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« Nous allons finir à poil »

AG
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Un jeune agriculteur récemment installé entre Époisses et Montbard, en Côte-d’Or, pousse un coup de gueule sur le retard de paiement de ses aides, mettant en difficulté son exploitation.

« Nous allons finir à poil »
Gaétan Pitois enchaine les déconvenues depuis la reprise de la ferme familiale l'an passé, à Fain-lès-Moutiers.

« Il faut aider les jeunes, disent les politiciens… Moi, sur le terrain, je ne constate rien, je ne vois absolument rien, à part des contrôles ! », lance Gaétan Pitois, jeune exploitant de 25 ans installé sur la ferme familiale à Fain-lès-Moutiers depuis le 1er janvier 2023. Rencontré il y a peu sur son exploitation de polyculture-élevage (130 vaches charolaises et 110 ha de terres labourables), le Côte-d’orien faisait part de difficultés financières grandissantes au sein de sa structure. En cause, notamment, le retard de paiement de ses aides Pac et de la DJA : « nous sommes aujourd’hui le 10 janvier, je n’ai rien touché à cette heure. Pour la Pac, j’attends environ 30 000 euros, une somme qui correspond à la prime animale ainsi qu’à l’ICHN. J’aurais dû percevoir une première partie fin octobre-début novembre, le solde devant être effectif début décembre. Mais il n’y a rien à ce jour ! Pour la DJA, un acompte de 60 %, soit environ 20 000 euros, devait arriver en décembre. Même chose : rien n’est encore viré. Le mois dernier, un contact à la Région m’avait pourtant certifié que tout était OK… Mais juste avant Noël, j’ai reçu un courrier m’informant que j’allais être payé dans trois mois à compter de l’ouverture de la lettre ! Je ne sais plus quoi penser et surtout, sur quoi me baser. En attendant, cela met à mal la santé financière de ma ferme. Les découverts me coûtent de l’argent, tout comme les courts-termes qui se multiplient ».

Du chiffre, mais pas de bénéfices

Gaétan Pitois rappelle que la conjoncture n’est « pas rose » en élevage, malgré des cours de la viande supérieurs à 5 euros/kg depuis un petit moment : « alors oui, je n’ai jamais connu de prix à 3 euros et quelques, m’a-t-on déjà fait remarquer… Je réponds à chaque fois en donnant un élément chiffré : 5,25 euros. Il s’agit de mon coût de production, du prix que je dois payer pour produire un kilogramme de viande. Ce montant a été calculé par la Chambre d’agriculture avec qui je travaille régulièrement. Les derniers animaux vendus sont partis de la ferme à 5,20 euros/kg, donc vous voyez… Nous faisons du chiffre d’affaires, mais pas de bénéfices, tellement nos charges sont considérables. En ce qui concerne les grandes cultures, mes intrants sont en hausse de 17 % pour cette campagne. Les cours céréaliers, eux, n’ont plus rien à voir avec ceux de 2022, nous sommes sur une baisse moyenne de 33 %. Cela s’annonce compliqué ».

Des banques « frileuses »

Gaétan Pitois enchaîne les déconvenues depuis son installation et ne manque pas d’exemples : « j’ai encore en mémoire un rendez-vous à la banque début janvier 2023, pour un prêt de trésorerie censé financer les achats de ma toute première campagne. J’avais exposé mon étude d’installation avec des chiffres précis, tout était bien calculé et calé. Mais rien n’allait pourtant se passer comme prévu. J’ai malheureusement fait part d’un problème de santé au banquier : en conséquence, le déblocage de l’argent a traîné, celui-ci n’a été effectif que deux mois plus tard… Ce problème de santé, pourtant bénin, devait faire l’objet d’une discussion au siège de la banque… En attendant, il a fallu se débrouiller tant bien que mal pour continuer de travailler, sans court-terme mais avec beaucoup de stress… ». Titulaire d’un BTS Acse et riche d’une expérience professionnelle en cabinet comptable à Cer France BFC avant son installation, Gaétan Pitois n’était pas au bout de ses déconvenues : « j’avais un projet de stockage de fourrages, cette même banque m’a dit qu’elle voulait m’aider mais seulement dans deux ou trois ans, le temps que je sois pleinement lancé dans mon activité… Décidément, les banques sont frileuses. J’ai décidé de traverser la rue et d’aller voir quelqu’un d’autre ! ».

Des inquiétudes

« Si cette situation générale continue comme ça, nous allons finir à poil, c’est certain », assure et assume le Côte-d’Orien, « et ce n’est pas en tracteurs qu’il faudra aller manifester… Oui, je suis inquiet. Pour ne rien arranger, j’enchaîne les contrôles sur la ferme : fin juillet, l’opération s’est intéressée à mes animaux avec le contrôle de la traçabilité des ventes, des achats, les passeports, les bouclages et l’identification. Ce 9 janvier, j’ai été contrôlé pour l’ICHN, ils ont vérifié que j’étais bien dans les clous par rapport aux cultures autoconsommées. Nous sommes à peine lancés, mais on nous contrôle déjà à tout-va… Dans un tel contexte, une reprise familiale comme la mienne n’est possible que si les parents abandonnent leur capital, c’est vraiment dommage. La main-d’œuvre ? N’en parlons même pas. J’ai un actuellement salarié. Ça doit être le septième en moins d’un an. Il est très compliqué de trouver quelqu’un si nous enlevons ceux qui ne reviennent pas et ceux qui se déplacent trois jours dans l’unique but de renouveler leur Pôle Emploi ».