Congrès mondial de la viande
Emmanuel Bernard, éleveur nivernais, a participé au congrès mondial de la viande
Emmanuel Bernard, éleveur dans la Nièvre et président de la section Bovins d’Interbev, a participé au dernier Congrès mondial de la viande qui se tenait aux Pays Bas en octobre. Il livre son ressenti et craint une perte d’influence des Européens sur cette thématique.
Participer à un événement international permet de mettre à l’épreuve de regards étrangers les préoccupations franco-françaises ou européennes parfois autocentrées. Le résultat peut être « décoiffant » comme en témoigne Emmanuel Bernard. L’éleveur de bovins allaitants nivernais, président de la FDSEA 58 et de la section Bovins de l’interprofession bétail et viande Interbev s’est rendu, du 11 au 13 octobre, aux Pays Bas où était organisé le World meat congress (Congrès mondial de la viande), un événement de retour après cinq ans d’interruption. Le congrès est axé sur les problématiques liées aux viandes de porc et de bœuf. « La première chose qui est marquante, précise Emmanuel Bernard, c’est de voir l’évolution de ce congrès, qui existe depuis une vingtaine d’années et qui est longtemps resté focalisé sur des thématiques plutôt européennes. Ces dernières années, on a vraiment senti la montée en puissance d’autres régions du monde, et notamment l’Amérique du Sud ou les pays asiatiques. Un événement comme celui-ci permet d’avoir un panorama mondial de l’élevage bovin et porcin. Il fait aussi prendre conscience de notre évolution par rapport à celle d’autres régions du monde. On comprend les dynamiques qui sont à l’œuvre sur les différents continents ».
Face à un monde qui va consommer de la viande
Exemple parmi d’autres : la rapidité de l’évolution des échanges entre des pays comme le Brésil et la Chine : « d’une année à l’autre, souligne l’éleveur nivernais, le niveau d’augmentation des exportations de viande bovine du Brésil vers la Chine peut représenter la totalité de la production française. On est face à quelque chose de colossal ! » Problème : l’Europe semble être le seul continent dont l’ambition est de diminuer sa production de viande. Sommes-nous condamnés à devenir marginaux dans ces échanges ? « Ce qui est sûr, c’est que les autres vont peser de plus en plus lourd. Il y a, par exemple, l’Inde dont on parle peu. C’est pourtant le premier producteur mondial. Nous perdons de l’influence parce que nous nous préoccupons moins de ces productions. Nous sommes tellement dans un environnement rempli de réglementations et de contraintes qu’aujourd’hui, la filière bovine ou porcine est plutôt sur une position défensive. Mais, en face, on a un monde qui consomme, et qui consommera de plus en plus de viande. Donc, si l’Europe baisse, l’augmentation se fera, mais ailleurs, pour répondre à la demande… » Ce congrès fut aussi jalonné d’interventions sur la viande cellulaire ou le bien-être animal, mais, là encore, Emmanuel Bernard insiste : il s’agit de préoccupations européennes avant tout. On peut le déplorer, mais c’est un fait qu’il faut prendre en compte. « On croit que l’Europe va imposer ses normes au niveau mondial alors qu’en réalité, chacun mène sa vie… Les normes, l’Europe se les impose sans les imposer aux marchandises qu’elle importe. J’ai l’impression que les réflexions ne portent pas sur les mêmes enjeux. Avec l’Idele, ou France Agrimer, nous avons accès à des données qui proviennent des autres régions du monde mais entendre des représentants de ces autres régions exprimer leur vision de choses, ça contribue grandement à recontextualiser… Les Chinois, par exemple, expliquent qu’ils sont les meilleurs presque partout sauf en viande bovine, mais qu’ils n’excluent pas de le devenir. Ces pays montrent les muscles face à une Europe qui explique que ce serait bien qu’on mange moins de viande et qui voit sa production stagner ou baisser ».
Le défi de la viande cellulaire
Sur la thématique de la viande cellulaire, qui fait lourdement débat, Emmanuel Bernard s’avoue impressionné par les éléments de langage développés dans le discours des promoteurs de cette évolution. Un sens de la communication dont le monde de l’élevage « traditionnel » devrait peut-être s’inspirer. « C’est un discours, constate-t-il, certainement très efficace auprès de celles et ceux qui, dans la société, passent leur temps à vouloir nous donner des leçons. Je pense qu’il faut être très attentif aux arguments des tenants de la viande cellulaire, pour pouvoir s’en servir dans la défense de nos filières et contrer leurs discours. Il faut aussi relativiser : on est encore très loin de la commercialisation de ce type de viande ». Au bout du compte Emmanuel Bernard retient de ce congrès le sentiment d’une vraie perte d’influence de l’Europe sur les questions liées à la production et la consommation de viande, et sur le fait que notre continent paraît s’orienter sur une voie qui n’est pas partagée par le reste du monde. Pour l’anecdote, juste avant de partir au congrès, il avait eu un échange en visio avec la Cour des Comptes (consécutif au rapport paru en mai sur le soutien, jugé excessif par l’institution, apporté au secteur de l’élevage), qui lui a inspiré la réflexion suivante : « si des représentants de la Cour des Comptes avaient assisté à ce congrès, ils auraient été éclairés sur une autre façon de voir les choses… »