Découverte
Au cœur des paysans, une association qui veut retisser le lien entre agriculture et société
Même si les vacances sont finies on peut encore rêver à quelques escapades campagnardes. C’est l’occasion de découvrir l’association Au cœur des paysans qui propose d’utiliser la randonnée comme moyen de découverte de l’agriculture, au-delà des préjugés. Elle développe son activité en Côte-d’Or.
Elle existe depuis quelques années mais reste discrète, un peu trop peut-être. L’association Au cœur des paysans, présidée par Françoise Zink, gagne pourtant à être connue tant elle est porteuse d’une belle vocation : permettre de découvrir la réalité du travail des agriculteurs en s’appuyant sur le plaisir de la randonnée pédestre. Depuis sa création, elle trace patiemment son chemin, selon un itinéraire qui va des Ardennes aux Corbières, en passant par la Bourgogne Franche-Comté et notamment la Côte-d’Or. C’est même dans ce département qu’elle a testé son concept pour le moins original de parcours de randonnées qui permettent des rencontres avec des agriculteurs désireux d’expliquer leur métier. Aujourd’hui, c’est encore en Côte-d’Or qu’elle appuie sa volonté de développement.
Rétablir un lien
À l’origine, comme le rappelle Clothilde Charron, cheffe de projet au sein de l’association, on trouve un petit groupe d’amis issus ou non du monde agricole, mais qui partagent un véritable intérêt pour cet univers. « Chacun constatait que le monde agricole reste assez méconnu du grand public et qu’on était à la merci de ce qu’on pouvait lire, voir ou entendre dans les médias. Dans le temps, on avait tout au moins un membre de sa famille dans l’agriculture, aujourd’hui c’est beaucoup moins le cas. Quand on vit en ville et qu’on fait ses courses au supermarché, ce lien avec l’agriculture peut ne plus exister du tout. La volonté des créateurs était donc de participer à la recréation d’un lien entre agriculteurs et citadins, au-delà des préjugés. On en est arrivé à la conclusion que pour faire ça de manière simple, il fallait que les gens se rencontrent. La randonnée est un bon moyen parce que c’est accessible et aussi parce que la marche impose un rythme différent. Elle permet de s’imprégner des zones que l’on traverse. Lorsqu’on arrive dans une ferme après avoir marché plusieurs kilomètres, on n’est pas dans le même esprit que si on y vient en voiture. La randonnée donne une autre dimension à la rencontre ». Le site internet d’Au cœur des paysans propose, en accès libre, des itinéraires empruntant des sentiers déjà existants. Le long de ces sentiers de grande randonnée (GR) l’association a cherché des agriculteurs qui avaient envie de s’intégrer au projet. « Dans notre approche, précise Clothilde Charron, nous sommes neutres : nous voulons montrer différents types d’activités agricoles, sur toutes tailles de fermes, en mode conventionnel, bio, raisonné, en conservation des sols… L’important c’est de présenter la diversité des modèles, en fonction des réalités du terrain. On a en face des nous des agriculteurs qui ont le sentiment qu’on leur tape dessus en permanence et qui ne parviennent pas à expliquer leur manière de travailler. Donc notre initiative a été plutôt bien perçue ».
Dix randonnées proposées
Au cœur des paysans assure l’interface entre des petits groupes de randonneurs (rarement plus de six personnes) et des agriculteurs impliqués dans le dispositif. L’association offre la possibilité d’aller rencontrer un exploitant qui aura, au préalable, fait connaître ses disponibilités. La discussion qui s’engage lors de ces rencontres porte sur tout ce qui concerne la vie de la ferme : taille, cultures, méthodes et conditions de travail, les problèmes, les enjeux, les challenges, ce qui va mal et ce qui va bien… (voir encadré) « On tient à ce qu’il y ait une petite rémunération des agriculteurs parce qu’on considère que lorsque les gens payent, ils accordent plus d’importance à ces moments et n’annulent pas sans donner de raison. C’est aussi une question de respect mutuel ». Les randonneurs intéressés par ce dispositif doivent se rendre sur le site aucoeurdespaysans.org où ils ont accès à tout un panel de balades en fonction des régions traversées. Actuellement, dix sont proposées dont deux dans le Châtillonnais, dans les collines de l’Auxois ou le long de la Seine. Les autres régions traversées sont les Ardennes, le pays Barrois, dans la Meuse, la forêt d’Orient, les lacs et la Champagne, dans l’Aube, le pays Cathare, entre Aude et Pyrénées-Orientales, ou encore l’Île-de-France. Les circuits proposés vont de 14 à 70 km et s’étalent sur un, deux ou trois jours. Deux associations étudiantes, l’une à Sciences Po, l’autre d’AgroParisTech, se sont greffées au projet et organisent également des sorties pour un public d’étudiants. Les randonnées fonctionnent presque toute l’année, sauf pendant la période où la chasse est ouverte. « Les randonneurs qui ont participé nous confient qu’ils sont saisis par l’ouverture et l’accueil dont ils bénéficient. Ils reviennent enthousiastes. On est parvenus, par ce biais, à semer le doute dans les têtes de gens qui partent avec beaucoup d’a priori sur l’agriculture et qui reviennent étonnés de la diversité des modèles qu’ils découvrent. On n’est plus dans les vérités toutes faites. Il y a une compréhension plus humaine des réalités du terrain. Du côté des agriculteurs, les retours sont aussi très bons. On sent un grand bonheur de pouvoir partager ce qu’ils font. Ils ont enfin en face d’eux des gens qui sont intéressés, qui écoutent, et ça n’a pas de prix ! »
Note de bas de page : aucoeurdespaysans.org
Témoignage : « La richesse du dialogue et du débat en direct, c'est incomparable »
Gaëlle et Philippe Bertrand sont agriculteurs en EARL, en Côte-d’Or, à Quemigny-sur-Seine, en production céréalière et élevage laitier, sur 260 hectares, avec un troupeau de vaches laitières brunes, et engagés dans la filière Époisses. Ils font partie des exploitants qui accueillent régulièrement des randonneurs sur leur ferme du Châtillonnais : « Dès le départ, confie Philippe, j’ai trouvé l’idée très intéressante. Pour moi, le grand problème c’est que le monde agricole est souvent décrié, par méconnaissance. Les gens ne savent pas ce qui se passe sur nos exploitations. Le fait d’en rencontrer et d’échanger avec eux de façon très ouverte et détendue en présentant nos exploitations et en répondant à leurs questions, c’est très positif. Nous avons quelques visites chaque année. On aimerait que ça se développe. Je suis frappé par l’enthousiasme des gens qui découvrent comment nous travaillons. Les a priori tombent. À chaque visite, on décrit notre travail et comment il évolue. Dans les échanges on s’aperçoit que les visiteurs reviennent souvent sur certains thèmes véhiculés par l’actualité, comme les OGM, les filières bios, la pollution… En fin de compte, j’ai l’impression que tout cela est mal compris à la base, que l’approche des médias sur ces questions est souvent très partielle et trop rapide ou superficielle. Avec les rencontres permises par Au cœur des paysans, on peut, au contraire, prendre du temps, réfléchir, faire comprendre que les choses ne sont pas aussi schématiques qu’on peut le croire. On va plus au fond des choses. Pour nous, c’est très enrichissant. Cela nous apporte un regard extérieur qui nous permet aussi de prendre du recul. On prend conscience du fait que les problématiques agricoles, telles qu’elles sont présentées au grand public, sont parfois déformées. La richesse du dialogue et du débat en direct, c’est incomparable. Le format de base pour les rencontres, c’est environ deux heures, mais, dans les faits, on dépasse toujours parce qu’on s’embarque vite dans des discussions très riches ».
