Bio
Le casse-tête de la valorisation des veaux

Corentin Mussier (Chambre d'agriculture 70)
-

Les éleveurs bio sont majoritairement insatisfaits de la valorisation commerciale de leurs veaux laitiers et croisés, comme le révèle l’enquête réalisée par une apprentie-ingénieur pour Bio-BFC. L’étude d’initiatives prises dans d’autres régions pourrait inspirer la structuration d’un collectif…

Le casse-tête de la valorisation des veaux
Les complémentarités entre élevages laitiers et élevages allaitants sont aussi explorées, pour une meilleure valorisation bouchère des veaux laitiers et croisés nés dans les élevages laitiers en AB.

La pleine valorisation sur le marché de la viande bio des veaux mâles qui naissent dans les élevages laitiers biologiques est un problème historique structurel de l’AB. Le contexte actuel de baisse du niveau de vie des Français n’est pas propice au développement des ventes : prix jugés élevés, manque d’informations précises au sujet de la couleur de la viande, érosion des « bénéfices » perçus (santé, environnement, bien-être animal…) En face, confrontés à des marchés saturés par l’explosion du cheptel bio, les éleveurs voudraient privilégier la voie de l’engraissement local, par manque de filières longues en AB. Bio Bourgogne-Franche-Comté a organisé récemment une journée de rencontre sur cette thématique, en Haute-Saône, afin d’échanger entre acteurs de la filière sur les possibilités de valorisation, en s’appuyant sur les résultats d’une enquête réalisée auprès d’éleveurs de Franche-Comté (lire l’encadré). Les coopératives Unebio et Feder étaient aussi présentes, pour représenter les acheteurs et donner le point de vue de l’aval. Des initiatives mises en place dans d’autres régions de France ont aussi été décrites.

Collectif laitiers / allaitants

Ainsi, en Mayenne, un Groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE) « Valorisation des veaux laitiers » s’est structuré, sur le principe d’un partenariat entre éleveurs laitiers et allaitants. Les éleveurs laitiers vendent des veaux et des vaches nourrices aux éleveurs allaitants, dans l’optique d’une production de bœufs gras. Les veaux sevrés pèsent en moyenne 261 kg avec un Gain moyen quotidien (GMQ) de 1 308 g/j sur une durée d’allaitement de 210 jours au sevrage. Pour les sept bœufs abattus à 32 mois, le poids moyen de carcasse était de 415 kg, vendu 5,17 €/kg. Les points positifs identifiés de cette structuration sont la coopération entre les éleveurs bio, l’aspect localisé de la production, la diminution des vêlages et la plus-value, avec un total produit viande qui atteint 4 386 € pour une des fermes engagées. Toutefois, au rang des points négatifs, un suivi sanitaire renforcé, des frais de transport, une phase d’adoption longue et le choix des croisements par les deux éleveurs partenaires ont été notés. Dans les Hauts-de-France, le projet Pré-veaux a pour objectif de valoriser les veaux en bio en misant sur leur engraissement au pâturage. Dans un contexte de vêlages groupés, pour faire coïncider pousse de l’herbe et pics de lactation, les veaux sont vendus après sevrage ou engraissés sur la ferme de naissance. Ils sont castrés à l’âge de deux mois et sevrés à cinq mois. Sur 243 animaux vendus, un GMQ naissance – sevrage de 488 à 628 g/j est mesuré. Le poids d’abattage varie dans la fourchette de 285 à 360 kg de carcasse, avec une note d’engraissement de 3, pour un prix de vente entre 4,30 et 5,36 €/kg. La gestion du parasitisme est ici primordiale. La journée s’est conclue par la visite de la ferme de Pascal Jacquard, éleveur allaitant en race Aubrac à Mercey-sur-Saône, près de Gray. L’occasion pour les éleveurs d’échanger sur les stratégies d’achat d’animaux et la phase d’engraissement.

Des freins et des atouts

Une enquête réalisée par Irène Schwartzentruber, apprentie ingénieur agronome à Bio BFC, avait pour objectif de recenser les besoins et attentes des éleveurs bovins bio en Franche-Comté en matière de valorisation des veaux, mais aussi d’identifier les freins à une meilleure valorisation. 86 exploitations ont été enquêtées (65 % laitières, 30 % allaitantes, 5 % mixtes). En termes de ventes, les élevages laitiers commercialisent en moyenne 41 veaux âgés de 2 à 3 semaines par an, dont 26 mâles. Les prix oscillent entre 110 € pour des animaux de race montbéliarde et 337 € pour ceux issus du croisement avec la race Bleu-Blanc-Belge. La majorité des veaux sont achetés par un maquignon ou la coopérative Franche-Comté Élevage. En élevage allaitant, les veaux sont majoritairement vendus comme broutards, et la vente directe ainsi que les maquignons sont les deux principaux débouchés. Les éleveurs déclarent en majorité être insatisfaits des débouchés auxquels ils ont accès. Le fait que les veaux soient élevés en bio, mais vendus comme issus de l’agriculture conventionnelle, donc à une valeur inférieure à celle perçue comme équitable, crée un sentiment de manque de reconnaissance du travail. Parmi les freins évoqués pour une meilleure valorisation des veaux, on peut noter :

- le manque de place et de temps,
- un manque de débouchés,
- un contexte général de repli des achats de produits issus de l’AB.
La satisfaction de valoriser des veaux dans le circuit bio arrive en tête des avantages espérés par les éleveurs enquêtés, bien qu’une majorité des répondants n’y trouvent finalement aucun avantage, pour des questions de praticité. Les attentes vis-à-vis de l’aval ressortent aussi de cette enquête : prix plus rémunérateurs, meilleure communication auprès des consommateurs, développement de nouveaux débouchés et meilleure transparence de la chaîne de valeur. Même s’il paraît difficile de trouver une solution simple et rapide à déployer pour résoudre ce problème structurel, 79 % des éleveurs se disent intéressés pour prendre part à un futur projet collectif, qui pourrait débuter sous forme de groupes de travail ou de réunions régulières. Parmi les pistes évoquées pour mieux valoriser les veaux laitiers bios, leur vente à des élevages allaitants avant le sevrage avec les nourrices est celle qui est la plus citée. Les éleveurs allaitants sont toutefois une majorité à ne pas être disposés à les recevoir, pour plusieurs raisons :

- le risque sanitaire lié à l’introduction d’animaux issus d’un autre cheptel est jugé important,
- le fait que les veaux soient croisés et non de race pure apparaît aussi comme rédhibitoire
- l’absence de besoin [c’est-à-dire de demande du marché] est mise en avant,
- la conduite de la phase d’allaitement pose des problèmes techniques : les éleveurs laitiers doivent renoncer à la recette du lait bio pour nourrir les veaux, quant aux éleveurs allaitants, ils arguent du surcroît de travail occasionné par la distribution de lait…