Femmes et agriculture
Rencontre avec Christiane Lambert, de passage dans le Jura

Isabelle Renaut
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La présidente de la FNSEA, qui laissera son mandat en juin, était l’invitée de la FDSEA du Jura, le 10 mars. À cette occasion, elle s’est exprimée sur son parcours de femme, d’agricultrice et de syndicaliste.

Rencontre avec Christiane Lambert, de passage dans le Jura
C'est à l'Hôtel de la Cloche, à Dole, que Christiane Lambert a accordé une interview à notre consœur du Jura Agricole.

Il est 8 h 30, ce vendredi 10 mars. La salle du restaurant de l’hôtel de La Cloche à Dole est encore déserte. Christiane Lambert, est arrivée la veille par TGV afin de participer à l’assemblée générale de la FDSEA du Jura qui a lieu à Planoiseau. Le jour précédent elle était au Sénat pour une rencontre « Femmes et ruralités : la parole aux élues de nos territoires » et le 10 mars au soir, elle était déjà de retour sur sa ferme près d’Angers pour y recevoir le lendemain matin, avec son mari, un groupe d’agriculteurs australiens accompagné de l’ambassadeur d’Australie en France. « Nous voulons leur montrer, dans le contexte des négociations commerciales actuelles, que l’élevage de porc en France a des règles sanitaires très très très élevées et que l’on ne peut pas accepter n’importe quel produit de chez eux ! », explique-t-elle en avalant un café allongé, avant de répondre à un appel téléphonique. Un bon aperçu, en somme, de ce qui fait le quotidien de la présidente de la FNSEA. À 61 ans, elle n’a rien perdu de son allant. Énergique, « bavarde » - elle l’avoue elle-même - et surtout méthodique dans ses réponses. Une parole ciselée, parfois tranchante quand il s’agit de défendre la cause agricole dans toutes les instances où elle intervient. « Je m’épanouis dans le travail. Je prépare mes dossiers, je ne lâche rien et j’aime gagner ! », avoue-t-elle avec un peu de malice. Quel regard porte-t-elle sur l’évolution de la place des femmes en agriculture ? C’était la question centrale de cet entretien qu’elle a accepté sur le pouce.

1961, « Agricultrice » entre dans le dictionnaire

« J’ai toujours vu ma mère indiquer « sans profession » sur les documents administratifs. Je l’ai vécu comme quelque chose de très injuste. En 1961, le mot « agricultrice » fait son entrée dans le Petit Larousse. C’est l’année de ma naissance. En 1988, nous avons enfin obtenu un statut pour les agricultrices grâce au CNJA. Elles pouvaient devenir associées dans une EARL avec leur mari. Il a fallu attendre 2014 pour pouvoir créer des Gaec entre époux (avec la transparence). Nous nous sommes battus pour le statut des femmes. Nous devons continuer à nous battre pour leurs droits sociaux et obtenir des retraites revalorisées au minimum à 1 000 euros ! », lance Christiane Lambert. La syndicaliste n’est jamais très loin. Mais elle est aussi une maman de trois enfants, dont une fille. Les jeunes générations vont-elles faire évoluer la place des femmes dans l’agriculture ? « Elles sont davantage diplômées et ne choisissent plus le métier d’agricultrice par le mariage mais par choix. Un signe qui ne trompe pas : le nombre important de femmes dans les écoles agricoles. Dans la classe de ma fille, diplômée ingénieure agricole en élevage, elles étaient 68 % de femmes et toutes ont du travail. Cette année, au niveau national, 32 % des installés sont des jeunes filles, c’est le niveau le plus élevé que nous ayons connu jusqu’ici », se réjouit-elle.

Quand les filles reprennent la ferme…

« Que ce soit une agricultrice qui s’installe, ou une vétérinaire qui intervient dans un élevage, les femmes font encore face à des regards circonspects. Il leur faut une certaine force de caractère », reconnaît celle qui n’en manque pas. Malgré les difficultés, Christiane Lambert se veut optimiste et positive. « Les choses évoluent là aussi. De plus en plus de pères sont fiers de voir leur fille reprendre la ferme, et le regard de ces pères change en conséquence. Les métiers agricoles sont devenus par ailleurs plus accessibles aux femmes avec la diminution de la pénibilité au travail grâce à du matériel adapté. Certains équipements, réclamés au départ par les femmes, bénéficient maintenant à tous. Je pense par exemple aux exosquelettes. Les sociologues observent aussi que la relation au travail change. Avant, un bon agriculteur c’était celui qui travaillait dur et tout le temps. Aujourd’hui, les jeunes, les hommes comme les femmes, aspirent à autre chose : avoir des week-ends, des horaires qui permettent d’aller chercher les enfants à l’école… »

Huit femmes présidentes de FDSEA

« Dès les années cinquante, les organismes agricoles JA et FNSEA issus de la Jeunesse agricole catholique (Jac), ont prévu dans leurs statuts une femme vice-présidente. Je pense que les femmes issues de la branche féminine de la Jac ont milité pour obtenir cette place. Aujourd’hui, je rencontre de plus en plus de jeunes filles à la tête des JA. Huit femmes sont présidentes de FDSEA. Au niveau des Chambres d’agriculture nous avons beaucoup évolué aussi en raison de la parité introduite lors des élections en 2013. Nous avons travaillé pour que les femmes soient représentées selon la parité agricole, c’est-à-dire 25 % de chefs d’exploitation femmes et au total 33 % d’actives agricoles. Ce qui nous a permis d’aller chercher des femmes, qui se sont peut-être fait prier au début, mais qui ont souvent fait un deuxième mandat. Elles pilotent très bien les affaires. Je rencontre aussi de plus en plus de femmes aux postes de direction dans les Chambres d’agriculture, où les femmes salariées sont également bien représentées. Par contre, nous ne sommes que deux femmes présidentes d’un organisme national à siéger au Comité des organisations professionnelles agricoles (Copa) de l’Union européenne… »

Oser prendre des responsabilités

Et de citer le slogan porté par la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA : « Oser prendre des responsabilités ». 41 ans de syndicalisme, dont 30 ans au niveau national… « J’ai osé ! », résume Christiane Lambert qui a été fortement inspirée par l’exemple de ses parents, « très engagés et toujours prêts à rendre service ». Sans oublier sa famille. « C’est un vrai travail d’équipe avec mon mari ! ». Quand elle a été élue présidente du CNJA en 1994, elle a pu compter sur le soutien décisif de son président JA de l’époque. « Il m’a proposé un service de remplacement adapté : une jeune fille au pair pour les enfants qui pouvait travailler aussi à mi-temps sur l’exploitation ». Autant de conditions réunies pour pouvoir s’engager.

La présidente passe la main

Celle dont les responsabilités l’ont conduite à côtoyer les plus grands de ce monde aspire aujourd’hui à passer un peu plus de temps avec son mari, ses enfants et ses petits-enfants. Christiane Lambert a annoncé qu’elle arrêterait sa fonction de présidente de la FNSEA en juin, après 6 ans de mandat. Mais elle restera à la tête du Comité européen où elle a été réélue le 23 septembre 2022 pour un second mandat de 2 ans. Une confiance renouvelée dans ses capacités à porter la voix des agriculteurs de tout un continent.

Exergue : « Ma mère indiquait « sans profession » sur les documents administratifs. Je l’ai vécue comme quelque chose d’injuste… »