Anciens exploitants
Billet d'humeur de Jean-Pierre Bouron

Christopher Levé
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Chaque année, Jean-Pierre Bouron, de la section des anciens exploitants de la FDSEA de l'Yonne, exprime ses pensées à travers un billet d'humeur.

Ancien
Jean-Pierre Bouron, de la section des anciens exploitants de la FDSEA de l'Yonne.

« Quelle fut notre surprise au petit matin de la mi-novembre de constater les panneaux d’entrée des villages retournés assortis d’un explicatif signalant qu’en matière agricole nous marchons sur la tête. Nos parlementaires censés représenter nos territoires n’ont pas semblé être interpellés par cet avertissement : ont-ils pris cela pour une grosse plaisanterie de carabins en goguette ? Ils se sont bien gardés de répercuter auprès de nos gouvernants le malaise agricole ambiant par crainte de représailles lors des prochaines élections, c’est pourquoi, notre syndicat (la FDSEA), rejoint par les Jeunes agriculteurs, a décidé de passer à l’action imitée en cela par d’autres agriculteurs européens confrontés aux mêmes problèmes.
Pourquoi avoir attendu une démonstration de force bien encadrée pour que le gouvernement se préoccupe du sort de notre profession ? Ce qui est réconfortant c’est que nous bénéficions d’un large capital sympathie de la part d’une grande partie de la population. La proximité des élections européennes, des Jeux Olympiques et Paralympiques, ainsi que l’accueil réservé au président Macron, auront permis la gravité de la situation vécue par le monde agricole. Le mouvement de protestation ne se contentera pas de promesses souvent non tenues, parmi les mesures annoncées, tellement nombreuses qu’elles font penser à un inventaire à la Prévert. Certaines vont dans le bon sens et doivent être appliquées rapidement, d’autres devront être approfondies et votées par le Parlement et attendre parfois les décrets d’application souvent très long.
La profession n’est pas la seule à être confrontée à une avalanche de règlements, de normes ubuesques, de contrôles, de tracasseries administratives auxquels s’ajoutent les aléas climatiques ainsi que la volatilité des marchés et la concurrence déloyale d’autres nations qui n’ont pas les mêmes contraintes.
Dans le milieu paysan, il était de tradition de croire en la parole donnée et d’entériner un accord en se tapant dans la main sous peine d’être discrédité et mise au ban de la profession. Espérons que le Gouvernement adoptera la même ligne de conduite faute de quoi nous saurons lui rappeler ses engagements.
L’allègement des contrôles et normes ainsi que la dématérialisation doivent logiquement libérer de nombreux postes et stopper la machine infernale qui consistait à sortir de nouveaux règlements destinés simplement à justifier des emplois dédiés qu’il faudra réorienter vers d’autres secteurs en tension.
Être agriculteur, c’est avoir choisi en connaissance de cause une profession noble qui demande engagement, responsabilité, prise de risques, des journées de travail qui n’ont rien à voir avec la législation en vigueur dans tout autre domaine. Travailler moins n’a jamais été le sujet principal du mouvement de colère mais vivre son métier sans tracasseries administratives avec la crainte de pénalités et dégager un revenu suffisant pour faire vivre décemment sa famille sans avoir recours à un salaire extérieur pour équilibrer les résultats de l’exploitation, pérenniser et transmettre sa ferme à des jeunes font partie des aspirations vécues par chacune et chacun d’entre nous.
Nos dirigeants politiques ont-ils écouté et surtout entendu ce message ? Restons mobilisés, les manifestations du début de l’année ont démontré qu’au-delà des résultats obtenus à ce jour, en restant unis et solidaires quels que soient nos âges, nos productions, nos régions, nos revenus, nos courants de pensée, nous sommes reconnus comme des interlocuteurs sérieux et représentatifs de notre métier et de la ruralité. Plus nous serons nombreux à être syndiqués plus nous réussirons à ce que nos revendications soient prises en compte.
Nous nous félicitons de l’avancée sur le calcul de la retraite des exploitants en activité en prenant comme base les 25 meilleures années ; par contre, les retraités actuels, en particulier les veuves, veufs, anciens aides familiaux ne voient pas leur sort s’améliorer alors qu’ils prennent de plein fouet les effets pervers de l’inflation sur l’alimentation, l’énergie, les transports, les services, la santé. Comment ne pas être amer alors que durant toute sa carrière il a fallu enchaîner les heures de travail 365 jours par an pour se retrouver avec une retraite qui permet tout juste de subsister alors que parfois le voisin qui n’a pas toujours contribué à l’effort collectif à travers son travail bénéficie d’avantages et d’une pension supérieure à eux ?
Concluons par une citation d’Agatha Christie : “Vis aujourd’hui comme si c’était le dernier jour et fais des projets comme si tu étais là pour l’éternité” ».