Moutarde
Aussi en dérobées

AG
-

Des agriculteurs de Marsannay-le-Bois cultivent de la moutarde l'été, entre du seigle et du blé.

 

Aussi en dérobées
Vincent Lecuret, le 27 juillet dans l'une de ses parcelles.

Il fait sec, ce n'est peut-être pas la meilleure année pour en parler, mais allons-y quand même... La moutarde, traditionnellement semée à l'automne, voire en sortie d'hiver, peut être également cultivée en dérobée l'été, entre deux autres cultures. Plusieurs exploitants se prêtent à l'exercice depuis trois ans en Côte-d'Or, la surface totale s'élève actuellement à 700 ha dans le département. Comme le rappelait Jérôme Gervais, conseiller à la Chambre d'agriculture dans l'une de nos dernières éditions, le double essor de la méthanisation et de la culture du seigle joue un rôle non négligeable dans son développement. La SAS MLGG de Marsannay-le-Bois, s'est justement lancée dans l'aventure l'année dernière après sa récolte de seigle. Pas moins de 110 ha de moutarde ont été semés entre le 20 mai et le 20 juin. Un rendement de 7 q/ha a été enregistré courant septembre. « Ce résultat est à remettre dans un contexte de potentiel limité, après une Cive. Mais 7 q/ha, cela nous convient, cela s'ajoute à la plus-value réalisée par le seigle et notre vente de gaz », indique Vincent Lecuret, l'un des six associés de la SAS, qui poursuit : « avec un prix de 950 euros la tonne de moutarde l'année dernière, nous avions largement couvert nos frais de culture qui, à la base, sont déjà relativement bas. En effet, en dérobée, il faut compter entre 100 et 150 euros/ha. C'est nettement moins que la moutarde semée à l'automne qui nécessite davantage de fertilisation, d’insecticides et de désherbage, avec son cycle beaucoup plus long ».

On remet ça

L'expérience a été renouvelée cette année sur une surface équivalente (115 ha) et un prix de vente plus intéressant (1350 euros/t). Les cultures sont pour l'instant moins prometteuses que l'an passé mais encore une fois, peu d'investissement ont été nécessaires. « La pluviométrie du mois d'août sera déterminante. S'il pleut en conséquence, nous pourrons peut-être viser le même rendement qu'en 2021. S'il ne tombe pas une goutte, un 3 à 4 q/ha n'est pas à exclure, mais encore une fois, le risque est limité et nous l'assumons », commente l'agriculteur de 43 ans. Vincent Lecuret et ses collègues avaient encore une fois attendu la date du 20 mai pour semer : « l'idée est d'être décalé par rapport aux cycles d’insectes. Avant cette date, la pression d'altises a toutes les chances d'être importante à la levée, les méligèthes peuvent également sévir à la floraison. En semant après le 20 mai, nous sommes censés passer à côté ». Pour la récolte, la technique du fauchage-andainage avait été utilisée l'an passé : « avec ce procédé, nous avions accéléré la dessiccation des graines. Notre objectif est toujours de récolter avant la fin septembre pour pouvoir éviter des coûts de séchage et surtout, pour semer tranquillement nos céréales d’automne dès le début du mois d'octobre. De plus, nous avons désormais à gérer un chantier d’épandage de digestat dans la même période. Nous n'aurons peut-être pas besoin de faucheuse-andaineuse cette année car les cultures évoluent vite, certaines sont même en train de griller... ». Quel que soit le résultat de cette campagne, la SAS MLGG repartira en moutarde l'an prochain : « nous nous y retrouvons avec cette culture d'été, d'un point de vue économique car la prix de la tonne passera à 2000 euros, mais aussi d'un point de vue agronomique. En effet, en semant à cette période, nous cassons le cycle des mauvaises herbes de nos rotations historiques avec une majorité de cultures d’hiver. Semer des cultures d'été, nous voulions le faire depuis des années. La cameline et le sarrasin peuvent aussi donner de bons résultats, nous en avons aussi mais sur de plus petites surfaces. Semer du tournesol et du pois, c'est beaucoup plus compliqué par rapport à leur besoins en eau plus important et leur coût de semence avoisinant les 100 euros/ha ».

La moutarde, une longue histoire

Trois des quatre fermes qui ont fusionné pour créer l'EARL, le Gaec puis la SAS MLGG cultivaient déjà de la moutarde avant leur rapprochement. Cette culture est donc naturellement restée dans l'assolement, comme l'explique Vincent Lecuret : « La moutarde a longtemps fait partie de nos marges les plus intéressantes, avec une fourchette de rendements allant de 12 à 18q/ha. Cette culture nous permettait d'alterner avec le colza pour éviter que celui-ci ne revienne trop souvent dans la rotation. Ses semis décalés d'un mois par rapport au colza sont aussi appréciables. La récolte de moutarde représente un autre atout : la culture ne s'égraine pratiquement pas et nous pouvons moissonner les blés en amont, sans prendre de risque. Contribuer à la dynamique de cette filière locale faisait aussi partie de nos motivations, sachant que Fabrice Genin, l'un des associés de la SAS, préside l'APGMB depuis plusieurs années. Il n'y avait que des avantages, à l’exception d'un salissement un peu plus prononcé qu'en colza ». Tout allait donc très bien, jusqu'à la multiplication des aléas climatiques et l'augmentation de la pression d'altises : « un 6q/ha en 2019 a été suivi d'un très maigre 2,5 q/ha en 2020... Nous avons fait le choix de ne pas semer de moutarde d'automne pour la récolte 2021, nous n'en avons fait qu'en dérobées ». Devant la hausse du prix payé aux producteurs et l’annonce de la pénurie, la SAS MLGG est « repartie » en moutarde à l'automne dernier. La moisson 2022 a livré un rendement de 13 q/ha : « avec un prix de 1350 euros/t, le bilan redevient intéressant. Pour la prochaine campagne, nous allons doubler la surface et semer 60 ha de moutarde cet automne. Nous restons malgré tout dans l'inconnue face aux altises et aux moyens de protection qui ne sont pas encore totalement définis à ce jour ».