Innovation
L’exosquelette bienvenu en salle de traite

Isabelle Doucet
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En élevage laitier, l’exosquelette apparaît comme une des solutions à la fatigabilité du métier. Les fermes commencent à s’équiper.

L’exosquelette bienvenu en salle de traite
L’exosquelette doit être adapté à la morphologie du trayeur et la salle de traite assez large pour ne pas encombrer le mouvement.

« Le confort de la salle de traite, c’est notre quotidien ». Au Gaec de la Fayardaie, à Hauterives dans le Nord-Drôme, les trois cousins associés, Éric Fayan, Cédric Fayan et Valentin Balaye, ont reçu leur exosquelette en test il y a une poignée de jours. « Nous voulions trouver des solutions pour éviter les problèmes plus tard », explique Éric Fayan. Les éleveurs se partagent à tour de rôle la traite du troupeau de 100 vaches laitières (30 % montbéliardes et 70 % prim’hosltein) en IGP Saint-Marcellin. Installée il y a dix-huit mois, la salle de traite TPA (1) en 2 x 9 postes avec désinfection automatique et trempage des trayons est un équipement de pointe. Il permet de traire les 100 bêtes en une heure. Mais le système n’affranchit pas de lever les bras de façon répétitive. « Après une semaine de traite non-stop, les épaules fatiguent », reconnaît l’éleveur. Curieux et désireux de « rester à la page en agriculture » - une condition de survie estiment-ils - les trois associés se sont intéressés à l’exosquelette. « On savait que ça existait. Il y avait eu des articles ». Après une petite étude de marché, « nous avons choisi le modèle Plume (2), léger comme son nom l’indique (1,6 kg - ndlr) et qui nous semblait le plus adéquat aux gestes que nous faisons », déclare l’éleveur. L’investissement s’élève à 3 500 euros. L’appareil est pour le moment en location-vente dans l’exploitation. « Nous allons le tester. Il faut s’habituer et lever les a priori, voir si on est assez à l’aise pour la traite », poursuit Éric Fayan. Après la période test, les associés décideront s’ils gardent l’appareil, s’ils en acquièrent plusieurs où s’ils essaient d’autres modèles. Les associés du Gaec de la Fayardaie n’avaient à ce jour pas rencontré d’autres utilisateurs d’exosquelette, mais le système fait de plus en plus d’adeptes dans les fermes. À Montagnieu (Isère), Édith Durand est équipée d’un exosquelette qui la soulage lorsqu’elle fait la traite des vaches laitières matin et soir. « Au bout de cinq mois d’utilisation, c’est un investissement que je ne regrette pas ». Le Gaec Chante Bise est une ferme familiale de trois associés : les époux Édith et Christian Durand et leur fils Damien récemment installé. Le bien-être des Hommes et des animaux est chez eux une ligne de conduite. Les dernières améliorations ont porté sur la salle de traite, un poste stratégique. « J’ai une tendinite au bras depuis environ un an, explique Édith Durand. Nous nous sommes demandé comment améliorer la situation sans aggraver le mal ». L’éleveuse est plus particulièrement en charge de l’activité traite : 90 montbéliardes matin et soir sur deux fois cinq postes, soit deux bonnes heures de gestes répétitifs depuis plus de quinze ans. « Nous avons changé les griffes en 2022 pour des modèles allégés, ce qui permet de gagner 1,2 kg. C’est important en bout de bras ».

Choisir le bon modèle

C’est à ce moment-là que leur fournisseur lui a parlé de l’exosquelette. « J’avais passé une visite médicale avant. Il ne faut pas faire n’importe quoi », témoigne Édith Durand. Elle essaie deux modèles. Le premier ne convient pas au maintien de son dos « et les branches tapent dans les tubulaires de la salle de traite », rapporte-t-elle. Le deuxième appareil est concluant. Son maintien lombaire et son ergonomie apportent à Édith Durand « une meilleure position à la traite ». Elle l’adopte après un temps d’adaptation. « Au début, je ne le mettais que pour une traite sur deux. Au bout de quinze jours, j’ai senti la différence. Il faut choisir le bon modèle, adapté à la morphologie, à la taille du trayeur et à la salle de traite ». L’exosquelette choisi est un modèle portatif Mate XT d’un poids de 2,9 kg. Il s’enfile sur le torse comme un harnais. Édith Durand apprécie sa tenue près du corps, qui ne l’encombre pas dans la salle de traite. Le fonctionnement est uniquement mécanique : des ressorts transforment l’énergie en assistance. L’appareil supporte le mouvement, allège la charge. « La qualité du réglage est importante : taille, largeur des épaules, pression exercée, insiste Édith Durand. Par exemple, il ne faut pas forcer pour rebaisser les bras ». L’éleveuse n’utilise son appareil que pour la traite. « Je prépare la salle et j’enfile l’exosquelette uniquement pour les gestes répétitifs. À la fin de la traite, je le pose pour le lavage. Il faut aussi savoir rester musclée ». Elle reconnaît que la fatigue, qui survenait après la traite, a disparu. Le parcours d’Édith Durand a duré six mois, entre le moment de la réflexion, les essais et la réception de l’appareil. « Le temps de se poser les bonnes questions », depuis la pathologie jusqu’à l’agencement de la salle de traite.

(1) TPA : traite par l’arrière.
(2) Plume est fabriqué par la société HTM à Tarbes (65).

MSA : « Nous faisons preuve de prudence »
Les modèles portatifs sont légers et soulagent les membres supérieurs.

MSA : « Nous faisons preuve de prudence »

Inventés pour soulager certains muscles lors de la répétition de gestes au travail, les exosquelettes intéressent le secteur agricole. Ces équipements d’assistance sont divisés en deux catégories. La première est dite « passive ». L’utilisateur enfile un sac à dos mécanique, qu’il doit ensuite régler. La seconde est dotée de moteurs et, dans certains cas, d’intelligence artificielle. En agriculture, la forme « passive » est la plus répandue. Mais son utilisation reste tout de même anecdotique. « Avec les exosquelettes, la question c’est de savoir si nous cherchons à adapter l’être humain au travail, ou à adapter le travail à ce que peut faire l’être humain », tranche Agnès Ratgras, conseillère en prévention des risques professionnels à la caisse centrale de la MSA (CCMSA). Si la MSA peut proposer un accompagnement de ses services « santé sécurité au travail » lorsque les professionnels la sollicitent, elle ne finance pas ces équipements. « Nous essayons d’abord de voir si d’autres actions, comme la réorganisation du travail et des locaux sur l’exploitation, sont possibles », explique la conseillère. Des contre-indications médicales peuvent également interrompre la démarche. Lors d’expérimentations réalisées en lien avec la MSA, des éleveurs ont soulevé d’autres problématiques. Le fait, notamment, de devoir enlever l’exosquelette plusieurs fois dans la journée et d’avoir une maintenance peu efficace lorsque des pièces cassent. « Sur le papier, cela peut sembler intéressant… Mais dans la réalité cela modifie la façon de travailler. Nous faisons preuve de prudence, car il subsiste beaucoup d’inconnues », conclut Agnès Ratgras. Actuellement, un exosquelette se vend entre 1 000 et 10 000 euros selon les modèles. Cet investissement n’est donc pas à prendre à la légère, surtout lorsqu’il s’agit d’équiper une équipe entière.

Léa Rochon