Témoignage
Le traumatisme des attaques de loup

Isabelle Renaud
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Voilà quelques semaines que des attaques de loups sur bovins ont eu lieu dans le Doubs et dans le Jura. Quels sont les effets de la présence du prédateur sur les éleveurs, notamment les conséquences sur leur travail et sur leur santé ?

Le traumatisme des attaques de loup
Loup observé à Lajoux, dans le Jura, grâce à un piège photographique de la fédération des chasseurs du Jura.

Les témoignages se font plus rares. Un repli, une retenue, ne plus en parler dans la presse. Mais le choc est réel. Il ne se résume pas au moment de l’attaque ni aux quelques heures et quelques jours qui suivent… Fabrice Guy, éleveur dans le Doubs, à Petite-Chaux, tout près de la frontière suisse, en Gaec avec trois associés, s’est préparé à « l’inévitable ». Il se souvient. « Les premières attaques sur le secteur ont eu lieu au mois d’août, à 1 km à vol d’oiseau de nos troupeaux. Puis d’autres ont suivi sur Chapelle-des-Bois. On se dit qu’on passe au travers. On va donner la main aux copains, on voit les bêtes mortes au pré. Mais quelque chose a déjà changé en nous : on est en alerte sur la présence du prédateur, sans jamais savoir à quel moment et à quel endroit il va jeter son dévolu… ». S’ensuit, pour l’éleveur et ses associés, une vigilance accrue. « Si on se réveillait la nuit, on allait faire un tour vers le troupeau. Le matin, on allait voir les bêtes avec une boule au ventre, se demandant ce qu’on allait trouver ».

Ce matin-là…

C’est sur un troupeau de 14 jeunes bovins de 8-10 mois parqués près de Chaux-Neuve que l’attaque a eu lieu pour le Gaec de la Petite-Chaux. « C’était mi-octobre, je ne me souviens plus du jour exact ». Il faut dire qu’une trentaine d’attaques en tout ont eu lieu dans les élevages de la commune de Chapelle-des-Bois ou à proximité entre le début du mois d’août et le 30 octobre, date de la dernière attaque, où le troupeau en panique a fait irruption dans le village à 2 heures du matin. En trois mois, 24 génisses ont été tuées par les loups et 30 blessés. « Ce matin-là, j’ai trouvé le troupeau affolé, en tas. Un jeune veau manquait. Et là on se dit qu’on a pris… Il était en parti mangé. J’ai appelé les numéros qu’il fallait et l’OFB est arrivé dans l’après-midi. Nous avons rentré les 4 animaux blessés et 2 ou 3 génisses qui ont une valeur génétique importante, laissant le reste du troupeau pour que les louvetiers puissent tirer si les loups revenaient. C’est malheureux de devoir réagir comme cela en triant les bêtes mais aujourd’hui on en est là ».

Un sentiment de colère

« La nuit suivante je n’ai pas beaucoup dormi. Les louvetiers sont restés trois nuits. La première, ils ont vu les loups mais n’ont pas pu tirer. Le lendemain, ils ne les ont plus revus. Je suis resté brassé par tout ça pendant une semaine, puis le boulot a repris le dessus ». L’éleveur s’exprime calmement, mais avec une détermination et une colère perceptible. « Nous travaillons avec du vivant. Des pertes, nous en avons autrement mais pas de cette manière-là, ce n’est pas normal. On n’élève pas des bêtes pour qu’elles puissent être mangées par le loup. On nous met une contrainte de plus, que l’on subit et qui aujourd’hui est incontrôlable. L’État, par le biais de l’OFB, a une responsabilité importante dans la gestion de ce problème… Je ne suis pas contre le loup mais il faudra le réguler fortement, lui faire comprendre qu’il n’est pas le roi du monde, qu’il ne peut pas faire tout ce qu’il veut ! ».

La neige va arriver

L’éleveur s’interroge aussi sur la perception et la prise en compte du travail réalisé par les éleveurs pour le dynamisme économique du territoire et pour l’entretien des paysages. « Nous avons 45 ha d’alpages, si nous ne mettons plus nos bêtes cela redeviendra de la forêt et pour les pistes de ski de fond, c’est mort… Préserver la nature, nous le faisons. Que l’on puisse préserver notre activité aussi ! » Interrogation également vis-à-vis du tourisme et des activités de nature, avec la neige « que l’on espère voir arriver ». Dans ces familles d’éleveurs, plusieurs jeunes sportifs de haut niveau s’entraînent toute l’année. « Mon fils en fait partie. Impossible de ne pas y penser quand on enfile les baskets pour aller courir. Beaucoup de copains m’ont dit qu’ils n’iraient plus skier à la frontale », relate François Guy. Le village de Chapelle-des-Bois compte aussi deux classes nature, explique l’éleveur. À l’inquiétude des parents et des professeurs des écoles, l’administration a répondu qu’il n’y avait pas de danger. Mais la première élue de Chapelle-des-Bois, Élisabeth Greusard, témoigne de l’impact qu’a eu cet épisode d’attaques. « Les éleveurs ne dorment plus la nuit. Ici, plus personne n’ose aller en forêt. Les parents disent aux gamins de rentrer à la nuit tombée », indiquait la maire début novembre dans la presse.

Les animaux sont rentrés

Voilà une semaine que les animaux sont rentrés dans les bâtiments pourtant la pression demeure. « Si le loup arrivait à rentrer dans les stabulations et à faire un carnage ? ». La question traverse les esprits des éleveurs. Certains ont des fermes ouvertes et ont installé des grillages pour protéger les veaux. Au Gaec de la Petite-Chaux, une partie de la stabulation entravée doit être aérée, là aussi un grillage sera installé. Des contraintes supplémentaires. Maintenant, la première chose que François Guy fait lorsqu’il va voir son troupeau, c’est de compter ses bêtes. « Vivre une attaque de loup chez soi laisse des traces. Ce n’est pas anodin, ça change notre vie d’éleveur ».