Opus gothique

Taillée dans l'envie

Que faire à la retraite ? Voilà la question que s’est posée Donald Russell à l’approche de la fin de sa carrière de paléontologue. Alors âgé de 58 ans, Donald Russell, originaire des États-Unis, habitant en France depuis les années cinquante et ayant choisi la nationalité française par amour de notre pays, commence à réfléchir à un projet : édifier une maison gothique du XIIIe siècle, âge d’or de l’architecture française. Après avoir suivi pendant 15 ans des cours d’architecture médiévale en auditeur libre à l’université de la Sorbonne, il dessine l’intégralité des plans, en se basant sur le nombre d’or, puis il se lance dans la taille de toutes les pierres (plus de 9 000) nécessaires à la création des voûtes et autres colonnes de la maison. Aujourd’hui, presque toutes les pierres sont taillées et le sous-sol est terminé…

Premiers pas

Au début, c’est entre l’Île-de-France et la maison morvandelle de son fils Sam (ancien entrepreneur dans le bâtiment et aujourd’hui « à la retraite »), qu’il façonne et entrepose toutes les pièces taillées. À ce moment-là, il est en recherche active d’un terrain propice à l’installation de la maison. « Il fallait une parcelle sans roche pour pouvoir creuser le sous-sol » explique Sam. C’est ainsi qu’il trouve la perle rare en 2008. Une fois le terrain trouvé, les travaux débutent : « nous avons commencé par terrasser la zone pour le sous-sol. Après avoir creusé sur 4 m de profondeur avec un excavateur, il nous a fallu 2 ans pour creuser les fondations de 80 cm de profondeur sur 80 cm de large ». Une fois terminée, la construction commence.

Des secrets bien connus

« Mon père a une âme d’enfant, il a donc intégré des passages secrets un peu partout – horizontaux mais aussi verticaux – pour passer du grenier à la cave notamment. Maintenant ils ne sont plus vraiment secrets puisqu’on les montre à tous les visiteurs ! Le premier qui a été fait est un sous-terrain partant du bureau dans sa maison d’habitation jusqu’à la cave de l’édifice… ». Long de 46 m, il permet de rafraîchir la maison de Donald et d’aérer la cave de la future maison du XIIIe siècle. Pour dissimuler certains tunnels, des portes dérobées ont été installées : « les procédés d’ouvertures secrètes sont les plus basiques possibles, en poussoir ou avec des rotations de pièces. Comme dirait mon père : plus c’est simple, mieux ça marche ! ».

Coup de main

Durant les premiers temps de la construction, les finances de Donald s’amenuisent : « Il ne pouvait plus assumer son projet. Et comme il lui tenait vraiment à cœur, j’ai monté l’association Opus Gothique. Avec elle, nous continuons grâce aux dons et surtout à l’accueil de bénévoles français et du monde entier qui viennent travailler avec nous sur le chantier. Ils sont logés sur place et restent en général 2 à 3 semaines. Certains reviennent d’ailleurs à plusieurs reprises pour nous aider ! Nous ne nous attendions pas à un tel engouement, et par exemple, l’an passé nous avons accueilli 56 bénévoles. Nous recevons aussi des stagiaires d’un lycée professionnel de Remiremont (Grand Est). Il y a une dynamique fantastique, avec une ambiance positive ; chacun apprend de l’autre dans un univers de partage ».

En cours

Actuellement, le sous-sol et les tunnels sont terminés. « Au total il faudra 160 tonnes de pierres granitiques entre le sous-sol et le rez-de-chaussée pour compresser les voûtes comme il se doit et éviter tout mouvement de la structure. Une fois que cela sera fait, nous allons remettre à niveau la terre autour des murs porteurs afin que le niveau arrive à la porte d’entrée. Mon père ayant imaginé tout le projet sur un terrain plat nous devons nous adapter pour que cela soit possible… le terrassement sera donc inévitable ».

Avoir de la veine

Pour la charpente, le bois a été acheté en 1988 « nous avons opté pour du chêne afin de rester dans l’esprit du 13e ». Et, pour les tuiles, le hasard fait bien les choses… « En creusant, nous sommes tombés sur une veine d’argile très importante. Du coup, nous avons tenté de cuire des tuiles, grâce à un four calqué sur ceux du XIIIe… et cela a marché. Donc, nous avons pour projet de fabriquer toutes les tuiles nous-mêmes… il en faudra environ 5 300 ».

Tendresse filiale et projet patrimonial

Même si l’édifice demande encore une dizaine d’années pour être terminé, Donald Russell a encore des idées plein la tête puisqu’il a décidé d’ajouter un passage secret menant vers une salle Igloo édifiée en spirale… « une prouesse technique de haute précision pour la taille des pierres » souligne Sam. Le projet n’a donc pas fini de surprendre. Sam conclut : « En donnant vie au projet visionnaire de mon père, nous savons maintenant qu’il est possible de construire un édifice gothique en retrouvant tout le savoir-faire des bâtisseurs français du XIIIe siècle ». Une fois terminé, l’édifice sera dédié à la transmission des techniques propres à l’architecture gothique (taille de la pierre, vitrail, tuiles, forge…). « Nous n’avons jamais eu envie d’abandonner. Mon père s’est lancé dans un projet génial qui mérite d’arriver à son terme ». En attendant, quand je le vois travailler, il est heureux, dans un monde qui lui correspond et, rien que pour cela, nos efforts valaient le coup ».