Manifestations en Allemagne
Une colère sur fond de fragilisation des exploitations
Les 8 et 15 janvier, l’Allemagne a été le théâtre d’énormes manifestations agricoles, en lien avec l’annonce de réductions de subventions. Le mécontentement agricole est rejoint par d’autres pans de la société, fragilisés par les hausses de l’énergie.
En prélude à une semaine entière de protestation, les agriculteurs allemands ont commencé à manifester dès le 8 janvier dans tout le pays contre la politique du gouvernement. Des convois de tracteurs ont bloqué plusieurs autoroutes, perturbant massivement le trafic routier. Pour Joachim Rukwied, le président de l’Union des agriculteurs allemands (DBV) « les agricultrices et agriculteurs ont envoyé un premier signal clair en direction du gouvernement fédéral pour qu’il retire complètement ses projets d’augmentation d’impôts, avec près de 100 000 tracteurs dans toute l’Allemagne », a-t-il poursuivi. Le leader syndical s’est également félicité du soutien de la part d’une grande partie de la population en faveur des revendications des agriculteurs. La plupart des actions de protestation annoncées se sont déroulées sans heurts. Le mécontentement des agriculteurs a été déclenché par les réductions prévues des subventions agricoles dans le cadre de la crise budgétaire. Face à une opposition massive, le gouvernement fédéral, qui réunit les sociaux-démocrates du chancelier Olaf Scholz, les Verts et les libéraux, a en grande partie, annulé les plans de réduction et notamment annoncé que l’avantage fiscal accordé sur les quantités de gazole consommées serait supprimé progressivement jusqu’en 2026 et non en une seule fois. L’Union allemande des agriculteurs a toutefois maintenu ses protestations et exige l’annulation totale des réductions.
Pas prêts à céder
Entre-temps, les dirigeants des gouvernements des Länder dirigés par le SPD se sont ralliés à cette revendication. De son côté, le chancelier Olaf Scholz défend une position selon lui « juste et réfléchie » du gouvernement, invitant les protestataires à accepter le compromis. « Étant donné que nous avons fait un grand pas en direction des agriculteurs, je pense qu’il est maintenant important de garder la juste mesure », a-t-il dit lors d’une conférence de presse commune à Berlin avec son homologue luxembourgeois. Mais les agriculteurs ne sont pas prêts à céder. La réduction des subventions est synonyme « d’une augmentation d’impôt d’un milliard d’euros pour le secteur », et fragilise l’avenir des agriculteurs tout en mettant en danger la sécurité de l’approvisionnement en nourriture, jugeait le président de la DBV. Le 15 janvier, une nouvelle démonstration de force a été réalisée, à Berlin. Environ 30 000 personnes, accompagnées de 10 000 véhicules, ont manifesté pacifiquement à la porte de Brandebourg. Les manifestants issus du monde agricole ont été rejoints par des transporteurs — qui protestent contre la multiplication des péages routiers —, mais aussi par des boulangers, des bouchers, des restaurateurs et des artisans soumis aux fortes hausses des coûts de l’énergie. En dépit de cette mobilisation, le statu quo reste de mise entre le monde agricole et la coalition dirigée par Olaf Scholz. Joachim Rukwied est ressorti très déçu des discussions qui ont suivi la manifestation avec les dirigeants des groupes parlementaires de la coalition. « Seule une solution au problème du diesel agricole permettra de retirer les tracteurs de la route », a-t-il déclaré, espérant que les autorités feraient des concessions sur cette question lors de la séance d’ajustement budgétaire. La colère des agriculteurs a été déclenchée outre-Rhin par une réduction de subventions sur le diesel agricole qui devait permettre au pays d’économiser environ 920 M€ cette année. Les agriculteurs réclament l’abandon total du projet de suppression progressive de cet allègement fiscal.
Malaise profond
Le président de la DBV a annoncé que les tracteurs resteraient sur les routes tant que la situation ne serait pas débloquée et l’association fédérale des transports routiers de marchandises, de la logistique et de l’élimination (BGL) lui a emboîté le pas. En Saxe, dans l’est de l’Allemagne, les agriculteurs ont annoncé de nouveaux blocages d’autoroutes. La crise qui affecte l’Allemagne traduit un malaise plus profond au sein du monde agricole. Si certaines grandes exploitations ont vu augmenter sensiblement leur bénéfice par rapport à l’année dernière, d’autres, de taille moyenne, sont en grande souffrance. Au total, dix pour cent des exploitations à titre principal auraient réalisé une perte au cours de la campagne 2021-2022, explique l’expert agricole Martin Odening dans le quotidien économique allemand Handelsblatt. « Les réductions de subventions prévues touchent particulièrement ces exploitations », analyse-t-il. Selon l’Office fédéral des statistiques, l’Allemagne ne comptait plus que 258 700 exploitations agricoles en 2022, soit 40 000 fermes en moins en douze ans seulement. Selon une récente analyse sectorielle de la DZ Bank, la profonde mutation structurelle de l’agriculture allemande se poursuivra dans les années à venir. D’ici 2040, le nombre d’exploitations diminuerait de plus de la moitié pour atteindre environ 100 000, indique l’étude. La taille moyenne des fermes continuerait dans le même temps d’augmenter. Les exploitations familiales sont donc particulièrement menacées.