Interview
Olivier Damaisin, coordinateur national du plan Prévention du mal-être en agriculture

Propos recueillis par Berty Robert
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Olivier Damaisin, ex-député du Lot-et-Garonne, est aujourd’hui le coordinateur national interministériel du plan Prévention mal-être en agriculture. À l’occasion de sa venue à Beaune lors de l’assemblée générale de la MSA Bourgogne, le 28 avril, il est revenu sur la mise en place de ce plan. Il s’est aussi rendu dans des fermes de Saône-et-Loire et de l’Yonne.

Olivier Damaisin, coordinateur national du plan Prévention du mal-être en agriculture
Olivier Damaisin considère que la lutte contre le mal-être en agriculture doit s'appuyer sur plusieurs domaines (santé, social, travail) et pas seulement sur la dimension agricole.

Vous êtes venu à Beaune pour évoquer la mise en place du plan Prévention du mal-être en agriculture, dont vous êtes le coordinateur national. Avant cela, en 2020, vous aviez réalisé un rapport sur la prévention du suicide des agriculteurs. Comment en êtes-vous arrivé à vouloir travailler sur cette thématique ?

Olivier Damaisin : "Je suis petit-fils d’agriculteur et j’ai un fils qui est salarié agricole. C’est un milieu dans lequel j’évolue depuis toujours. Il y a quelques années, un de mes voisins agriculteur s’est suicidé. J’ai été très choqué de cela. Mettre fin à ses jours pour des raisons liées à son travail, je trouvais ça fou ! J’ai moi-même été dirigeant d’une entreprise qui marchait bien et qui a néanmoins fini liquidée : le mal-être, je sais ce que c’est, je connais la hantise de la visite de l’huissier, des courriers recommandés qu’on n’ose pas ouvrir, le coup de fil du banquier auquel on ne se sent pas la force de répondre. J’ai connu cette pression-là et c’est la raison pour laquelle ces suicides d’agriculteurs m’ont tant marqué. Lorsque j’ai été élu député, en 2017, j’ai voulu faire quelque chose sur ce thème durant mon mandat. Parler du suicide des agriculteurs, à l’époque, c’était encore compliqué. Il y a eu également le film d’Édouard Bergeon, « Au nom de la terre » sorti en 2019, qui a été un électrochoc. Tout cela a libéré une parole".

Avant cela, rien n’avait été fait ?

O.D. : "Si, beaucoup de gens travaillaient déjà sur cette problématique, et notamment la MSA, mais chacun le faisait un peu de son côté. Il manquait un maillage entre les différents acteurs concernés. Aujourd’hui, à travers la coordination du plan national de prévention du mal-être en agriculture, j’ai finalement la mission d’établir ce maillage qui faisait défaut. Le démarrage a été ralenti par le covid, mais depuis, je me rends beaucoup sur le terrain. Je suis notamment allé plusieurs fois en Saône-et-Loire. Je suis aussi allé en Isère, en Bretagne, en Drôme, en Ardèche… Partout, le constat est à peu près le même : il y a des bonnes volontés mais pas de coordination".

Pourquoi un plan national et pas une loi sur cette question ?

O.D. : "Je ne voulais pas d’une loi sur cette question parce qu’on se serait retrouvé sur une opposition entre plusieurs modèles agricoles. Opposé l’agriculture intensive à des structures plus modestes, ce n’est pas mon débat ! Ce que je veux, c’est aider l’agriculteur. J’ai convaincu le ministre de l’Agriculture d’alors, Julien Denormandie, et le Premier ministre, Jean Castex, qu’il fallait plutôt partir sur une feuille de route, et pas sur une loi. Cette feuille de route, elle a été fixée en novembre 2021, afin de mettre en place les vingt-sept recommandations présentes dans mon rapport de 2020. Il faut aussi rappeler qu’en mars 2021, un autre rapport sur le même thème avait été rendu par les sénateurs Henri Cabanel (Hérault) et Françoise Férat (Marne). Nos constats convergeaient".

Comment les choses se sont-elles mises en place ?

O.D. : "Il a fallu créer des réseaux sur tous les départements. La Saône-et-Loire, par exemple, avait déjà avancé sur ce point avec la MSA, mais dans d’autres départements, tout était à faire. Le maillage est à présent en place et mon rôle est de le faire vivre, en fonction des spécificités territoriales. Ici, par exemple, je sais qu’il y a un sujet avec le loup".

Ce plan doit se décliner en sept grands chantiers (voir encadré). Ils traduisent une approche transversale des choses ?

O.D. : "On est sur un dispositif interministériel et c’est très important. L’agriculture est concernée, mais aussi la santé, le social et le travail. Dans la feuille de route, les salariés agricoles sont aussi pris en compte. Les problématiques ne sont pas les mêmes entre le salarié et l’agriculteur-employeur, ils ne sont pas soumis aux mêmes pressions, mais tous peuvent souffrir. Cette feuille de route n’est pas figée, nous devons continuer à la développer, et c’est la raison pour laquelle mes visites dans toutes les régions de France sont nécessaires".

Vous avez déjà rencontré beaucoup d’agriculteurs dans le cadre de votre mission. Globalement, qu’en retenez-vous ?

O.D. : "Beaucoup de gens sont désespérés et remontés, soit contre la MSA, ou contre les services de l’État, ou leur coopérative… Il faut donc s’appuyer sur de nombreux acteurs pour parvenir à rétablir un contact. Les syndicats agricoles sont précieux sur ce plan. Ils ont leurs propres structures d’écoute et d’alerte. Ils ont d’ailleurs été précurseurs sur ce domaine. Le dispositif Agri’écoute de la MSA reste néanmoins un outil très précieux pour permettre l’expression du mal-être. C’est la première étape pour trouver des solutions et éviter le pire".

L'importance de la détection
Jean-Jacques Lahaye, vice président de l'association Agrisolidarité-Réagir, en Saône-et-Loire

L'importance de la détection

Jean-Jacques Lahaye est vice-président de la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire et de l’association Agrisolidarité-Réagir. L’association a été créée en 2018 sur ce département, par la MSA et la Chambre d’agriculture. Le secteur bancaire, le syndicalisme, les coopératives ont rejoint le dispositif depuis. « Ce qui est initié au plan national, explique-t-il, est très important. Pour nous, la plus grosse difficulté est de détecter la personne en souffrance. Souvent, on se rend compte qu’il n’y a pas qu’une problématique, mais un ensemble, c’est pourquoi il est important que nous puissions nous appuyer sur une multiplicité d’acteurs. Il faut aussi pouvoir s’appuyer sur des « sentinelles », des personnes bénévoles de toutes natures, mais qui peuvent aider à détecter les personnes en détresse. On a mis en place des Comités d’action locale pour cela. Nous formons ces personnes parce qu’accompagner des gens confrontés au mal-être ne s’improvise pas ».

Sept chantiers

Le plan national Prévention du mal-être en agriculture va se déployer selon sept chantiers principaux :

- prévenir les actes suicidaires

- faciliter l’accès aux droits

- absorber les chocs sur le revenu

- mieux reconnaître les maladies professionnelles

- mieux prendre en compte la santé, la sécurité et la qualité de vie au travail

- concilier vie personnelle et familiale, et vie professionnelle

- mieux accompagner les transitions agricoles