Environnement
Décarboner l'agriculture : une question à tiroirs

Berty Robert
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Parler concrètement d’agriculture et de décarbonation, c’était la proposition de l’association pour la défense du patrimoine et du paysage de la Vallée de la Vingeanne. Différents acteurs du monde agricole sont venus débattre de cette question complexe à Fontaine-Française.

Décarboner l'agriculture : une question à tiroirs
Les participants à la conférence-débat de Fontaine-Française, de gauche à droite : Alexandre Mortier, Vincent Lavier et Alessandra Kirsch. (Le député Benoît Bordat s'est joint par la suite au débat).

Les débats qui concernent l’agriculture dans l’ensemble de la société française ont parfois un défaut : ils se mènent souvent sans les principaux concernés (les agriculteurs) et tournent vite à la mise en accusation facile. L’association pour la défense du patrimoine et du paysage de la Vallée de la Vingeanne a évité cet écueil en organisant, le 5 avril à Fontaine-Française, une conférence-débat intitulée « Agriculture, climat, énergie : comment produire et décarboner ? » Le but était de faire un peu de prospective en tentant d’imaginer ce à quoi pourrait ressembler l’activité agricole à l’avenir en tentant de relever le défi du maintien de la production et de la réduction de l’impact climatique. Menés par l’agriculteur Fabrice Perdrix, les échanges permettaient d’entendre quatre intervenants complémentaires : Alessandra Kirsch, directrice générale du think tank Agriculture Stratégies et ingénieure agronome, Benoît Bordat, député de la 2e circonscription de Côte-d’Or (dont dépend le Val de Vingeanne) qui participe actuellement à une commission d’enquêter parlementaire sur le risque de perte de souveraineté alimentaire, Alexandre Mortier, concessionnaire en Côte-d’Or et président national de l’interprofession du machinisme agricole (Sedima), et Vincent Lavier, agriculteur et président de la Chambre d’agriculture de Côte-d’Or. Un panel d’invités suffisamment large pour couvrir la thématique abordée sur la plupart de ses aspects.

Quel est le bon thermomètre ?

Pour mener les débats, Fabrice Perdrix avait choisi de s’appuyer sur un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAER), paru en janvier 2023 et intitulé « Décarbonation de l’énergie utilisée en agriculture à l’horizon 2050 ». Au-delà de cette question de l’énergie utilisée, c’est d’abord celle de la pérennité des activités d’élevage qui a animé le débat. « Il y a aujourd’hui un débat, soulignait Alessandra Kirsch, sur la nécessité ou non de réduire l’élevage mais il faut déjà se mettre d’accord sur le mode de calcul appliqué dans la mesure des émissions de Gaz à effet de serre (GES) liées à l’élevage. Si on n’a pas le « bon thermomètre », il est difficile d’établir un diagnostic fiable, or, le seul mode de calcul pris en compte, c’est la réduction des cheptels… » C’est d’autant plus préoccupant que tous les modes d’élevage sont mis sur un même plan alors que, comme le soulignait Vincent Lavier, « l’élevage que l’on pratique chez nous, avec des animaux mis à l’herbe, ne peut pas être comparé à d’autres pratiques dans le monde, avec des exploitations énormes et un grand nombre d’animaux concentré. On ne sait pas objectiver les chiffres dont on dispose pour débattre sereinement des GES liées à l’élevage ». Après l’élevage venait le thème des grandes cultures et la possibilité de continuer ou non à utiliser des engrais azotés. « Des travaux sont menés, expliquait Alessandra Kirsch, sur la gestion des assolements ou l’introduction de légumineuses qui peuvent permettre d’atténuer le recours aux engrais. Des agriculteurs travaillent aussi sur le développement de couverts mais cela a des conséquences : une trop grande présence de mauvaises herbes entraîne des baisses de rendement. On en arrive à la question très sensible de l’usage du glyphosate mais, là encore, il faut éviter tout simplisme : le glyphosate est parfois moins pire que le labour pour ce qui est de l’impact sur la vie des sols. Il faut aussi voir les choses dans leur globalité : utiliser du glyphosate, c’est peut-être aussi consommer moins de gazole avec les engins agricoles et là aussi, on a un impact sur l’environnement ».

D’une dépendance à l’autre

Justement, les engins agricoles, Alexandre Mortier était là pour en parler : les constructeurs de tracteurs mènent des essais sur des engins électriques ou fonctionnant au biométhane, et parfois autonomes. Le président du Sedima regarde tout cela avec intérêt mais aussi, lucidité : « en agriculture, on a besoin de fortes puissances. Pour l’instant, sur l’électrique pure, on est limités, je crois plus à la solution de l’hybridation thermique-électrique ». Mais Alexandre Mortier insistait aussi sur une réalité économique que l’on ne doit pas perdre de vue : « le marché du tracteur en France, c’est 35 000 unités par an, à comparer aux 2 millions de voitures neuves : face à ces différences d’échelles, il est clair que les constructeurs de machines agricoles ne peuvent pas investir autant dans la recherche que leurs confrères de l’automobile… » Alessandra Kirsch soulignait en complément, un autre point, lié là aussi à la nécessité d’aborder le problème de la décarbonation dans sa globalité : « prenons garde à ne pas remplacer une dépendance – celle au pétrole — par une autre : celle au lithium des batteries. Une ressource dont nous ne disposons pas ». Il était enfin difficile de parler de la décarbonation en agriculture sans évoquer les productions énergétiques, et notamment l’agrivoltaïsme, qui vise à conjuguer production énergétique et agricole (et qui vient de faire l’objet d’un décret d’encadrement publié le 9 avril). Vincent Lavier soulignait que la Côte-d’Or est un département particulièrement ciblé par les énergéticiens pour des projets de ce type : « c’est lié au fait que nous avons des zones à faible potentiel cultural. Dans le département, nous avons défini une doctrine sur l’agrivoltaïsme qui doit être pensé pour consolider les installations agricoles. Aujourd’hui, il y a des projets qui émergent mais la vraie question reste celle du coût des raccordements des installations agrivoltaïques au réseau d’électricité… » Là encore, la décarbonation ne peut faire l’économie d’une prise en compte globale de tous les facteurs qui entrent en compte. C’est ce que ce débat aura véritablement mis en lumière.