Interview
ITV de Marc fesneau, ministre de l'Agriculture

Propos recueillis par Nathalie Marchand, Nicole Ouvrard et Mathieu Robert
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Quelques semaines après sa nomination, Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a accordé un entretien à Réussir-Agra pour expliquer ses récents arbitrages sur la déclinaison nationale de la future Pac et livrer sa feuille de route.

ITV de Marc fesneau, ministre de l'Agriculture
Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a reçu Reussir-Agra le 5 juillet. (Crédit Nathalie Marchand)

Quel est votre bilan, après quelques semaines d’exercice. Êtes-vous le ministre de la réconciliation avec les ONG, qui étaient en froid avec Julien Denormandie ?

Marc Fesneau : "Le ministère de l’Agriculture est à la fois un ministère du temps long mais aussi de la gestion de crise à laquelle il faut faire face aux côtés des agriculteurs. Dès mon arrivée, je suis allé au côté des agriculteurs touchés par la sécheresse et la grêle, pour répondre aux urgences de ceux qui ont eu des récoltes touchées, et fixer en parallèle des perspectives de long terme. À la question de savoir si je suis le ministre de la réconciliation, je ne sais pas, mais je ne pense pas que nous opérions les grandes transitions dont nous avons besoin pour notre agriculture, avec les objectifs de souveraineté, sans se mettre tous autour de table, y compris avec les ONG avec qui il peut y avoir débat et c’est normal. Cela nécessite que l’on pose le cadre de référence : où on est et où on veut aller. C’est de la planification. Ce que j’ai posé comme cadre aux organisations agricoles et aux ONG, c’est que nous arrivions à nous mettre d’accord sur le cadre de référence et l’objectif auquel nous voulons aboutir et le chemin que nous voulons emprunter. On a parfois trop entendu du déclaratif et déclamatif, on a besoin de rentrer concrètement dans un certain nombre de sujets. Cela passe par un dialogue en responsabilité avec un seul objectif : pouvoir avancer. C’est la méthode que j’ai toujours utilisée".

Votre premier grand dossier a été la déclinaison française de la Pac, le PSN, dont vous avez dévoilé la seconde version, le 1er juillet. Quelle a été votre ligne ? Que répondez-vous à la FNSEA qui vous accuse de ne pas avoir su résister à Bruxelles ?

M.F. : "Le sujet n’est pas celui-là. Le premier PSN a été envoyé en décembre avec une architecture que je partage totalement, qui vise à avoir un ensemble le plus inclusif possible et cela n’est pas remis en question. Son architecture et ses grands équilibres n’ont pas été remis en cause. Deuxièmement, ce n’est pas une négociation franco-française, c’est une discussion avec la Commission qui a fait des remarques auxquelles nous sommes tenus de répondre. Sur bien des sujets, nous avons trouvé des points d’atterrissage qui correspondaient à la vision française de la Pac. Il en reste un en finalisation sur la BCAE7, sur la rotation des cultures, parce qu’il y a un sujet d’applicabilité qui n’est pas valable qu’en France. C’est un sujet sur lequel la Commission est particulièrement exigeante et qui pose des problèmes en particulier pour les cultures maïs. Nous sommes en train de trouver un chemin. Sur la HVE, certains ne le trouvaient pas assez exigeant. Nous avions anticipé ce point. Conformément aux engagements pris dès mai 2021, nous avons fait un travail de reformatage pour monter en termes d’exigences, avec notamment la suppression de la voie B. Il y a eu un comité la semaine dernière pour valider le nouveau cahier des charges qui va être mis en débat pendant deux mois de consultation publique. Ces changements, nous les avons construits pas contre mais avec les professionnels".

Dans cette deuxième version l’idée était-elle aussi de répondre à la crise du bio ?

M.F. : "La crise actuelle du bio est une crise économique, qui ne sera pas réglée par la Pac. Car quand le prix du lait bio est le même que le lait conventionnel, c’est une question d’organisation de filière et de dialogue exigeant avec la grande distribution. Le contexte, reconnaissons-le, n’est pas favorable, car l’inflation fait qu’il y a un déplacement de consommation du bio vers du plus conventionnel. Je défends la HVE face à ceux qui la décrient. Pour moi, c’est un élément déterminant de l’inclusivité de la transition. Ce n’est pas « rien ou bio ». La démarche HVE permet aux agriculteurs de se saisir de la transition et d’en être partie prenante. Le bio répond à d’autres contraintes et rend d’autres services environnementaux, d’où le différentiel qui est opéré entre les deux. Mon dialogue avec la Commission c’est un dialogue exigeant. La question n’est pas de gagner ou perdre face à Bruxelles. Nous avons fait entendre nos arguments puisque l’architecture globale du PSN (équilibre premier et deuxième pilier, grandes cultures/élevages) a été acceptée. Dans ce genre de discussion, on retient malheureusement les arbitrages moins faciles. Il y avait quand même 187 remarques, nous ne sommes plus en discussion que sur trois. Ce n’est donc pas exact de laisser penser que l’on a cédé quoi que ce soit".

Vous trouvez que la FNSEA est dure avec vous ?

M.F. : "Chacun a ses exigences, elles sont par nature respectables. Nous avons construit un PSN équilibré, qui poursuit la transition écologique et nous donne les moyens de conforter notre souveraineté alimentaire, dans un contexte où nous nous étions battus pour préserver le budget de la Pac. Ma seule obsession c’est d’avoir un système tenable pour tous les agriculteurs. Et d’avancer avec les représentants des agriculteurs et du monde agricole".

Vous arrivez en pleine période d’aléas climatiques, et en pleine réforme de l’assurance, qui doit être arbitrée d’ici mi-juillet, pour une entrée en vigueur en 2023. Où en sont les arbitrages ? Quelle est votre ligne ?

M.F. : "L’objectif est une mise en œuvre au 1er janvier 2023 d’un texte qui a été publié en mars 2022. C’est un engagement fort pour nos agriculteurs qui sont en première ligne face aux conséquences du changement climatique. J’ai conscience que c’est un temps très court, mais je suis confiant pour que nous tenions les délais. Nous ne pouvons pas nous retrouver avec une année de plus sans avoir modifié profondément le système assurantiel et les calamités, des systèmes qui sont à bout de souffle. Nous sommes dans un certain nombre d’impasses liées à la multiplication des aléas climatiques (grêle, gel, sécheresse…). Il y a trop peu d’assurés et un système de calamités agricoles qui ne répond plus aux problèmes. C’est la base de cette réforme pour construire un système dans lequel l’État mette plus de moyens pour faire en sorte que la couverture assurantielle soit meilleure, en particulier pour les secteurs les plus mal couverts. Nous allons réunir la conférence des filières pour définir les taux de couverture filière par filière. Nous devons nous mettre d’accord sur ce qui est financé par l’État, par les assureurs et la part que peuvent prendre en charge les agriculteurs, dans le cadre budgétaire qui a été fixé dans la loi, c’est-à-dire jusqu’à 600 millions d’euros par an, soit deux fois plus à terme, que le système actuel, en mobilisant la solidarité nationale. Comme les contrats d’assurance se signent en général au mois d’août, on a besoin d’un cahier des charges qui permettent aux assureurs de proposer rapidement des contrats d’assurance pour la saison à venir. Une ordonnance doit être publiée en septembre. En amont, j’insiste sur la nécessité de mettre en œuvre tous les outils de prévention et d’adaptation au changement climatique, notamment face au gel et à la grêle, en faisant appel à la technologie et à de nouvelles pratiques. Tout ce que l’on peut faire doit être développé, et il faut aider à le financer. C’est ce que l’on a fait dans le cadre du plan de relance avec plus de 200 millions d’euros, mais nous travaillerons aussi avec les Régions pour aller dans ce sens pour renforcer la résilience des exploitations".

Est-il au programme de retravailler la question des relations commerciales au Parlement. Pas d’Egalim 3 dans le viseur ?

M.F. : "Nous n’en sommes qu’à la première année d’application d’Egalim 2. Lors de son adoption, tout le monde s’est accordé pour dire que les dispositions permettaient d’avancer. La loi a même été votée à l’unanimité. Dès sa première année, le texte a connu la guerre en Ukraine et l’inflation. Attendons donc d’avoir un retour d’expérience suffisant, mais heureusement qu’elle a été votée !"

Exergue : « Sur bien des sujets, nous avons trouvé des points d’atterrissage qui correspondaient à la vision française de la Pac ».