Législatives
L'agriculture dans l'incertitude

Mathieu Robert
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Malgré un résultat surprise, le second tour des législatives a fait tomber peu de candidats agricoles, à l’exception de Grégoire de Fournas (RN) et d’Éric Girardin (Ensemble). Au lendemain des résultats qui n’ont dégagé aucune majorité absolue, l’agriculture ne sait pas encore quelle direction lui fera prendre le futur gouvernement. Dans l’hypothèse d’un gouvernement Nouveau front populaire, trois noms émergent pour le poste de ministre de l’Agriculture : Aurélie Trouvé, Dominique Potier et Benoît Biteau. Mais pour quel programme ?

L'agriculture dans l'incertitude
Le résultat du second tour des élections législatives laisse encore de nombreuses questions en suspens, notamment sur les dossiers agricoles. (Crédit Ellen Lozon, France Info)

Le barrage contre l’extrême-droite a fonctionné à plein. Ce 7 juillet, la nouvelle Assemblée nationale n’a pas connu la vague Rassemblement national attendue. En revanche, aucune des coalitions ou des partis n’a décroché de majorité absolue à l’issue des élections législatives, ce qui laisse augurer une période d’instabilité ou de recomposition politiques dans les prochaines semaines, voire les prochains mois, pour la France, comme pour l’agriculture. Dans le détail, c’est donc le Nouveau Front populaire qui l’a emporté avec 182 sièges ; pour LFI qui a obtenu 74 députés (contre 75 en 2022) peu de changement ; en revanche, le PS progresse avec 59 sièges (contre 31 en 2022), tout comme les écologistes avec 28 élus (contre 23 en 2022). Les communistes ne seront pas assez nombreux (9) pour faire un groupe indépendant ; pour ce faire, ils devront s’entendre avec des dissidents LFI ou avec des divers gauche. La coalition présidentielle sort deuxième avec 168 sièges, contre 246 en 2022 ; Renaissance s’affaisse avec 102 élus, contre 172 en 2022, tout comme le Modem 33 (48 en 2022) et Horizons 23 (30 en 2022). Enfin, le bloc d’extrême droite progresse moins qu’attendu - il n’a réussi à faire élire que 143 députés – dont 126 pour le RN contre 89 en 2022. La droite récolte quant à elle 60 sièges.

Deux sortis

Qu’ils soient ministres de l’Agriculture, députés sortants du NFP, des Républicains, du camp présidentiel (Ensemble, Modem) ou du RN, tous les candidats spécialistes d’agriculture qui s’étaient qualifiés pour le second tour des législatives ont été élus ce 7 juillet, à deux exceptions. D’abord celle du viticulteur de Gironde, Grégoire de Fournas. En tête des résultats provisoires durant une partie de la soirée, le député a finalement été sorti de justesse en Gironde (49 %), à 1 000 voix près. Il faut ajouter Éric Girardin, député LR de la Marne, auteur en 2022 d’un rapport sur la transmission des exploitations viticoles. Il a été vaincu dans la capitale du champagne par un candidat RN-LR, également à 1 000 voix près. Cela s’est aussi joué de justesse - à 500 voix - pour le député LR de l’Aisne Julien Dive ; l’auteur d’une proposition de loi sur le calcul des retraites agricoles s’est imposé in extremis. Le score a également été serré en Charente-Maritime, où Anne-Laure Babault (Modem) s’était désistée en faveur de l’ex-eurodéputé Benoît Biteau ; l’agriculteur du NFP s’est imposé de justesse (53 %). Les deux ministres de l’Agriculture, Marc Fesneau (Modem) et Agnès Pannier-Runacher (Ensemble), sont passés avec respectivement 60 % et 55 % des voix, grâce aux désistements de leur concurrent NFP. Dans le Sud, le député Ensemble Jean Terlier, auteur d’une PPL sur les baux ruraux, passe de justesse avec 51 %. Du côté du RN, le viticulteur Christophe Barthes a été réélu largement dans l’Aude avec 61 %. Rappelons que quelques candidats agricoles avaient été sortis dès le premier tour. L’ancien député et éleveur Jean-Baptiste Moreau, qui se présentait sous les couleurs d’Ensemble (majorité présidentielle) a été mis hors jeu sèchement dans la Creuse. Reconverti dans le lobbying, l’ancien rapporteur de la loi Égalim est arrivé 4e avec 17,47 % des voix. D’autres avaient dû se désister pour faire barrage au RN, malgré leur victoire au premier tour. C’est le sort réservé au rapporteur du projet de loi sur la gestion des risques agricoles, le député Ensemble Frédéric Descrozaille, qui était arrivé en troisième position dans le Val-de-Marne. Même cas de figure pour le jeune député Ensemble Alexis Izard qui termine troisième dans l’Essonne. Il ne terminera pas ses travaux parlementaires sur la préfiguration d’une loi Égalim 4. Tout comme sa co-autrice, la députée Modem sortante Anne-Laure Babault qui s’est finalement désistée, après avoir d’abord demandé le retrait de son adversaire NFP Benoît Biteau.

Quel futur ministre ?

Au lendemain des résultats du second tour, l’incertitude est à son comble. Arrivée en tête des législatives, mais loin de la majorité absolue, la gauche assurait le 8 juillet qu’elle proposera « dans la semaine » un nom pour Matignon, où Gabriel Attal, qui a présenté sa démission, a été maintenu pour « assurer la stabilité du pays ». La gauche met déjà la pression sur Matignon. La cheffe des écologistes Marine Tondelier a estimé qu’Emmanuel Macron « devrait appeler aujourd’hui » la gauche « à lui transmettre un nom de Premier ministre ». Le socialiste Olivier Faure a pour sa part souhaité que le NFP « puisse être en mesure de présenter une candidature » pour Matignon « dans la semaine ». Dans l’hypothèse d’un gouvernement NFP, plusieurs profils s’imposent comme candidats naturels au poste de ministre de l’Agriculture : Aurélie Trouvé, Dominique Potier, ou Benoît Biteau. Élue en 2022, la maîtresse de conférence en économie à AgroParisTech Aurélie Trouvé s’est rapidement imposée comme la référente agricole du groupe LFI à l’Assemblée, rôle occupé par Loïc Prudhomme durant la précédente mandature. Interrogée par Agra Presse, elle répond : « Je ne m’exclus pas, je ne m’impose pas », tout en précisant que « c’est une discussion et une décision collective du NFP ». Le deuxième en lice serait le député socialiste Dominique Potier, spécialiste des questions agricoles - il n’a ni infirmé, ni confirmé d’intérêt pour le poste. Cet ancien agriculteur a participé à plusieurs projets de textes d’encadrement du foncier, et plus récemment à des travaux sur Écophyto et la séparation de la vente et du conseil sur les pesticides. Enfin, le troisième nom est celui de l’agriculteur EELV Benoît Biteau ; il avait pâti du faible score des écologistes aux élections européennes, ne parvenant pas à se reconduire à son poste d’eurodéputé qu’il occupait depuis 2019. On peut encore citer le député communiste André Chassaigne, connu pour ses lois sur les retraites agricoles - mais il n’est pas intéressé, indique-t-il à Agra. De même, le député socialiste Guillaume Garot, ancien ministre délégué l’Agroalimentaire, très actif sur la question du gaspillage, « n’est pas candidat ».

Dossiers agricoles en suspens

Quid des dossiers agricoles en cours ? Dans l’hypothèse à court terme d’un gouvernement penchant vers la gauche, le futur de la loi d’orientation agricole (LOA) semble plus que jamais obscurci. En première lecture, le texte avait été adopté par le camp présidentiel grâce aux voix des députés Les Républicains, mais désormais l’ensemble de ces deux groupes ne constitue plus de majorité absolue. En théorie, l’examen du projet de loi est toujours en cours, car à l’inverse du projet de loi Fin de vie, la LOA a été adoptée par une des deux Chambres ; la première lecture achevée à l’Assemblée, le Sénat peut donc décider de l’examiner à son tour, indiquent les services parlementaires. Mais la Chambre haute y daignera-t-elle ? Questionné sur le sujet, le sénateur LR Laurent Duplomb, tête de file sur les questions agricoles, affirme ne pas savoir. Si la LOA venait à y être examinée, il reviendrait au gouvernement - dont la couleur politique exacte est encore inconnue - de convoquer une Commission mixte paritaire (CMP). Et si cette CMP devait être non-conclusive, ce serait à l’Assemblée de décider ou non de tenir une seconde lecture. Mais l’incertitude est la plus totale - d’autant que la gauche semble encore indécise.