Société
Les violences conjugales plus difficiles à détecter en zones rurales

Élodie Potente
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Le 25 novembre était la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Depuis le début de l’année, 100 féminicides ont été comptabilisés en France. En ruralité, les victimes sont plus isolées et connaissent moins bien les dispositifs ce qui les rend plus difficiles à repérer.

Les violences conjugales plus difficiles à détecter en zones rurales
Le rapport « Femmes et ruralités, en finir avec les zones blanches de l’inégalité » révèle que près de 50 % des fémicides sont commis en ruralité.

Près de 50 % des féminicides sont commis en ruralité alors qu’un tiers seulement des Françaises y vivent. C’est le rapport du Sénat, « Femmes et ruralités, en finir avec les zones blanches de l’inégalité », publié en octobre 2021 qui a révélé ce chiffre. Huit sénateurs de territoires ru­raux et de tous bords politiques (1), dont Marie-Pierre Monier, sénatrice de la Drôme, ou encore Raymonde Poncet Monge, sénatrice du Rhône, ont passé dix mois à élaborer cet état des lieux sur la vie des femmes en ruralité. Em­ploi, santé, mais aussi lutte contre les violences conjugales y sont analysés sous le prisme de chiffres (2) et d’auditions d’acteurs et actrices de terrain.

« La réalité des féminicides en ruralité, on la connaît », commente Camille Niang, déléguée aux droits des femmes du dé­partement de l’Ardèche. « On sait que l’isolement de ces femmes, le fait qu’elles ne soient pas toujours indépendantes fi­nancièrement, rend d’autant plus difficile le fait de parler ». Le Grenelle contre les violences conjugales, organisé de sep­tembre à novembre 2019 par Marlène Schiappa, ancienne secrétaire d’État à l’égalité, a permis d’intervenir sur les territoires ruraux en améliorant les dispositifs mis en place. Ainsi, le dé­partement de l’Ardèche compte depuis 2021, deux intervenantes sociales en commissariat et gendarmerie (ISCG). « Elles sont bien placées pour accompa­gner les personnes qui viennent déposer plainte », indique la déléguée dépar­tementale. D’après le gouvernement, près de 400 ISCG sont en poste sur le territoire français. Le rapport du Sénat recommande d’en déployer encore plus, les gendarmeries étant souvent le pre­mier lieu ressource pour les femmes vivant en territoire rural. La députée de la troisième circonscription de la Drôme Marie Pochon a d’ailleurs fait voter à l’Assemblée nationale mercredi 16 novembre un amendement pour la constitution de brigades de gendarmes mobiles afin de recueillir plus facilement les dépôts de plaintes des victimes de violences conjugales.

Constituer un réseau local

Sans transports en commun, parfois privées de voiture, les femmes sont fa­cilement isolées des services publics, mais aussi de leurs amis ou familles. « Les difficultés de mobilité sont à l’origine d’un isolement plus grand et entravent la lutte contre les violences conjugales, en rendant plus complexes le déplacement en gendarmerie comme le départ du do­micile », met en évidence le rapport du Sénat. Comme la mobilité, le manque d’anonymat dans les villages, la peur du « qu’en-dira-t-on » fragilise l’identi­fication de ces violences.

Constituer un réseau devient donc es­sentiel. « Il faut que tous les acteurs se parlent », estime Camille Niang. Les tra­vailleurs sociaux des MSA ne sont pas forcément les premiers interlocuteurs sollicités sur les questions de violences conjugales, mais cela leur arrive de re­pérer et signaler ces situations. « Nous finançons des associations locales de lutte contre les violences faites aux femmes, in­dique Elsa Rosnet, responsable de sec­teur des travailleurs sociaux MSA Alpes du Nord. Je constate que ces associations parfois basées en ville essaient d’aller de plus en plus vers des publics ruraux ». Les CIDFF (centres d’informations sur les droits des femmes et des familles), présents dans tous les départements, tiennent aussi des permanences régu­lières sur les territoires ruraux et les associations de luttes pour les droits des femmes proposent souvent des forma­tions à destination des forces de l’ordre, professionnels de santé ou élus locaux.

Connaître les différents dispositifs

Lorsque l’on évoque les violences conju­gales, on parle de violences physiques mais aussi sexuelles, psychologiques, économiques ou numériques qui se poursuivent parfois après la sépara­tion des conjoints. C’est pourquoi il est essentiel de faire connaître les diffé­rents dispositifs de prévention et de lutte contre ces violences : numéros d’urgence (voir encadré), bracelets an­ti-rapprochement, téléphones graves dangers, etc. La méconnaissance et l’inégale répartition des outils sur les territoires, des hébergements d’urgence ou des personnels formés expliquent cette double peine des victimes en ru­ralité. Les acteurs et actrices cherchent alors des solutions alternatives, comme dans le sud de la Drôme où une élue « a convaincu son conseil municipal d’affecter un appartement aux femmes victimes de violences sur les crédits de rénovation de la mairie », témoigne Marie-Pierre Monier dans le rapport du Sénat.

(1) Les rapporteurs sont : Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Nadège Havet, Pierre Médevielle, Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge et Marie-Claude Varaillas.

(2) À noter, dans ces chiffres, 21 hommes ont aussi été tués par leurs compagnes ou compagnons en 2022

Les numéros d’urgence

Si vous êtes témoin ou victime de violences conjugales :

• Composez le 3919 (numéro gratuit et anonyme).

• Composez le 17.

• Ou écrivez au 114 si vous êtes sourde ou malentendante (ou en cas d’im­possibilité de passer un appel).

• Composez le 0 800 05 95 95 en cas d’agression sexuelle.

• Le 119 si vous êtes un enfant en danger.

• Pour accéder au tchat du gouvernement : https://arretonslesviolences.gouv.fr/

• Pour les plus jeunes : https://commentonsaime.fr/ propose un tchat avec des professionnelles.

Lors de la remise du rapport « Femmes et ruralités en finir avec les zones blanches de l’égalité » avec les huit rapporteurs. (Photo © Sénat)