Usages de l'eau
Un rapport critique de la Cour des comptes sur l'usage de l'eau en agriculture

Christophe Soulard
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Un récent rapport de la Cour des comptes se montre très critique à l’égard des usages de l’eau en agriculture. Pas vraiment de quoi apaiser les relations du monde agricole avec cette institution…

Un rapport critique de la Cour des comptes sur l'usage de l'eau en agriculture
La Cour des comptes se montre très critique à l'égard des usages agricoles de l'eau. (Crédit Actuagri)

L’un des derniers rapports de la Cour des comptes s’intéresse à la gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique et couvre la période 2016-2022. Publié mi-juillet, fort de 156 pages et de onze recommandations (lire encadré), il déroule trois chapitres incitant à « mieux évaluer les effets du changement climatique sur la ressource en eau » ; « piloter la politique de l’eau au plus près des territoires » et enfin à « réduire les prélèvements pour une gestion durable de la ressource » (1). Il est cependant nécessaire de bien traduire le langage très diplomatique des « juges du chiffre » dont beaucoup n’ont sans doute jamais vu l’ombre d’une fourche ou d’un tracteur. Certes les membres de la Cour n’affichent pas ouvertement leur hostilité envers le monde agricole, mais ils sermonnent tout de même l’Union européenne et les pouvoirs publics français de ne pas assez réguler la gestion de l’eau au profit de l’agriculture. Ainsi la Cour estime-t-elle que la Politique agricole commune (PAC) et certaines de ses mesures de mise en œuvre nationale « favorisent une agriculture très consommatrice d’eau dans des régions qui connaissent déjà de fortes tensions sur la ressource », estime le rapport. D’autant plus selon elle, que l’irrigation s’est développée « dans des régions où cette pratique n’était pas habituelle et aggrave des situations déjà tendues ».

Politiques publiques égratignées

Pis : le plus souvent, les attributions des volumes « se fondent sur des prélèvements historiques s’affranchissant de la nouvelle contrainte hydrique. Dans le bassin du Lay (Vendée, ndlr), cette répartition s’est basée sur la capacité des installations de pompage dans la nappe des exploitants ». C’est un système qui « ne va pas dans le sens d’une gestion économe de la ressource », soulignent les magistrats de la Cour. Il en résulte que « la moindre disponibilité de cette ressource essentielle exacerbe les conflits d’usages » écrivent les magistrats. Ceux-ci égratignent les politiques publiques retenues par les autorités locales qui consistent toujours à essayer de sécuriser l’approvisionnement en eau par des interconnexions, des infrastructures de stockage et de transfert de l’eau. Ces solutions anciennes deviennent de plus en plus difficiles à mettre en œuvre. En clair, la Cour des comptes préconise de freiner (mais jusqu’où) la politique des retenues d’eau telles qu’elle est appliquée aujourd’hui. Que dire de la REUT préconisée par le Gouvernement, les écologistes et bien d’autres. La « Réutilisation des eaux usées traitées (REUT) est coûteuse et se heurte à des considérations sanitaires » tranche le rapport ! Il faut en somme, réduire les prélèvements en eau, « priorité désormais incontournable », martèlent les rapporteurs. Exigeant plus de cohérence de la part des politiques publiques, les agriculteurs pourraient légitimement réclamer aussi plus de cohérence de la part de la Cour des comptes.

10 % des prélèvements

Ils pourraient leur rappeler que sur les 510 milliards de m3 d’eau (Mdm3 / pluie, neige) tombant chaque année en France, seuls 32 Mdm3 sont prélevés dont 16 Mdm3 servent au refroidissement des réacteurs nucléaires. Viennent ensuite presque à égalité les prélèvements au profit de l’eau potable (5,3 Mdm3) et de l’alimentation des canaux (5,4 Mdm3), puis des usages agricoles (3 Mdm3) et enfin des usages industriels (2,5 Mdm3). L’agriculture ne représente que 10 % des prélèvements et seulement 0,58 % des précipitations. Gendarme des comptes, la Cour éponyme s’affranchit enfin des conclusions du Varenne de l’eau qui n’est cité, en tout et pour tout, que deux fois dans le rapport. C’est dire finalement l’importance de ce rapport dont on se demande encore pourquoi il a été publié. Sinon pour crisper encore un peu plus le monde agricole.

Note : (1) Le rapport est disponible sur le site de Cour des comptes : www.ccomptes.fr/fr

Renforcer les contrôles

Parmi les onze recommandations qu’elle émet, la Cour des comptes propose de « renforcer sans délai le contrôle des autorisations de prélèvements » (recommandation n° 6), et de « conditionner le financement public des infrastructures de sécurisation de l’irrigation agricole à des engagements pris par les bénéficiaires, notamment de réduction des consommations et des prélèvements » (N° 7). En leur qualité d’experts du chiffre, des financements et des budgets, et fort de leur expérience multiséculaire, il serait sans doute judicieux que les magistrats de la Cour des comptes puissent chiffrer l’ensemble des mesures qu’ils préconisent, de même que l’impact économique sur les exploitations agricoles par exemple. Mais c’est peut-être trop demander…