Réglementation
Le miel et la fraude

Marine Martin
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Près de la moitié des miels importés de pays tiers en Europe seraient non conformes, selon un rapport de la Commission européenne de mars 2023. Ils présenteraient des problèmes d’origine, d’appellation ou encore d’adultération (coupés avec des sirops de sucre) mettant la filière en péril.

Le miel et la fraude
L’accord européen de décembre 2023 rend obligatoire d’indiquer clairement à proximité du nom du produit, les pays de provenance du miel, et non plus seulement s’il provient ou non de l’UE. (Photo : Ada/Aura)

Dans l’Hexagone, le dernier rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) indique qu’en 2021, 40 % des établissements contrôlés sur le miel présentaient des anomalies selon les réglementations administratives. En décembre 2023, la Commission européenne a adopté un texte de loi pour lutter contre cette fraude avec un meilleur système d’étiquetage et de traçabilité du pays d’origine du miel, afin de mieux informer les consommateurs. « En France, la loi Égalim 2 oblige déjà à écrire le nom des pays sur les pots, dans l’ordre croissant de poids », rappelle Claudine Guinet, responsable du laboratoire privé Naturalim, à Port-Lesney (Jura). « Lorsque l’on mène des contrôles, nous sommes attentifs à la présence d’anomalies comme la non-conformité d’étiquetage avec l’usage d’allégation nutritionnelle ou de santé qui vont faire croire au consommateur que le miel possède des fins thérapeutiques, ou des mentions valorisantes, tel que miel de safran, par exemple », indique Charlotte Piron-Cabaret, inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en Ardèche. « On regarde aussi la composition. Le type variétal doit être le même que celui du pot », ajoute-t-elle. Les contrôles ne sont pas choisis aléatoirement. « Nous ciblons certains apiculteurs, mais aussi des grossistes et magasins ».

Patrick Molle, apiculteur et responsable des ventes de la coopérative Provence miel à La Roque-d’Anthéron (Bouches-du-Rhône), l’affirme : « quasi systématiquement, chaque lot qui part vers la grande distribution est analysé. On fait des analyses polliniques pour regarder d’où provient le miel. Cela donne des informations sur l’origine géographique et permet de vérifier l’appellation ». Le PH est aussi analysé. « Les miels foncés ont une forte conductibilité électrique par exemple, cela peut donner lieu à des déclassements. Un miel de lavande foncé sera déclassé en miel de fleurs de Provence. Pour l’adultération, il y a également des analyses qui mesurent le taux de sucre dans les miels comme le taux de glucose, fructose et saccharose. Le pourcentage est propre à chaque miel », précise le responsable des ventes. Mais le miel reste l’un des produits alimentaires les plus fraudés, avec l’huile d’olive. Le risque principal pour le consommateur est d’être trompé. Pour l’apiculteur, la mise sur le marché de produits fraudés peut mettre en péril son activité. « Les faux miels issus des usines de Chine entre autres, déstabilisent le marché mondial, en faisant baisser les prix et en créant une situation de perpétuelle surproduction. Dans le marché mondialisé dans lequel nous sommes, nous sommes touchés, c’est pourquoi nous n’arrivons plus à vendre », indique Patrick Molle.

Les stratégies contre la fraude

Face à l’ampleur de la fraude, de nombreux apiculteurs se sentent démunis. Élodie Leullier, qui a fondé avec son mari Nicolas, les Ruchers de l’Ibie, à Lagorce en Ardèche, fait part de son exaspération : « Depuis que nous sommes installés, on se rend bien compte que nous sommes face à une concurrence déloyale de plus en plus présente, avec des négociants en miel qui jouent avec les informations sur leurs étiquettes surfant sur l’image des producteurs, de la localité et sur la réputation des miels d’Ardèche ». Le couple a fait le choix d’un développement culturel en lien direct avec l’exploitation. « Les consommateurs sont étonnés des heures de travail nécessaires pour produire du miel », précise la productrice. Les apiculteurs des Ruchers de l’Ibie souhaitent faire découvrir les coulisses de leur métier, « car face au problème des fraudes mais aussi du dérèglement climatique et l’arrivée de nombreux prédateurs, nous sommes obligés de nous réinventer et de trouver des solutions pour écouler nos productions au juste prix. Cela passe chez nous, par l’augmentation de la vente directe sur l’exploitation ». Une autre stratégie pour les apiculteurs face à la fraude, est celle d’intégrer des marques reconnues localement et qui ont un cahier des charges rigoureux et de le notifier sur les étiquettes. « Nous avons, depuis 2012, intégré la marque Goûtez l’Ardèche qui opère des analyses régulières auprès d’un jury, ainsi que des audits sur l’exploitation. Nous avons également adhéré au réseau Bienvenue à la Ferme car il regroupe des agricultrices et agriculteurs qui, comme nous, prônent une agriculture durable, responsable, avec des valeurs d’exigences de leurs produits et d’accueil à la ferme », justifie Élodie Leullier.

Fraude ou maladresse ?

Le fil est mince entre la fraude et la maladresse. Et pour complexifier le tout, s’ajoute un réseau d’apiculteurs amateurs pas toujours au courant des législations et des normes. Les garants du contrôle ainsi que les apiculteurs ont parfois eux-mêmes du mal à s’y retrouver entre simple maladresse ou fraude intentionnelle. « Un apiculteur qui a mis ses ruches à proximité de champs de lavande et dont la composition n’est pas entièrement du miel de lavande, car les abeilles sont allées butiner ailleurs, ce n’est pas une fraude délibérée », indique Charlotte Piron-Cabaret. Au-delà de l’étiquette, les services de contrôles ont également du mal à distinguer la fraude à la composition : « En période de disette, les apiculteurs peuvent être amenés à nourrir les ruches avec de l’eau et du sucre, et l’on en retrouve des traces dans les analyses, ce n’est pas une volonté de fraude, témoigne Emmanuel Rey, apiculteur du Gaec l’Abeille Turquoise à Lamazière-Basse. Il y a un travail à faire de la part de la profession pour avoir des seuils d’utilisation de sirops ». Un autre point que tient à souligner l’apiculteur, est le rôle joué par les négociants concernant l’opacité de l’origine du miel. « Les négociants en miel font des mélanges, ce n’est pas interdit, ni de la fraude, mais il y a une volonté de masquer le processus d’étiquetage. Les personnes qui font du négoce ont de grosses capacités de vente. Cela ramène de la confusion dans la traçabilité. Parfois, les négociants se font même passer pour des producteurs ». Avec le nouveau texte de loi voté par les eurodéputés fin décembre, qui engage les négociateurs à rendre obligatoire la mention de l’origine du pays, gageons, que la confusion sur l’origine aura une fin sous peu, bien que le manque de moyens pour effectuer les contrôles et les analyses soit souligné par InterApi, l’interprofession apicole. Malgré le manque de moyens, les apiculteurs appellent de leurs vœux une augmentation des contrôles aux niveaux européen et français. « Les méthodes de fraude progressent et s’adaptent aussi aux analyses », interpelle Adèle Bizieux.

Miel frauduleux, comment s’y retrouver ?

Pour Thomas Colléaux, agent du service de santé, protection animale et environnement à la DGCCRF et Charlotte Piron-Cabaret : « Il faut que le consommateur regarde s’il n’existe qu’une seule origine au miel et s’il est de France. Le miel de différentes origines peut être une porte ouverte pour suspecter une fraude ». Pour Claudine Guinet, la responsable du laboratoire Naturalim, il est inutile de boycotter la grande distribution pour l’achat de miel. « On peut faire confiance aux miels estampillés d’origine française ». L’autre signal d’alerte pour le consommateur est le prix : « En dessous de 11 euros le kilo, on peut s’interroger sur sa provenance », note Thibault Mercier, vice-président de l’Association pour le développement de l’apiculture en Auvergne-Rhône-Alpes (ADA Aura). Pour aider les consommateurs, l’association a mis en ligne, fin décembre, un site (www.lerucherducoin.fr) qui répertorie les producteurs de miel de la région. « C’est un site pour rassurer les consommateurs sur l’origine du miel et vérifier les engagements des producteurs », indique Adèle Bizieux, directrice de l’association.

CONSEIL EUROPÉEN // Que dit l’accord de décembre 2023 ?

Afin de lutter contre les fraudes et de mieux informer les consommateurs, les négociateurs du Parlement et du Conseil européens ont trouvé un accord sur l’obligation d’indiquer clairement à proximité du nom du produit, les pays de provenance du miel, et non plus seulement s’il provient ou non de l’UE. Les pourcentages de miel provenant des quatre premiers pays d’origine au moins, doivent également être indiqués. Un code d’identification unique pour retracer le miel jusqu’aux apiculteurs va être mis en place, ainsi que le renforcement et l’amélioration des contrôles, via une plateforme européenne d’experts.