir que mon projet a pris forme dans la région dont je suis natif ».

Vision du travail

Une fois l’accord trouvé, Loris a commencé à travailler dans le domaine et ce pendant un an et demi. Pour Frédéric, cette transition était indispensable : « afin qu’il se familiarise avec les outils, les vignes, les papiers administratifs… Même si on ne connaît jamais tout, c’est toujours appréciable d’être accompagné dans les premiers temps ». Avide de ces conseils, Loris affirme : « cette passation est incontournable à mon sens, car entre ce que l’on apprend à l’école et la réalité, il y a des différences. De plus, c’est agréable d’être accompagné par Frédéric, Élisabeth et Étienne (salarié) ». Détenteur d’un Bac STAV (Legta Challuy) et d’un BTS Viticulture et œnologie (Beaune), Loris partage avec Frédéric son amour de la vigne : « nous avons la même passion. Mais, il est difficile d’en expliquer les fondements ». Avec un père céréalier, Loris raconte : « j’ai toujours eu un attachement à la terre, car c’est l’origine de tout ». Pour son installation, Loris avait un seul critère : « une exploitation à taille humaine, afin que cela soit plus facile à gérer et viable. Cela sera encore plus vrai avec les problèmes de main-d’œuvre et les enjeux climatiques de ces prochaines années. Je suis persuadé qu’il va falloir modifier nos méthodes culturales pour pérenniser nos productions viticoles et je pense que cela est plus aisé à réaliser sur 11 ha ». Frédéric acquiesce : « les années à venir seront sûrement plus difficiles pour lui que celles que j’ai eues en 40 ans. Mais, je pense qu’il a assez de ressources et d’imagination pour trouver des leviers afin de s’en sortir ».

Transmission remarquée

Outre la signature entre les deux parties, actant officiellement la passation au 1er janvier 2024, un événement a marqué l’intégration de Loris dans l’appellation : la Saint-Vincent. Élisabeth pointe : « Ça fait quelque chose de voir Loris, que nous considérons comme notre fils, remonter l’allée de l’église parmi les autres vignerons. Sa mère a versé une larme et nous aussi d’ailleurs. Depuis que la transmission est faite, tous les vignerons de l’appellation sont heureux de voir un jeune s’installer. Tout cela mis bout à bout, je pense que Frédéric a fait un choix remarquable – dans tous les sens du terme – et en accord avec ses valeurs ». Pour inscrire encore plus officiellement ce changement de propriétaire, le Domaine Barillot est devenu le Domaine Guyon-Barillot. Loris conclut : « Même si je vais faire évoluer l’activité (méthodes, matériel, commercialisation, etc.), je vais tout faire pour conserver et faire perdurer l’aspect familial du domaine, car il est un fruit direct des liens humains et familiaux du Bouchot. Et, il fallait rendre hommage à tout cela ».

Image supplémentaire
Le Domaine Barillot change de nom avec l'arrivée de Loris, afin de devenir le Domaine Guyon-Barillot.