Portrait
Entre Maligny et Hong Kong 2/2

Christopher Levé
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Après avoir effectué ses études et beaucoup voyagé, Pierre Ségault choisit l’Asie comme challenge (voir édition 1701). C’est à Hong Kong, situé au sud-est de la Chine, qu’il décide de s’installer et de commencer sa nouvelle vie.

Pierre Ségault
Pierre Ségault aimerait, à terme, reprendre l'exploitation familiale, à Maligny.

Lors de la première partie de ce portrait, Pierre Ségault nous racontait son parcours, de l’enfant de Maligny jusqu’à sa volonté de rejoindre le continent Asiatique. Une volonté concrétisée lorsqu’il intègre l’entreprise d’imports français, Le quinze vins. « C’est une entreprise installée à Hong Kong et Singapour, qui possède son propre bar à vins, sa propre société d’importation. Je la rejoins à la fin de mon Master car elle cherche des Français pour renforcer ses équipes », explique Pierre Ségault.
C’est donc à Hong Kong qu’il décide de s’installer. « C’est la première fois que j’y mets les pieds, mais j’ai l’emploi que je souhaite et je sais que je vais pouvoir y commencer ma nouvelle vie ».
Une fois sur place, c’est un choc culturel. « Je suis surpris de voir que la carte des vins, là-bas, est composée de 95 % de vins français et de 60 à 70 % de vins de Bourgogne. Je vois des Hongkongais, souvent des hommes d’affaires, venir après le travail, avec des clients ou des amis, et commandent des grands vins de Bourgogne. Et ils s’y connaissent vraiment ! Ils savent ce qu’ils veulent et ce qu’ils boivent. Je me suis parfois retrouvé dans des situations où les clients s’y connaissaient mieux que moi, sur des vins ou des domaines qui se trouvent qu’à quelques kilomètres où j’ai grandi. Ce sont de vrais connaisseurs », raconte-t-il.
Quelque temps après, Pierre Ségault est recruté par un marchand de vins anglais, Fine and Rare, qui possède un bureau à Hong Kong. « Me voilà dans le monde de distribution des vins fins à des clients privés ».
Une entreprise dans laquelle il reste deux ans, avant d’en rejoindre une autre, Crop and Vine. « La personne qui m’avait recruté dans ma précédente entreprise décide de créer la sienne et me demande de faire partie de son équipe. C’est ici que je travaille actuellement et ce depuis le début de l’année 2021 », indique-t-il. « L’idée est que je m’occupe progressivement de faire du sourcing, tout en continuant à travailler avec mes clients actuels, et que je crée des connexions avec des domaines, principalement en Bourgogne ».

L’Asie et la passion pour le vin

Depuis Hong Kong, Pierre Ségault a une vision large des Asiatiques et de leur passion pour le vin. « En Asie, le vin est vu comme un produit noble et sophistiqué. Historiquement, les vins ont commencé à beaucoup percer en Asie entre 2008 et 2010, en Chine. Ils étaient utilisés pour les cadeaux d’affaires, notamment les grands crus bordelais. C’est un peu Bordeaux qui a apporté le vin dans la culture chinoise. Indirectement, cela s’est transmis sur le reste de l’Asie », développe-t-il. « De nos jours, c’est vu comme un produit presque luxueux. Beaucoup de jeunes se mettent au vin en Asie. Par exemple, en Corée, les femmes veulent se distinguer des hommes culturellement et se mettent à boire du vin de France, contrairement aux hommes qui continuent de boire les traditionnels alcools de riz. En Chine, les jeunes veulent aussi se différencier de leurs aînés en buvant différemment, eux qui avaient et ont encore l’habitude de boire des alcools forts ».
Aussi, pour les Asiatiques, boire du vin est vu comme quelque chose de bien, de distingué. « Beaucoup de personnes veulent apprendre à connaître le vin : ils en collectionnent, participent à des cours, veulent tout simplement s’instruire sur le sujet. Car pour eux, le boire c’est bien, mais savoir en parler est quelque chose d’encore plus valorisant ».

Des racines qui lui tiennent à cœur

Malgré tout, Pierre Ségault, aujourd’hui âgé de 28 ans, n’oublie pas d’où il vient. Il y a quelques semaines, il choisit de ranger quelque temps le costume de commercial pour enfiler les bottes, chez lui, à Maligny. « C’est important pour moi de rentrer en France, au domaine, pour faire les vendanges. De passer un mois et demi avec ma famille, de retrouver les travaux manuels, de faire le vin, la vinification. Je voulais aussi prendre le temps de visiter les domaines français : dans l’Aube, sur les côtes de Nuits et de Beaune », explique-t-il.
Le domaine des Roncières, de son père, Yves, et son oncle, Régis, il y tient. Bien plus encore, il souhaite, plus tard, le reprendre afin de poursuivre le travail de ses aînés. « Oui, mon but est un jour de travailler ici, à Maligny. J’aimerais reprendre l’exploitation familiale mais dans un style atypique, un peu en dehors du circuit traditionnel. La reprise traditionnelle c’est de travailler avec les parents, de se former, puis de reprendre progressivement les rênes. Moi, mon idée, c’est de garder les deux casquettes : avec d’un côté cette entreprise que l’on a à Hong Kong pour la distribution des vins, qui me sera sûrement utile à terme, parce que l’idée est de vendre notre propre chablis avec cette entreprise ; et de l’autre, de reprendre progressivement l’exploitation familiale. Les choses ne sont pas encore définitives, mais j’ai pour le moment cette envie ».
Quant à la partie agricole de l’exploitation ? Rien n’est encore défini, mais l’objectif de Pierre Ségault est de rester concentré sur le domaine. « L’un de mes professeurs en Master me disait : « être vigneron, lorsque l’on vend son propre vin, c’est l’une des rares professions où l’on fait trois métiers en un : on cultive une plante pour en récolter les fruits, on transforme les jus de ces fruits en vin, puis on le vend ». Pour moi, faire tout cela est déjà très prenant et difficile. Mais cela reste encore à définir avec ma famille ».

« Il reste à Chablis encore beaucoup d’opportunités »

En reprenant l’exploitation familiale, le jeune commercial dans le milieu du vin pourrait s’engager encore plus pour les vignobles icaunais et bourguignons, afin de faire la promotion de leurs vins, à Hong Kong. « Chablis est déjà très connu là-bas et a une place importante. Mais je pense qu’il reste à Chablis encore beaucoup d’opportunités. L’une des plus flagrantes pour moi, concerne les crus (premier et grand cru). Il y a un potentiel de montée en gamme énorme », assure Pierre Ségault. « Il y a aussi une carte à jouer sur les millésimes un peu plus anciens. Les clients privés sont à la recherche et avec un bon distributeur cela peut être une très belle opportunité pour les viticulteurs. J’aimerais participer à tout cela, à mon niveau, faire grandir la réputation des vins du Chablisien, de l’Yonne et la Bourgogne ».