Economie
Les comptes de l'agriculture française en 2021

Christophe Soulard
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Après une année 2020 en demi-teinte qui avait vu la production perdre 1,9 % en valeur, la Ferme France s’est reprise en 2021 avec une hausse de 7,7 %, a indiqué l’Insee lors de la publication des comptes provisoires de l’agriculture.

Les comptes de l'agriculture française en 2021
Les comptes 2021 de l'agriculture française, tels que révélés par l'Insee marquent une belle amélioration globale mais qui doit être relativisée par les hausses de coût de production et les effets de la guerre en Ukraine. (Crédit Mariya B)

« Cette forte augmentation est dominée par l’évolution des prix dans le contexte général de hausse du prix des matières premières. », souligne l’Insee. Encore faut-il se pencher sur les différentes productions qui ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Ainsi, les productions végétales gagnent-elles 12 %. Cette hausse est nettement plus marquée pour les grandes cultures (céréales oléagineuses et protéagineuses) dont les prix bondissent de plus de 50 % en valeur et en moyenne « sous l’effet conjugué de la hausse des récoltes et l’envolée des prix consécutive au dynamisme de la demande mondiale », précise le document de l’Insee. Par ailleurs, celui-ci indique que le rendement des cultures s’est amélioré avec des récoltes en hausse pour le blé tendre (+ 21,4 %), l’orge (+ 10 %) et le maïs (+ 11,3 %). Les betteraves sucrières aussi ont repris des couleurs, repartant à la hausse (+31,7 %) après une année 2020 catastrophique (-22,9 %). L’institut de la statistique économique y voit le bénéfice de « conditions météorologiques favorables ». Sans doute la levée de l’interdiction des néonicotinoïdes a-t-elle aussi joué son rôle. En revanche, ce sont les conditions climatiques, en particulier le gel du mois d’avril et « une météo estivale humide favorisant l’émergence de maladies », qui ont fait reculer la production viticole en 2021 de près de 18 % (-17,6 % exactement). Les fruits, exposés aux mêmes aléas, n’ont pas été épargnés non plus, avec une production en baisse de -17 %. De leur côté les productions animales sont en léger repli (-2,1 %), avec une diminution plus marquée pour les gros bovins (-3,2 %) et les porcins (-2,5 %) que pour les ovins-caprins (-2,0 %), les volailles (-1,7 %) et les veaux (-1,3 %). Dans cette catégorie de l’Insee, seuls les œufs accusent un solde positif (+3,5 %).

Explosion des oléagineux

Les volumes de production et le jeu de l’offre et de la demande impactent mécaniquement les niveaux de prix. Celui des productions végétales gagne 12,1 %. « Les prix des céréales (+ 28,8 %) sont soutenus par une demande dynamique et une production mondiale contrainte. Le prix du blé tendre est tiré à la hausse par des mauvaises récoltes en Russie et aux États-Unis, des stocks mondiaux en baisse pour la deuxième année consécutive », analysent les experts de l’Insee. Le prix des oléagineux a explosé : + 44,2 % notamment en raison de la mauvaise récolte de canola au Canada, premier pays producteur au monde. Le prix des betteraves industrielles connaît lui aussi une flambée (+ 14,3 %), tirée par la hausse des prix des produits dérivés comme le sucre. Côté productions animales, la baisse de production a joué en faveur d’une augmentation modérée des prix : +3,9 % au global, avec, là encore des disparités par production : +4,3 % pour le lait, +5,9 % pour les gros bovins, +6,5 % pour les volailles +6,9 % pour les veaux, +8,7 % pour les ovins-caprins.

Un compte n’est pas un revenu disponible…

En revanche, le prix du porc cède 4,4 % « sous l’effet de l’affaiblissement de la demande asiatique et du niveau élevé des stocks européens », précise l’Insee. Au total, la valeur ajoutée brute au coût des facteurs par actif augmente de 11,5 % en 2021 en termes réels, après une baisse de 1,1 % en 2020. L’étude de l’Insee pointe aussi une hausse des coûts intermédiaires : +3,3 % sur l’ensemble de la Ferme France. « Cette augmentation du prix des achats s’explique essentiellement par la remontée des prix de l’énergie (+ 20,7 %), alourdissant significativement la facture énergétique (+ 20,6 %) des exploitations agricoles, les volumes étant stables », soulignent les experts. De même, les dépenses d’achat d’aliments pour animaux auprès des industries agroalimentaires augmentent de + 10,9 %. Autant d’éléments intangibles qui mettent à mal les allégations de patrons de la grande distribution qui nient la réalité des hausses qu’ils jugent purement spéculatives ! D’ailleurs, comme l’indique fort justement l’Insee, les comptes de l’agriculture ne mesurent pas et donc ne reflètent en aucun cas le revenu disponible des ménages dont la personne de référence est agriculteur.

 

A la suite de la publication des chiffres des comptes de l'agriculture en France, la FNSEA et les JA ont réagi : « Les prix agricoles s'améliorent mais ne compensent pas l'explosion des charges », affirment les deux syndicats agricoles dans un communiqué commun. Ils soulignent en outre qu’« en matière de souveraineté alimentaire, l'évolution à la baisse en volumes des productions animales, et l'impact des aléas climatiques sur les secteurs du vin, des fruits et des légumes sont préoccupants ». De même, remarquent-ils que « le ciseau des prix (…) se renforce de manière exponentielle en 2022 et fragilise le tissu économique agricole ». La FNSEA et JA demandent au gouvernement de « veiller à la stricte application de la loi Egalim 2, notamment dans le cadre des renégociations de tarifs en cours », et ce pour permettre aux agriculteurs « de tirer un revenu décent de leur activité, afin de gagner en compétitivité et de relever le défi de la souveraineté alimentaire tout en assurant la protection de l'environnement ».

Analysant les chiffres de l’Insee, Chambres d’Agriculture France remarque que « la croissance des résultats économiques a été au rendez-vous sur tout le territoire sauf en Provence-Alpes-Côte d’Azur (compte tenu des difficultés de l’arboriculture et la viticulture) ». Les Chambres soulignent également la position plutôt favorable de la France au regard des autres pays européens : « tous les États membres n’ont pas connu une conjoncture agricole aussi favorable qu’en France », notent-elles. Ce qui a permis de renforcer le leadership de notre pays. Mais le service économique des Chambres, satisfait de ces bons comptes, ne crie pas pourtant victoire. « […] Il faut bien admettre que si le calendrier de la statistique agricole (CCAN de juillet) nous renvoie à une année 2021 plutôt favorable pour l’agriculture, il est difficile de ne pas penser à l’actualité où la guerre en Ukraine fait craindre des difficultés pour l’ensemble de l’agroalimentaire national ». Autrement dit, les bénéfices d’hier pourraient bien être amoindris cette année.